Un sentiment de culpabilité envahit Beatrice quand elle retrouva la solitude de son petit appartement. N'avait-elle pas abandonné Richie à son propre sort quand elle avait décidé de rentrer à New York ? N'avait-elle pas fui face aux vagues noires de ses douleurs, des spectres qu'il avait ramenés d'Asie ?

En éliminant Tom Maynard, Richie avait laissé la violence de la guerre pénétrer chez ses grands-parents mais était-il responsable ? N'avait-il pas juste défendu sa famille ?

Beatrice se sentait sale et honteuse. Elle avait vu un visage différent de l'homme qu'elle aimait. Elle était tombée amoureuse de l'homme dont les yeux clairs suivaient la lumière de Rum Cay. Parfois, dans son regard, s'ouvraient de lointains horizons. Parfois, couraient quelques ondées silencieuses, des souvenirs douloureux. Plus rarement, grondaient des orages. Une fois, un ouragan et toute sa fureur s'était engouffré dans ses iris bleus. Beatrice avait eu peur de cette face obscure mais ce soir, elle comprenait qu'elle avait agi par ignorance. La violence ne se justifie pas mais dont-on pour autant condamner ?

Richie méritait plus que ce jugement à l'emporte-pièce. Sans lui, elle serait certainement morte à cette heure et, en guise de remerciement, elle l'avait laissé au bord du chemin.

Il pleuvait sur la ville avec la même force que sur son cœur.