Chapitre 2, partie 1 :
Will Marx :
Je me traine jusqu'à la cuisine, les jambes en coton et le cœur toujours aussi meurtri.
Dix-sept jours...
Cela fait dix-sept jours qu'Angelo ignore mes appels, ne vient pas au lycée et refuse de me voir quand je laisse mes pieds me guider jusqu'à chez lui. Loli me répète inlassablement les mêmes paroles lorsqu'elle m'ouvre la porte.
" Pas encore, Will, je suis désolée. Réessaie demain. "
Chaque fois que je me présente chez les DeNil, j'entends la même chanson entêtante, tel un disque rayé que j'aimerais oublier. Les heures passent, les jours également et la douleur s'accroît.
— Tu as encore plus mauvaise mine qu'hier, Willy, soupire ma mère. Tu es certain de ne pas être malade ?
Je me laisse tomber sur une chaise et attrape la tasse fumante qu'elle vient de poser sous mon nez.
— Non, maman, je ne suis pas malade.
Peut-être que si finalement, je suis malade d'amour.
— Alors que se passe-t-il ? Nous nous inquiétons, ton père et moi.
— Ce n'est rien, je t'assure, tenté-je de la rassurer pour la millième fois.
Elle s'installe face à moi, enlace nos doigts, puis caresse ma peau de ses pouces en me fixant avec beaucoup d'intérêt.
— Est-ce à cause de ta rupture avec Marianna ?
Je grimace en entendant son prénom. Je fais tout pour ne pas la croiser lorsque nous sommes au lycée, les mecs ne me parlent plus d'elle et il fallait que ma mère le fasse.
— Non, ça n'a vraiment aucun rapport avec elle.
— Alors tu admets qu'il y a bien quelque chose qui ne va pas ?
— Maman, grondé-je, stop.
— Est-ce au sujet de ta bourse ? Je te promets qu'avec papa on va trouver une solution. On ne va pas laisser ton avenir à la cave.
Je viens à peine de me lever, mes nuits sont courtes et désastreuses, pourtant elle me donne déjà l'envie de retourner me coucher. Je ne veux subir d'interrogatoire, ni penser à toutes ces choses que je tente d'oublier mais qu'elle ne cesse de me rappeler en faisant des suppositions.
— Ce n'est pas ça non plus, me lamenté-je. Écoute, maman, je viendrais vous en parler quand je m'en sentirais capable, d'accord ? Mais pour l'instant, j'ai juste envie d'être tranquille.
Elle me fixe un long moment puis finit par hocher la tête en soupirant.
— En as-tu discuté avec Pietro ? Ce n'est pas bon de tout garder pour soi, tu dois réussir à en parler avec quelqu'un.
— Vaguement, d'ailleurs il sera là bientôt.
Elle ne dit rien, comme chaque fois que je l'informe de sa venue. Il est un membre à part entière de notre famille.
— Ta lèvre est guérie, fait-elle remarquer, mais tu as tout de même gardé une cicatrice.
Je ferme les yeux, tente de ne pas penser à lui. Mes efforts s'avèrent vains, son visage apparaît dans ma tête, les dernières paroles qu'il a prononcé résonnent à mes oreilles.
" Ce n'est pas notre faute, mais ta lèvre ouverte c'est la mienne et je ne veux plus jamais être responsable de ça. "
Je retiens le hoquet de détresse qui menace de s'échapper, mon cœur se fissure davantage. Je crois ne jamais avoir connu pareille douleur.
— Rappelle-moi comment tu t'es blessé ?
— Je me suis pris un ballon au visage pendant un entraînement, soufflé-je submergé par les souvenirs qui me hantent depuis des jours.
— Oh, exact.
Je lève les yeux au ciel alors qu'elle s'éloigne en faisant mine de rien. Je sais qu'elle doute de mes dires et tente de me soutirer les vers du nez, mais je ne me laisserais pas avoir.
J'aimerais simplement oublier ce que je ressens, l'oublier lui. Non, jamais ! C'est impossible, il est ancré en moi.
La porte d'entrée s'ouvre. Je ne relève pas la tête, c'est mon meilleur ami qui débarque.
— Yo, s'exclame-t-il, ravi de vous voir m'dame Marx.
Il lui embrasse la joue et se jette sur un tabouret, celui en face du mien.
— Putain, t'as vraiment une sale tronche.
— Ouais, merci c'est cool, grogné-je en avalant mon café.
— Tu n'as pas dormi une nuit complète depuis combien de temps ?
— J'en sais rien, j'ai dû fermer l'œil deux heures cette nuit.
Il me fixe pendant un instant, les sourcils froncés, puis lâche un sourire parfait à ma mère lorsqu'elle lui apporte son éternel verre de jus de fruits. Mon père entre dans la cuisine, Jude dans les bras. Il dépose une boite remplie de gâteaux sur la table avant d'embrasser les lèvres de sa femme.
— Servez-vous les enfants, nous invite-t-il.
— Toujours pas d'ADN ? s'intéresse Pietro.
— Toujours pas.
Il me regarde avec compassion pendant trois secondes puis se lève pour fouiller dans la boîte de pâtisseries. Il sort un scone à la crème qu'il garde prisonnier entre ses dents avant d'approcher le carton près de moi.
— Avale quelque chose, tu en as besoin.
Je le fusille du regard alors qu'il ricane comme un con.
— J'aime ça, quand tu me fixes avec cet air de psychopathe !
Je soupire d'exaspération alors qu'il continue de rire. Mes yeux se baissent sur les gâteaux, mon sang se glace.
— Depuis quand on mange des macarons dans cette maison ?
Tout le monde se tourne vers moi, étonnés par mon ton cinglant. Même la vue de ses pâtisseries préférées me fait mal au cœur. Est-ce normal d'être atteint de la sorte ? Ma douleur est si grande, telle une plaie béante et purpurine au creux de ma poitrine. Angelo la ressent-il également, cette souffrance latente qui s'éveille au moindre petit détail, aussi insignifiant soit-il ?
— Il y en avait à la boulangerie, je me suis dit que ça changeait, déclare mon père en me fixant étrangement.
— Je n'ai pas faim, je monte, lâché-je en m'éloignant déjà.
— Attends, Willy, crie Jude, tu peux me lire Robin des bois ?
— On verra plus tard, champion. Là, je...
Ma phrase reste en suspens, j'ignore quoi dire et ne possède pas le courage pour un énième mensonge empreint de culpabilité.
Je n'ai pas la tête à ça, je suis bon à rien sauf à penser à Angelo. Je ne cesse de l'imaginer en train de se faire du mal, de voir son sang couler sur ses bras en étant impuissant face à cette scène atroce. Je vois les marques sur sa peau, chacune de ses blessures et chaque fois, j'en ai la nausée.
J'ai besoin de savoir comment il va pour avancer ou du moins essayer. Loli me soutient que ça pourrait être pire mais comment puis-je en être certain ? J'attrape mon téléphone, fais défiler les photos jusqu'à ce que son visage apparaît. Je me retiens de jurer, de hurler. Bon sang, pourquoi ça fait si mal ?
Finalement j'ouvre le fil de conversation, relis la trentaine de sms que je lui ai écrit sans jamais avoir de réponses.
Sms de WillLeMagnifique à Angel :
Dis-moi seulement si ça va...
Je me sens nul d'insister ainsi, j'ai l'impression de me comporter comme un harceleur mais ses silences me rendent fou.
Je sursaute, comme pris en faute, lorsque la porte de ma chambre s'ouvre à la volée. Pietro se laisse tomber sur mon lit en râlant.
— Bouge ton cul, fais-moi une place.
Je recule sans protester, sa présence apaise mes errances. Il passe un bras sous sa tête et fixe le plafond alors que je louche encore sur l'écran du téléphone.
— T'as conscience que tu ne peux pas rester comme ça ?
— Que veux-tu que je fasse ? soupiré-je. Il refuse même de répondre à un sms.
— Trouve de quoi t'occuper l'esprit ? T'es à chier pendant les entraînements, tu manges à peine et tes cernes sont plus bleus que tes yeux.
— Ouais, merci de me rappeler à quel point je suis en forme, grogné-je.
— Je dis juste que ça doit être infernal de vivre comme ça, essaie de penser à autre chose.
— Tu crois sérieusement que c'est si simple ? C'est plus facile à dire qu'à faire, je ne peux pas l'effacer juste en le souhaitant.
— Je le sais bien, mon Faucon tyrannisé par un petit con de deuxième année. Tu l'aimes vraiment, hein ?
— Tu en doutes encore ? soupiré-je.
— Pas du tout. Tu as passé plusieurs années avec Marianna et je ne t'ai jamais vu dans cet état. Dis-moi ce qu'il a de si spécial pour réussir à ravager ton cœur.
— Je n'ai pas de raison à te donner. C'est comme ça, je n'y peux rien. Il est constamment dans ma tête. Son rire résonne comme une foutue litanie qui ne cesse jamais, et putain, j'en ai pourtant jamais assez. C'est pas suffisant, tu vois ? Je veux davantage de ses sourires et j'en peux plus, merde, d'être comme un con à me demander s'il pense à moi...
— Qui il est pour te briser comme ça ? insiste-t-il. Allez, Willy, parle encore !
— Pourquoi tu fais ça ? me lamenté-je. Ça fait mal, Pietro. Aimer, c'est de la connerie.
Je clos les paupières alors que mes yeux brûlent de larmes que je m'interdis de verser.
— Aimer ? répète-t-il. Crache le morceau, qu'est-ce qui te fascine autant chez lui ?
— Sa façon d'être. Son sale caractère, il me rend fou, mais j'adore ça. Et puis, sa manière de toujours dire ce qu'il pense. Il n'a aucune barrière, c'est explosif, parfois à ne plus rien comprendre, mais c'est génial aussi. J'aime celui que je suis quand il est avec moi.
— Je suis content de ne pas avoir entendu une débilité du genre " j'aime tout chez lui ".
Je me frotte le visage en soupirant. J'ignore ce que mon meilleur ami cherche à faire mais il semble satisfait de la tournure que prend notre conversation.
— Il y a énormément de choses que je n'apprécie pas chez lui, enfin... que j'aimerais changer plutôt. Il est trop dur avec lui-même, ne porte pas assez attention à sa sécurité, il se met continuellement en danger, marche sur du charbon ardent. Tout le temps. Et aussi, il se dévalorise beaucoup trop souvent.
— Depuis quand t'as pas joui ?
Je fronce les sourcils, complètement perdu quant à sa succession de questions parfaitement aléatoires.
— Quoi ?
— Réponds ! ordonne-t-il en me bousculant de l'épaule.
— Dix-huit jours, bougonné-je en fermant les yeux.
— Je ne te parle pas de plaisir solitaire, mais d'actes entre deux personnes.
— Dix-huit jours !
Il se redresse, fait rebondir le matelas en s'asseyant face à moi. Ses yeux noirs me sondent.
— Alors, toi et DeNil, vous av...
— Ouais, le coupé-je.
— C'est toi qui a donné ou c'est lui ?
— Putain, t'es sérieux ?
— Tu sais très bien que peu importe ce que tu diras, jamais je ne te jugerais alors réponds et arrête de faire la forte tête.
— C'était moi, capitulé-je.
La scène se joue dans ma tête, son visage crispé par le plaisir, ses gémissements et ses doigts dans mes cheveux. Putain... Ma langue frotte mon palais, j'imagine son érection entre mes lèvres, le goût salé de son désir dans ma bouche.
— C'est bien ce qu'il me semblait !
— De quoi tu parles ?
Je ne comprends plus rien, j'ai trop peu dormi pour parvenir à le suivre.
Pietro pose sa main sur mon genou puis le presse doucement. Son expression est douce, ce qui est assez rare puisque les traits de son visage sont naturellement épais et souvent sévères. Son sourire fait apparaître ses dents légèrement écartées alors qu'il se penche vers moi.
— Aimer, c'est pas de la connerie, mon frère. Ça fait mal parfois, je vois bien que tu souffres depuis que DeNil t'a demandé de partir, mais malgré ta douleur, ce qu'il se passe dans tes yeux quand tu parles de lui, c'est beau.
— C'est pas supposé faire mal d'être amoureux, soufflé-je le cœur lourd.
— Bien sûr que si ! Les sentiments sont loin d'être touts roses. Aimer ça fait mal, mais pas seulement, on a tous été témoin de ton évolution quand tu t'es séparé de Marianna pour te mettre avec Angelo. C'était inattendu pour beaucoup, c'est vrai, mais l'amour ce n'est pas quelque chose que tu peux contrôler alors souvent ça s'avère difficile à gérer, surtout quand on n'est pas préparé à de tels changements mais tu ne peux pas dire que c'est une connerie.
— Il ne veut plus de moi, répété-je pour la énième fois. Il m'a laissé seul, et maintenant je suis sensé faire quoi de tout ce que je ressens ?
— Bats-toi, putain, Will ! S'il y a bien une personne déterminée pour atteindre ces objectifs, c'est toi !
Je reste silencieux, j'ignore quoi répondre. J'ai conscience qu'il a raison, mais Angelo n'est pas un objectif, il est celui avec qui je veux avancer. C'est différent, et beaucoup plus dur que de travailler d'arrache-pied pour réaliser ses rêves. Il n'est pas un but, pas une réussite non plus, encore moins une défaite. Il est celui qui fait pulser mon cœur, celui qui l'abîme aussi.
— Ne te laisse pas abattre ! Est-ce que tu veux que je lui pète la gueule pour t'avoir fait du mal ?
— Quoi ? m'exclamé-je. Pas du tout, t'es malade ou quoi ?
— C'était une simple suggestion, dit-il en haussant les épaules, un sourire au bout des lèvres. Ne t'énerve pas.
— C'est bidon comme suggestion, ne me sors plus jamais une telle connerie.
— Ça roule, je retiens ça. Bon, allez bouge ton cul, Roméo, on va être en retard au bahut. Mais après ça, tu vas me faire le plaisir de sauver ton petit cœur tendre qui souffre comme un martyr ! Soit tu obliges le blondinet à t'affronter pour que vous puissiez discuter et mettre les choses à plat, soit, tu viens chialer dans mes bras jusqu'à ce que je ramasse chaque morceau de ton organe amoureux et désespéré !
Je me lève en soupirant alors que Pietro quitte la chambre. Je n'ai pas envie d'aller au lycée, je veux seulement rester dans mon lit pour ruminer. Je me traine jusqu'à la salle de bain pour une douche rapide, sans prendre la peine de me raser, ni même de me coiffer. J'enfile les premiers vêtements que je trouve dans mon placard et rejoins les autres à la cuisine.
Je n'ai pas le courage d'attendre ce soir pour me rendre chez Angelo, comme Pietro me l'a suggéré. Je vais tenter ma chance pour la énième fois. Si mes efforts se révèlent encore vains, alors je laisserais du temps au temps. Même si je souffre, j'accepterais sa décision. Je ne peux pas lui forcer la main, bien que l'attente me tue.
— Je te rejoins plus tard au lycée, chuchoté-je en passant près de mon meilleur ami.
— Que vas-tu faire ?
— Passer chez DeNil, je serai là pour l'heure d'après.
— Tu prends de l'avance ! Tu fais toujours tout dans le désordre, s'amuse-t-il. Bon courage, Faucon.
Je hoche la tête et récupère mon sac de cours qui traîne aux pieds de la table.
— À ce soir, crié-je pour mes parents.
— Tu ne pars pas avec Pietro ? questionne ma mère.
— Non, m'dame Marx. J'ai oublié un devoir, je dois repasser chez moi avant d'aller au lycée.
Je souris à mon ami pour le remercier de m'avoir couvert. Si nous partons en même temps, il sera en avance pour notre première heure.
J'inspire profondément puis quitte la maison alors que mon cœur bat déjà beaucoup trop vite.
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