Les ragots de Mamie Estelle
Elle quitta New York par le dernier vol.
Un fil d'or courait sur l'horizon quand son avion atterrit à Miami. Le futur de sa relation amoureuse ne tenait qu'à ce lien, avait-elle l'impression.
Tous ses nerfs vibrant à l'unisson, elle attendait l'ouverture de l'agence de location, avala d'un trait deux espressos. Le monde semblait gorgé de lumière comme si elle avait ouvert au maximum le diaphragme de son appareil photo.
Des nuages d'un blanc de coton avançaient sur la Grande Bleue quand elle arriva à Rum Cay. Un instant, elle hésita entre aller là où il travaillait ou à la maison de ses grands-parents. Il lui tardait aussi de revoir Papy Merrill et Mamie Estelle ; aussi roula-t-elle jusqu'à Catfish Bay.
La brise, par la vitre baissée, apportait de douces rumeurs. Un instant, Beatrice se laissa bercer. Le klaxon tonitruant d'un camion qui arrivait en contre-sens la tira de sa rêverie.
Le cœur battant à tout rompre, elle se gara devant la maison bleue. Hormis la danse indolente des palmiers, rien ne bougeait. Quelques notes de jazz lui parvinrent par la fenêtre de la cuisine.
Son doigt n'était pas très sûr quand elle appuya sur la sonnette. La surprise s'inscrusta l'espace d'un instant sur le visage de Mamie Estelle puis apparut un mélange de plaisir et de ressentiment. Sous les pieds de Beatrice, le monde était comme un tapis roulant en marche.
Papy Merrill vint et dit :
" Estelle, voyons, ne sois pas si revêche. Entrez donc. "
Ses yeux riaient. Richie était parti pour la journée à Key West pour quelques livraisons pour son travail. Il reviendrait au soir, expliqua Mamie Estelle. Elle ajouta :
" Il sera très heureux de vous voir.
- Je ne lui ai pas trop fait mal en partant ?
- Richie ne parle pas beaucoup de ces choses-là. Il a souffert mais il sait faire preuve de résilience. L'abandon est un aiguillon difficile à ôter.
- J'en suis désolée, Estelle.
- Ne le soyez pas, ajouta Papy Merrill en prenant la main de Beatrice. Vous êtes revenue, c'est l'essentiel.
- Vous voulez un bout de tarte ? "
Par la pâtisserie, la hache de guerre fut enterrée ; si jamais fut-elle déterrée un jour. Le soleil poursuivit sa course au rythme des verres de citronnade, des parts de tarte et des albums photo. Les heures s'écoulaient, aériennes mais lentes car il tardait à Beatrice de retrouver Richie.
Quand elle n'y tint plus, elle descendit à la plage. Elle avança dans l'eau tiède et ondoyante jusqu'aux genoux. D'un sourire malin, Mamie Estelle lui avait assuré :
" Je dirais à Richie que quelqu'un veut le voir. "
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