Chapitre 3, partie 1 :

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Quelques instants plus tôt.

Angelo DeNil :

J'ouvre les yeux avec difficulté. Ils me brûlent déjà, pourtant ma chambre est plongée dans l'obscurité. J'ai sûrement trop pleuré, trop saigné également. Le mal de tête qui m'assaille est présent pour me le rappeler. Il est encore tôt, trop pour me lever, affronter ma sœur et son regard sévèrement démuni. Je ne compte même plus le nombre de fois où elle m'a répété que je faisais une erreur. Ce n'est pas ainsi que je vois les choses, je tente seulement de protéger une personne qui compte pour moi. Est-ce une erreur de tenir éloigner les gens qu'on aime d'une source de problèmes ? Je ne crois pas.

Comme chaque matin, j'examine le téléphone, celui qui ne me sert strictement à rien depuis que j'ignore Will. Et comme chaque matin un message m'attend, routine journalière et entêtante qui me brise un peu plus à chaque vibration de cet appareil de malheur.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Dis-moi seulement si ça va...

" Non, William. Ça ne va pas parce que tu me manques et que la douleur devient plus brutale à chaque fois que tu m'écris ou que tu m'appelles. Ça ne va pas parce que ta lèvre blessée par ma folie me tourmente et les images ne me lâchent plus. Ça ne va pas parce que j'ai envie de toi, te voir, t'entendre, te toucher et que tu me touches, que tu m'aimes, mais je ne te mérite pas. "

C'est ce que je devrais lui répondre, ce qui me brûle les doigts mais je m'abstiens en frottant rageusement la larme qui roule sur ma joue.

J'entends Loli s'affairer de l'autre côté de la cloison. J'ai délaissé mes obligations depuis plusieurs jours, la laissant ainsi prendre les commandes de la maison. Je culpabilise de laisser ma petite sœur se charger de mes tâches mais je ne suis plus bon à rien. Une âme triste et perdue, errante et solitaire.

Elle frappe doucement contre la porte, puis entre en silence. L'instant suivant, elle est contre moi dans ce lit qui me rend malade depuis que l'odeur de Will s'est dissipée.

— Je vais bientôt partir, m'informe-t-elle alors que sa tête repose sur mon épaule. Tu vas en cours ?

— Ouais, grogné-je d'une voix caverneuse, j'ai des heures après-midi et Mona va me tuer si je n'y vais pas.

— Ça te fera du bien de sortir un peu, m'assure-t-elle.

— Ouais c'est génial, je vais devoir éviter Marx et entendre les conneries des autres. Ça va me faire énormément de bien.

— Ne vois pas les choses sous cet angle, soupire-t-elle. Puis, je continue de penser que c'était une mauvaise idée de rompre avec Will.

— Ton opinion ne changera rien à la situation.

— Tu es beaucoup trop têtu.

— Non, dangereux. Nous en avons eu la preuve lorsque j'ai perdu pied alors qu'il était là !

— Arrête de t'en vouloir, ce n'est pas ta faute.

— Cessez de tous me répéter ça, m'agacé-je. Je ne suis pas demeuré, ok ?

Loli s'apprête à répondre, je ne la vois pas dans la pénombre de la chambre mais je l'entends prendre une respiration avant d'ouvrir la bouche. Elle est stoppée dans son élan lorsqu'on frappe contre la porte d'entrée. Je sais que c'est lui, il a frappé de cette façon qu'il lui est propre. Deux coups légers, un coup plus dur et un dernier presque imperceptible. Je soupire en couvrant mon visage de l'oreiller, je ne supporte plus de le savoir si près sans me laisser le droit de l'approcher. C'est un réel supplice.

— Comme d'habitude ?

— Ouais, comme d'hab.

— Tu as de la chance que je ne sois pas encore partie, sinon tu aurais dû lui ouvrir la porte.

— Non, je l'aurais laissé frapper jusqu'à ce qu'il en ait marre et qu'il s'en aille.

— Tu as vraiment une drôle de façon d'aimer les gens, conclut-elle en quittant la chambre.

Ce n'est pas étrange, c'est simplement un moyen de le garder en sécurité. Pour le moment il ne comprend pas, mais il finira par s'en remettre et passer à autre chose. Une rupture n'est pas la fin du monde. Enfin, pour moi ça l'est probablement, j'ai l'impression que la terre a cessé de tourner, mais pour Will, c'est une mauvaise période à surmonter. Il est fort, bien plus que moi et je suis certain qu'il s'en remettra. Il se trouvera une belle femme, intelligente et gentille qui ne lui fera pas de mal, qui réparera son cœur que j'ai blessé et malmené. Ou peut-être un homme, je n'en sais rien, y songer me rend malade. Je ne suis qu'un putain d'égoïste, je refuse sa présence mais crèverais s'il trouve quelqu'un pour le rafistoler. C'est contradictoire, insensé, parfaite représentation de ce que je suis. Finalement, ça paraît logique, comment pourrais-je voir les choses différemment ?

Je me lève en soupirant, si je reste plus longtemps dans ce lit, je vais agir d'une façon que Will déteste. Je l'ai déjà fait plus que nécessaire. J'ignore s'il y a encore une parcelle de peau sur mes avant-bras. C'est affreusement douloureux, horriblement dégoûtant, à tel point que je n'ose même plus regarder.

Marx a cassé mon dérivatif, je le hais pour ça. Souffrir ne me permet plus de vider mon esprit de son surplus de pensées destructrices, ça ne m'empêche pas de penser à lui. C'est pire encore puisque son visage dévasté fait irruption devant moi chaque fois que la lame glisse sur ma peau.

J'ignore comment c'est possible que je sois encore en vie avec tout le sang que je perds lorsque je tente de l'effacer de ma mémoire. Je dois être sacrément coriace finalement, plus que je le pensais mais beaucoup trop faiblard sur le plan mental. Je ne suis qu'un corps presque mort pour une âme enterrée depuis longtemps.

Dans le salon je découvre une parfaite copie de ce que je vois en général. Bérénice ronfle, un bras pendant vers le sol alors qu'une aiguille souillée repose sur la table basse. Je n'ai pas la force d'aligner mes pas pour la jeter à la poubelle. C'est ma première tâche au réveil, mais je n'y fais plus attention depuis quelques jours. Je ne devrais même pas avoir à le faire. Quel enfant repasse derrière sa mère pour se débarrasser des vicieuses preuves de son addiction ? Le plus malheureux dans tout ça, c'est que cela est un rituel journalier depuis que j'ai treize ans.

J'avale mes médicaments avec un fond de café froid. Eux seuls m'empêchent de chuter complètement dans le gouffre purpurin de ma souffrance intarissable, semblable aux sanglots que je laisse pleuvoir lorsque je suis isolé.

J'entends Loli parler depuis l'extérieur de la maison. J'ignore ce qu'elle dit mais je distingue sa voix, celle de Will également. C'est frustrant de ne pas réussir à comprendre leurs mots. La seule chose qui résonne en moi et qui se répand jusqu'à mon cœur abîmé, c'est la tristesse que je perçois dans l'intonation de chacune de ses phrases. J'imagine ses yeux océan devenus orage, ses doigts tirer sur la fermeture de son blouson ouvert, action qu'il effectue dès qu'il est perturbé. Je m'en suis aperçu lorsque nous étions encore en forêt, comme un geste qu'il utilise pour calmer ses nerfs à vifs. C'est devenu un automatisme chaque fois que nous parlons de mes coupures, et s'il ne joue pas avec la fermeture de son blouson, c'est le cordon de son sweat qu'il maltraite, sinon c'est tout simplement le tissu qu'il triture entre le pouce et l'index. J'ignore s'il se rend compte qu'il a continuellement besoin d'occuper ses doigts lorsqu'il s'égare, mais moi je l'ai vu.

À pas de loup, j'approche de la fenêtre, celle la plus éloignée de la porte d'entrée. Je ne sais pas si je suis discret alors que je soulève le rideau poussiéreux pour l'admirer, mais son attention reste portée sur Lolita. Mon cœur s'enrage brusquement lorsque je pose le regard sur lui. Je détaille son visage que j'ai la sensation de ne pas avoir vu depuis des années. Ses cheveux bruns mal coiffés qui tombent négligemment sur son front, presque sur ses yeux et qui gouttent à cause des nuages qui pleurent comme mon âme en peine. Ses yeux tristes et ombrageux tel le ciel au-dessus de sa tête, cernés comme s'il n'avait pas dormi depuis plusieurs nuits. Ses lèvres pincées, tremblantes, et celle du bas guérie mais marquée à jamais par ma folie. Puis mon regard dérive vers ses larges épaules affaissées par le poids de la douleur. Et enfin, je les vois, ses doigts qui jouent nerveusement avec la fermeture qu'il s'évertue à faire glisser sur le rail de son manteau. J'aurais souri si la situation n'était pas si désastreuse, seulement parce que j'avais prédit son comportement. Au lieu de ça, c'est simplement une énième larme qui roule sur ma joue.

Regarde comme il va mal... Tu peux changer ça, Angelo.

" Te revoilà, Loupiote. "

Je suis là uniquement parce que ta vraie lumière est sous ton nez.

" Alors tu repartiras quand Will ne sera plus là ? "

Je suis lui, tu m'as créée à son image.

Je secoue la tête pour effacer cette voix qui me malmène davantage qu'Ombre. Je sursaute vivement lorsqu'une porte claque violemment.

Foutue Bérénice ! Je ne l'ai pas entendu se lever, trop perturbé par la vision de Will. Je me plaque contre le mur, écrase ma poitrine de ma paume, désormais essoufflé comme un marathonien en fin de course. J'espère être passé inaperçu. Je ne désire pas qu'il sache que je le scrute en secret pour apaiser mon âme fracassée.

Loli rentre quelques instants plus tard alors que j'ai toujours le souffle court et le dos contre la cloison.

— Tu aurais pu venir lui dire bonjour au lieu de le regarder de loin, me réprimande-t-elle en enfilant son blouson.

— Ça n'aurait qu'aggravé la situation.

— S'il ne t'a pas vu c'est qu'il est aveugle.

— Ne m'en parle pas, je t'en prie.

— Tu fais n'importe quoi, soupire-t-elle.

Elle s'approche pour embrasser ma joue. Sans réfléchir, je l'attire dans mes bras et la plaque trop fort contre mon torse. J'ai besoin de ça, de chaleur humaine pour ne pas m'effondrer comme une loque.

— Il souffre de la même façon que toi, murmure-t-elle, maintenant laisse-moi, je ne respire plus.

Je défais ma prise en glissant sur elle un regard désolé.

— Je t'aime, Lolo, même si je ne suis pas d'accord avec toi.

— Je t'aime aussi, soupiré-je alors qu'elle récupère son sac à dos.

Elle me sourit puis quitte la maison pour rejoindre son arrêt de bus. Je récupère entre mes doigts tremblants le téléphone qui vient une fois de plus de s'allumer.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Je t'attends, Angelo...

" C'est inutile, Will... "

Si j'étais lui, je ne m'attendrais pas, je ferais même tout pour ne plus jamais entendre parler d'une personne telle que moi. Il doit sûrement être masochiste. Je ne vois pas d'autre explication qui pourrait justifier son envie d'être avec un malade mental qui met les gens en danger.

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