La mission de conversion d’Anschaire de Brême au Danemark, organisée lors du retour du roi Harald Klak dans son pays, est un événement paradoxal. A la fois très important aux yeux de la population danoise contemporaine – cette dernière considérant Anschaire comme son saint patron – tout en étant relativement mal documenté. Nous faisons le choix ici de romancer – aussi librement qu’un récit historique nous le permet – ce voyage fondateur pour la communauté chrétienne danoise, en nous reposant, certes, sur les extraits de la Vita Anskarii, hagiographie à la gloire d’Anschaire rédigée par son successeur, Rimbert, à la tête de l’archidiocèse de Hambourg, mais également sur des travaux plus contemporains, notamment ceux de Pierre Bauduin ainsi que ceux de James C. Palmer.

 Notre récit se focalisera sur la période allant de 826, date de la conversion de Harald Klak au christiannisme à la cours de l’empereur Louis le Pieux ; jusqu’a 827, date à laquelle Harald est à nouveau chassé de la péninsule danoise, mettant un terme à la mission d’Anschaire là-bas. Nous nous autoriserons également quelques sauts temporels à une date plus tardive, sans jamais dépasser la date de mort d’Anschaire, en 865. Nous nous limiterons également aux cadres géographiques évoqués par la Vita Anskarii, ainsi qu'à quelques lieux qu’Anschaire et ses compagnons auraient pu connaître à leur époque. Nous éviterons dans ce contexte au maximum les anachronismes et les limiterons autant que possible aux quelques maladresses inhérentes à tout projet d’écriture focalisé sur une période dont l’auteur n’est pas spécialiste.

 Notre but ici est avant tout de raconter d’une manière différente, plus actualisée peut-être, cette période de la vie d’Anschaire et de Harald Klak. Nous essayerons ainsi de nous rapprocher aussi près que possible des faits qui nous ont été rapportés, et nous contenterons de compléter les travaux de Rimbert. Pas d’attaque d’extra-terrestres sur la route du Danemark, ni de voyage de la délégation chez les Khazares, ni d’intervention de Merlin l’Enchanteur au Monastère de Corvey. Seulement des faits collant au plus proche possible à la réalité de l’époque, autant sur le plan politique que militaire, doctrinal ou tout simplement historique en général. Le tout saupoudré de quelques traits d’humour, plus ou moins efficaces, que les chroniqueurs de l’époque n’auraient sans doute pas reniés.

 Nous tenons cependant à préciser certaines choses, d’un point de vue sémantique. Nous avons fait quelques recherches – peut-être superficielles, nous le confessons – sur l’origine de certains mots, afin de nous assurer qu’ils pouvaient ou non être utilisés sans anachronisme dans la bouche de nos personnages. Ainsi nous avons dû oublier , notamment, le titre d’usage de “monseigneur” comme prédicat des évêques et archevêques, au profit de celui de “monsieur”. Cependant, pour maintenir un certain confort de lecture – et d’écriture –, il va sans dire que tous les mots anachroniques du vocabulaire courant n’ont pas pu être supprimés, même si nous avons veillé à retirer les plus évidents.

 Pour resituer nos évènements, nous sommes dans le deuxième quart du IXe siècle de notre ère, à une époque où le christiannisme n’a pas encore réussi à dépasser le territoire de l’actuel land allemand du Schleswig-Holstein. Ainsi, toute la scandinavie est encore polythéiste et en conflit plus ou moins direct avec l’empire carolingien, dont le territoire s’étend sur pratiquement toute l’europe centrale ainsi que sur l’actuel territoire français et le Nord de l’Italie et gouverné à l'époque par Louis le Pieux, fils de Charlemagne. Harald Klak, prince danois déchu, vient chercher au cours de l’année 826 la protection de l’empereur carolingien et se convertit, lui et sa cour, à la foi chrétienne. Considéré comme le prétendant rêvé par les Carolingiens pour le contrôle du Danemark, ce dernier est renvoyé sur ses terres pour en prendre le contrôle, accompagné d’une mission évangélisatrice commandée par Anschaire, moine de l’abbaye de Corvey.