Chapitre 3, partie 2 :
Angelo DeNil :
Les heures sont longues jusqu'à ce que vient enfin le moment d'affronter le lycée. J'ai passé la matinée à tenter de trouver des solutions pour éviter Will, en repassant sans cesse le plan du bahut dans ma tête pour être certain de longer les couloirs qu'il utilise le moins. J'ignore Rose également, même si je sais que pendant nos cours elle sera assise près de moi à me poser un tas de questions et me réprimander de ne pas avoir répondu à ses textos. Je préférais le temps où je ne possédais pas cet engin de malheur, du moins seulement depuis que j'ai décidé de ne plus côtoyer Marx.
Je n'ai pas le temps d'entrer dans la salle de classe de Noël qu'il m'intercepte déjà.
— Angelo, attends. Je vais te donner les images prises des footballeurs pour les articles du journal de la semaine prochaine.
— Euh ouais, qu'est-ce que je suis supposé en faire ? m'indigné-je.
— Donne les au capitaine ou au coach Murray, celui que tu croises en premier. Mais dépêche-toi, leur entraînement va bientôt commencer.
Putain, est-ce une plaisanterie ? Pourquoi le sort s'acharne-t-il sur moi de cette façon ?
— Pourquoi moi ? Et puis à quoi ça va servir ?
— Parce que tu as loupé deux semaines de cours et que pour cette raison tu n'as pas d'exposé à étaler devant tes camarades. C'est aux joueurs de choisir leur photo pour l'article, ça a toujours été ainsi.
Sans blague ? Comme si je ne le savais pas. Seulement, ça me pose un sérieux problème cette fois, parce que ça signifie que je vais devoir le voir, sauf si je m'arrange pour tomber sur Murray en premier. Cela dit, ce n'est pas gagné, étant donné que je dois passer par les vestiaires pour atteindre son bureau.
Je récupère le dossier que Noël me tend en ronchonnant. Je savais que c'était une foutue mauvaise idée de revenir ici.
Je traverse le lycée d'un pas volontairement lent, si j'arrive et qu'ils sont déjà sur le terrain je pourrais peut-être l'éviter de justesse. J'ai le cœur dans un étau et la respiration saccadée juste en pensant que je pourrais croiser son regard qui a la capacité de me mettre dans tous mes états.
Je m'approche lentement des vestiaires, ralentis davantage à mesure que j'y arrive. Je me fige un instant puis me mets en retrait pour ne pas être vu lorsque j'aperçois que la porte n'est pas completement close. Plusieurs conversations s'élèvent, des voix se mêlent dont la sienne qui atteint brusquement mes oreilles. Dans un brouhaha indomptable, un silence de mort ou au cœur d'un cyclone, je serais capable de distinguer avec netteté le timbre de sa voix. J'en ai la preuve encore aujourd'hui puisque la seule que je perçois désormais c'est la sienne et elle m'abîme l'âme.
Je vais simplement patienter, attendre qu'ils finissent de se changer pour passer à l'action. Je plaque mon dos contre le mur en béton, le dossier en securité contre ma poitrine et laisse les secondes défiler en écoutant ce qu'il se passe à l'intérieur.
— T'as vraiment une gueule de mort, lâche quelqu'un dont je ne parviens pas à mettre de nom sur la voix.
— Ouais, je dors mal en ce moment, répond Will d'une façon qui ne laisse pas place à plus de détails.
J'entends remuer ou alors il s'agit peut-être des battements de mon cœur qui bourdonnent à mes oreilles.
— Son taré de mec l'a déjà jeté, s'amuse un parfait crétin.
— Ferme-la, Noah, crache Pietro.
— Non, mais attendez les mecs, il faut tout de même en parler. Il a quitté une bombasse comme Marianna pour se caler avec un type comme DeNil qui, soit dit en passant est plus chelou qu'un aliéné en cavale, pour finalement se retrouver seul à peine quelques semaines plus tard.
Mes poings se serrent avec l'envie bestiale de lui érafler la gueule et arracher son chignon de guignol qu'il trimballe sur sa tête comme la queue ébouriffée d'un putain de caniche.
Je vais le buter, ce connard prétentieux.
— Retire immédiatement ce que tu viens de dire, crache Will.
Bordel, je crois que je ne l'ai jamais entendu parler avec tant de véhémence.
— Tu n'acceptes tout simplement pas la vérité, Marx, on ne peut rien pour toi. En plus t'étais une femme battue, ricane-t-il.
— Je vais te tuer, grince Will, je vais t'écraser la tronche.
Un bruit métallique retentit et mon cœur ralentit ses battements.
— Putain, Will ! s'écrie Bloom, alors que j'entends tout le monde pester autour.
Un boucan terrible s'élève des vestiaires, des cris, des ricanements, et sa voix qui passe au-dessus de tout ça. Sa rage qui résonne entre les quatre coins du local. Je me sens mal, j'ai la tête qui tourne et le cœur qui s'est définitivement arrêté de battre.
— Tu ouvres trop ta gueule, crache Will, je vais t'apprendre à la fermer.
Il paraît essoufflé, j'entends des bruits qui ne me plaisent pas, qui me donnent la nausée. Je m'éloigne du mur, prenant mon courage à deux mains. En silence, je me place près des portes et observe ce qu'il se passe en regardant à travers l'entrebâillement. J'ai l'impression que le sol s'effrite sous mes pieds lorsque je vois Will assis sur Carter. Ses poings s'abattent sans retenue contre le visage déjà en sang de sa victime. Il est hors de lui, comme possédé, ça me fait peur de le voir comme ça.
— Ne parle plus de lui, Carter, hurle-t-il en laissant pleuvoir ses coups. Je ne veux plus entendre son nom sortir de ta bouche, tu m'as compris ?
Une de ses mains se referme sur ce chignon que j'aimerais brûler, il lui relève la tête pour ancrer son regard au sien.
— On s'est compris ? insiste-t-il.
Les bras de Pietro et Judas se referment sur le corps de Will avant que Noah puisse répondre. Ils l'attirent vers l'arrière, l'éloignent le plus possible de sa victime alors qu'il peste encore comme un enragé. Son visage est défiguré par une colère noire, ses yeux sont aussi rouges que les flammes de l'enfer. Il est transformé, à tel point que je n'arrive plus à respirer.
C'est à cet instant que Murray se décide a entrer, il hurle comme un malade, mais je ne comprends rien à ce qu'il dit. L'unique son que j'entends avec précision c'est la respiration lourde de Will, semblable à celle d'un taureau prêt à charger. Je ne vois que son visage et toute la haine qui émane de lui. Sans réfléchir, j'ouvre la porte et fais quelques pas en avant, le dossier de Noël toujours en main. Tous les regards se braquent sur moi, pourtant je ne m'en préoccupe pas. Je ne distingue que le sien qui s'éclaircit peu à peu pour me montrer l'océan que j'aime tant admirer. Ses traits se détendent, son expression change, passe de la haine à la colère, puis oscille entre la tristesse et la honte.
— Angelo, soupire-t-il, désormais abattu.
Il me regarde avec tant d'intensité que mon cœur flanche. Je vois sa poitrine se soulever de plus en plus rapidement alors qu'il fait un pas vers moi. Il y a maintenant un silence de mort autour de nous, ou alors peut-être pas mais trop focalisé sur sa personne, j'occulte le reste. Ses mains sont ensanglantées, ses phalanges sûrement explosées. Dans mon champs de vision, j'aperçois Jordan aider Carter à se relever mais ça ne me perturbe pas plus, obnubilé par la beauté torturée de Will.
— Martens, conduis Noah à l'infirmerie, ordonne Murray. Will, t'es sur la touche, tu restes là pour nettoyer tes plaies et tout ton bordel. Les autres sur le terrain, immédiatement !
La troupe s'active, obéit au coach, et en un instant il ne reste plus que Will, Murray et moi dans les vestiaires.
— Tu es là pourquoi, DeNil ?
Je lève le dossier, les doigts tremblants, pour justifier ma présence.
— Les photos, pour le journal, réponds-je sans quitter Will du regard.
— Très bien, débrouille-toi avec Marx, je n'ai pas que ça à faire.
Sur ceci il quitte les vestiaires, me laisse seul face à celui que je veux protéger de moi-même ; seul avec le cœur désormais trop excité dans la poitrine, les paumes moites et l'envie de vider une bouteille d'alcool sur les mains cabossées de Will. Ce dernier approche lentement, silencieusement, jusqu'à ce que sa poitrine m'effleure presque et m'oblige ainsi à lever la tête pour supporter son regard.
J'ai envie de pleurer, de plaisir de l'avoir face à moi, de tristesse de l'avoir éloigné si longtemps et de peur de le voir dans cet état pour des paroles déplacées dites à mon égard. S'il savait que ce n'est pas la première fois que j'entends de tels propos. Probablement qu'il le sait, finalement, rien de tout cela est nouveau.
Il lève la main et passe ses doigts à travers mes mèches, qui salissent sûrement mes cheveux clairs de traces de sang. Il se penche vers moi, son visage est désormais si près du mien que je ne respire plus.
— Angelo...
Son corps tremble, le mien aussi. J'ignore ce qu'il va suivre mais j'ai déjà conscience que je n'y résisterais pas. Il dépose son front contre le mien, respire mon odeur mêlée à la sienne et celle du sang qui me pique le nez.
— Will, couiné-je impuissant, qu'est-ce que tu fais ?
Il ignore ma question, se penche davantage alors que sa main fait pression contre ma nuque pour m'approcher de lui. Je ferme les yeux à l'instant où je comprends ce qu'il s'apprête à faire. Ses lèvres qui s'écrasent contre les miennes me font gémir de frustration alors qu'il soupire de soulagement.
Ma tête tourne sous l'effet enivrant de son baiser. Il est en train de me dévorer et bordel j'aime ça. Il est mon soleil, ma lumière que j'éteins trop souvent pour ne pas la perdre complètement.
J'ai tenu dix-sept jours, dix-sept jours d'atroces souffrances mais durant lesquels je le savais en sécurité. Tout vole en éclats alors qu'il m'embrasse à pleine bouche.
Je suis foutrement amoureux de lui au point de ne pas parvenir à tenir mes propres décisions.
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