Chapitre 1 :
Will Marx :
Mon cœur bat trop fort alors que j'actionne la poignée. J'ignore ce que je vais découvrir derrière cette porte, la terreur m'étreint. J'entends encore les supplications de Loli résonner dans le téléphone, la peur et la douleur transparaître dans sa voix brisée.
J'inspire profondément, tente de me gorger d'un courage que j'ai perdu lorsqu'il m'a quitté, puis entre dans la chambre. Je ferme d'abord les yeux pour ne pas être acculé par la douleur, bien que mon palpitant souffre depuis que je suis seul, et les rouvre lentement en cessant de respirer. La scène qui s'étend face à moi est d'une tristesse étouffante, d'une fatalité brûlante.
Trésor, qu'as-tu fait ?
Je me précipite vers Angelo, son visage livide me retourne l'estomac mais pas plus que l'aiguille plantée dans son bras. Ses paupières sont closes et bleues, son souffle est lent, probablement trop pour que cela soit normal. Mes doigts tremblent lorsque je retire la seringue piquée dans le creux de son coude. Je la jette à travers la pièce pour ne plus la voir, cette vision est insupportable.
Lolita et Bérénice ne sont pas là, j'ignore où elles sont parties et me demande comment elles vont le temps d'une seconde, avant de reporter mon attention sur celui qui inonde chacune de mes pensées. J'encercle son visage de mes paumes, me penche pour embrasser ses lèvres glacées tandis qu'un désespoir immense me fait vaciller.
— Mon trésor, où t'es-tu égaré ? Soufflé-je contre sa bouche. Reviens vers moi, s'il te plaît.
J'ouvre les yeux en sursautant lorsqu'un éclat de rire résonne près de moi. Je peine à comprendre ce qu'il se passe et où je me trouve, jusqu'à ce que les bribes de ma soirée me reviennent en mémoire. Un mal de crâne m'assaille quand je tente de me redresser. La musique s'élève encore, les rires fusent alors que moi, j'aimerais m'effacer, rentrer chez moi pour vivre mon chagrin, caché sous une couverture.
Mon cœur bat trop vite, il ne s'est pas encore remis de cet horrible cauchemar. Cela fait des nuits que je dors mal, malmené par des rêves qui mettent en scènes les plus tragiques événements. Mon subconscient fait des siennes, soit il me montre Angelo suivant le même affreux parcourt que sa mère, drogué jusqu'à ce que sa douleur ne devienne qu'un voile de fumée, soit, il me dessine son corps ensanglanté et son pouls presque éteint. Ça me rend malade de ne pas savoir comment il va. Vit-il la situation aussi mal que moi ?
— Comment tu as fait pour t'endormir au milieu de tout ce bordel ? m'interoge Pietro en se laissant tomber à mes côtés sur le canapé.
Je hausse les épaules, me frotte vigoureusement le visage puis attrape un verre de rhum qui traîne sur la table de salon.
— Je sais que les évènements sont pourris, Willy, mais tu ne peux pas te laisser aller comme ça.
— Ça va passer, murmuré-je en ignorant s'il m'entend par-dessus la musique. J'ai besoin de dormir, c'est tout, mais chaque fois que j'y arrive... les mêmes images tournent et je...
— Tu ne comptes toujours pas me dire ce qu'il s'est passé ?
— Il n'y a rien à dire. Angelo m'a quitté, je me sens seul et paumé.
— Je suis là, mon Faucon, tu le sais, n'est-ce pas ?
La main de mon meilleur ami passe dans mes cheveux, il attire ma tête près de ses lèvres pour embrasser mon front. Je ferme les yeux, ravagé par une peine immense. J'ai envie de pleurer et hurler. Comment en suis-je arrivé là ?
— Ouais, je le sais, soufflé-je la gorge nouée.
— Je t'aime, mon frère, n'oublie jamais ça. Peu importe dans quoi tu t'embarques, à quel point tu te casses la figure, je te rattraperai quoi qu'il arrive.
— L'alcool t'a toujours rendu sentimental, dis-je en appuyant ma tête contre son épaule.
— Enfoiré, ricane-t-il.
Je souris même s'il ne peut pas s'en apercevoir. Ses mots m'apaisent mais il n'a pas besoin de les prononcer pour que je le sache. Ça a toujours été ainsi entre nous, il est mon garde-fou et je suis le sien.
J'avale une gorgée de rhum tandis que je zieute ce qu'il se passe dans le salon des Rivierra. Judas est ivre et se chamaille avec Valentin au sujet de la playlist qui tourne en boucle depuis des heures. Les parents de Pietro ne sont jamais présents, c'est toujours chez eux que nos fêtons nos réussites. Si mes coéquipiers sont ici pour notre victoire contre les Lynx d'Indianapolis, je suis là uniquement pour me noyer dans un lac de rhum.
— Ils ne sont pas cons, ils ont bien compris que leur capitaine n'est pas en forme depuis plus d'une semaine.
Je soupire et me redresse pour croiser le regard sombre de Pietro.
— Ouais, mais ça ne les regarde pas. Je n'ai rien à leur dire.
— Je sais, et Bloom aussi. Nous sommes tes amis, on ne te lâchera pas mais les autres ne seront peut-être pas aussi indulgents quant à ton manque d'intérêt pour l'équipe.
— J'en ai conscience. Mais en ce moment, je m'en fous, tu vois.
— Carter va probablement propager des rumeurs débiles et engrainer d'autres connards dans ses délires, tu ne dois pas te laisser abattre sur ce qu'ils diront, d'accord ?
— Je m'en branle de ce qu'ils pensent, grogné-je avant d'avaler le reste de mon verre. Ils ne savent rien de ma relation avec Angelo.
— C'est vrai, et je te connais, Will. Je sais que tu ne vas pas abandonner si facilement alors fait en sorte que DeNil accepte la situation ou, relève-toi et bats-toi pour avancer sans lui plutôt que de crouler comme tu le fais.
Pietro ne sait pas tout, j'ai omis les détails les plus importants pour ne pas divulguer les secrets de mon trésor. Il ignore tout de sa maladie mentale, de ses besoins incessants de souffrir, de saigner. Si mon meilleur ami sait que je vis mal notre rupture, il ne sait pas pourquoi j'en pâtis de la sorte. C'est compliqué d'évoluer lorsqu'on doit taire la vérité. Comment peut-il savoir quoi me dire alors qu'il est persuadé que j'ai mal parce que la personne que j'aime m'a rejeté alors qu'en réalité, je suis mort de peur à l'idée qu'Angelo s'ouvre les veines et succombe à sa douleur ?
Que ferais-je de mon cœur lorsqu'il sera seul dans le noir ?
— Il ne veut plus de moi, soufflé-je. Je l'ai appelé, je me suis rendu chez lui tous les jours depuis notre séparation mais les portes restent closes.
— Alors, fracasse-les, ces putains de portes, Faucon !
Un long soupir m'échappe tandis que je remplis mon verre pour la quinzième fois depuis que je suis arrivé chez les Rivierra. Pietro a raison, je dois me battre, mais comment faire quand le manque nous étreint l'âme ?
— Rends-toi minable ce soir, oublie tout pour cette fois, me conseille-t-il. Tu auras le temps d'y repenser demain. La nuit porte conseille, plus encore lorsqu'on est ivre mort !
J'aquiesce, avale mon verre d'un trait avant d'en servir un autre.
Regarde ce que tu as fait de moi, DeNil !
Dans la vie, certains événements nous marquent au point de chambouler toute notre existence. Angelo m'a brûlé au fer rouge, son regard scrutateur et ses lèvres ourlées d'un sourire narquois ont détruit chacune de mes certitudes. Si je pensais me connaître, j'ai réalisé que j'ignorais tout de moi avant qu'il déboule dans ma vie telle une tornade indomptable. Il est mon bouleversement, ma remise en questions. Il est mon obsession, ma mélancolique évidence.
Je crois que je pourrais tout surmonter pour un de ses baisers, même sa folie lorsqu'il perd pied.
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