Lendemain de défaite

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J'ouvre un oeil. Celui de gauche.

Je suis allongé, perclus de douleurs mais vivant. C'est déjà ça de gagné. J'ai la gorge en feu : ma soif ne m'a pas abandonné. Sans me risquer à bouger, je sonde les environs de mon seul oeil actif. Je garde le second en réserve, au cas où.
Et que vois-je ?

D'abord, je suis à l'abri du soleil. Ce con tape à coups redoublés sur les restes de ma chemise écartelée sur quelques branchettes judicieusement disposées en charpente de fortune. A l'évidence, un ange s'est penché sur mon sort pour me sauver. Je voudrais bien lui signifier ma gratitude, mais j'ai la gargane un peu bloquée et je peux à peine offrir quelques gargouillis maladroits. Le mieux est encore de la fermer pour le moment.

J'aurais bien souri, aussi. Pourtant, j'ai encore le rude souvenir des douleurs imposées par les gerces à mes lèvres. Bon, je me contente d'observer pour découvrir, ô belle trouvaille, un avant-bras gracile et, au bout d'icelui, une main fine qui me passe un chiffon humide sur le front.

La sensation de fraîcheur que j'en éprouve me libèrerait presque les sphincters de joie. Cependant, l'impression s'évapore aussi vite que ces quelques gouttes d'eau et la chaleur revient, plus percutante que jamais. Je ne voudrais pas faire le difficile, mais si cette main pouvait renouveler l'opération, je toucherais presque au Nirvana...

Heureusement, le plus important est que j'ai bien fait de lutter jusqu'à la dernière extrémité : le monde est définitivement trop petit pour qu'une personne reste seule très longtemps, même dans ce désert à la con.

J'en soupire d'aise, juste sous le bras fragile de mon ange protecteur. D'ailleurs, avec un peu de chance, je l'épouserai dès que je serai rentré chez moi. Quand on rencontre un ange, faut surtout pas rater l'occasion d'en faire son complice pour un court instant d'éternité. Parce que mon ange est une femme, forcément. Et merde à ceux qui disent que les emplumés n'ont pas de sexe.

Je décide qu'il s'agit d'une femme. Et puis je sombre sans le savoir dans un profond sommeil, probablement imposé par l'immense fatigue qui m'écrase.

***

Quelques heures ont passé. C'est sûr parce que la température est moins oppressante. Et puis, je sens que j'ai dormi assez longtemps pour me sentir un peu plus vaillant. J'en reprendrais bien une dose supplémentaire, mais une voix s'adresse à moi ! En plein désert, entendre une voix a quelque chose de surnaturel...

  • Alors, il est réveillé, l'aventurier de mes deux ? Pas trop tôt !

Ah, mon ange doit être du genre virago céleste... Pas de bol. L'intonation est un peu rude, un peu grasse. Un ange qui aurait trop fumé et qui se retrouverait avec la voix d'un louchebem ? Merde... Je lève les yeux au ciel, histoire de protester en silence à l'attention du Grand Barbu qui m'envoit un drôle d'oiseau pour me sauver.

  • Bonjour, madame.
  • Salut, mon coco. Appelle-moi Marcelle. C'est un prénom à chier, je sais, mais ma vieille avait des goûts de chiottes et j'avais pas les moyens de la dissuader. Une seule vanne de ta part à ce sujet, et je te rouvre les plaies jusqu'à ce que tu te vides sur ce sable de merde, ok ?
  • Euh... Entendu, madame.
  • Marcelle, que j'te dis !
  • Ok, Marcelle. C'est à vous que je dois la vie, donc ?
  • Et pas qu'un peu, mon pote ! Je t'ai cavalé au cul pendant deux jours. J'avoue que tu as une sacrée cadence pour un mec.
  • Deux jours que vous me poursuivez ?
  • Ouais. Je me suis retrouvée ici sans comprendre comment, et j'ai trouvé des traces de pas. Alors, je les ai suivies mais j'arrivais pas à te rattraper. Jusqu'au moment où tu t'es écroulé sur ces rochers. D'ailleurs, tu t'es pas raté. A un poil de cul près, tu te pétais le caberlot comme une noix de coco ! J'ai dû recoudre tes blessures à la dure : j'avais rien pour faire dans l'aseptisé, tu comprends ? Faudra te faire soigner sérieusement quand tu nous auras ramenés à bon port, tu sais.
  • A bon port ? Mais je ne sais même pas où on est. Moi aussi, je me suis retrouvé dans ce bled sans savoir comment !
  • Merde, fait-elle lentement. On est donc paumés à deux ?
  • J'en ai bien peur, oui.
  • C'est bien ma veine, ça. Je me suis fêlée la moule à te courser sous ce soleil de merde, tout ça pour tomber sur le seul connard de la planète qui sait pas pourquoi il traîne ici !
  • Le connard vous présente ses excuses... que je fais, un peu piqué à vif par le commentaire.
  • Ok, soupire-telle. Bon, on va devoir réfléchir pour se sortir de ce guêpier. En attendant, tu bouges pas, Ducon : je vais chercher de quoi bouffer.
  • Trop aimable, Marcelle...
  • Toujours pareil, grommelle-t-elle entre ses moustaches. C'est encore la femme qui sert de bonniche et qui se tape les courses, hein ?

Qu'aurais-je pu répondre à cela ? Je baisse les yeux, et je fais mine de me rendormir.
Putain d'ange de merde !

A suivre...

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