Chapitre 5, partie 1 :
Angelo DeNil :
— Café ? m'exclamé-je, sourire aux lèvres lorsque Simona apparaît dans la cuisine.
Elle me scrute, un sourcil haussé, avec cette expression de douceur que j'apprécie voir sur son visage. Je préfère qu'elle m'observe ainsi, plutôt qu'avec cet air sévère qui précède les remontrances lorsque je me comporte comme un idiot. J'ai l'impression d'encore être un enfant avec elle, le sien plus précisément et parfois c'est apaisant.
— Avec plaisir, mon chat, s'enthousiasme-t-elle en s'asseyant sur une chaise.
Je lui tends une tasse et fais glisser le sucrier vers elle.
— Pourquoi es-tu si joyeux ce matin ?
Je m'installe à ses côtés et tape mes paumes sur la table avec peut-être un peu trop d'entrain.
— Pour deux raisons, déclaré-je en levant le menton. Pour commencer, Will sera là d'une minute à l'autre. Pour aller au lycée, ce n'est pas le plus cool des plans mais sa présence à elle seule me ravi. Ensuite, je suis embauché comme plongeur dans un resto sur l'avenue. Ce n'est pas fun mais ça signifie salaire alors ça me convient.
— Je suis très contente pour toi, mon Lolo. Que de bonnes nouvelles de si bonne heure.
— Je trouve aussi ! Maintenant, j'espère que rien ne va se dégrader. Je ne suis pas franchement d'attaque à ce que tout part en vrille aujourd'hui.
— Ne soit pas si pessimiste, râle-t-elle en se levant pour aller frapper à la porte de la chambre de Loli.
Cette dernière crie qu'elle arrive dans quelques minutes puis un boucan résonne dans la pièce. Je me crispe, persuadé que mon humeur va relativement changer.
— Ce n'est rien, je me suis cassée la figure, dit-elle hilare.
Je soupire avec soulagement. J'imaginais déjà un drame de plus se produire.
— Rien de cassé ? Il faut appeler une ambulance ?
— Non, idiot ! Je vais juste avoir un bleu sur les fesses.
Mona éclate de rire, alors que mon attention est attirée par la porte qui vient de s'ouvrir. Will entre avec une boite en carton qu'il dépose sur un coin de meuble. Il est encore passé à la boulangerie avant de venir, c'est déjà la troisième fois en quatre jours.
— Un bleu sur les fesses, répète-t-il en s'approchant. Hum... c'est quel genre de conversation ça ?
Je pouffe de rire alors qu'on entend ma petite sœur se plaindre depuis sa chambre.
— Tu n'aurais pas pu arriver deux minutes plus tard ? beugle-t-elle.
— Désolé, c'est le destin qui l'a voulu, s'amuse-t-il.
— Le destin ? ricané-je. Tu n'as pas d'autres conneries ?
— Non, par contre j'ai des macarons, des scones et des donuts.
— C'est vraiment toi le meilleur !
— À qui le dis-tu, trésor.
Je souris alors que le regard de Simona nous transperce.
Je me sens plus léger depuis notre tête-à-tête dans les vestiaires il y a quelques jours. Je ne regrette rien de ce moment, même si j'ai fini avec un blâme pour ne pas être retourné en cours et que Will s'est fait taper sur les doigts par Murray pour avoir cogné Carter sans aucune retenue. Nous étions encore assis sur le sol à choisir les photos quand l'entraînement s'est terminé et que l'équipe complète nous a rejoint. J'ai eu droit à des regards lourds de sens et quelques murmures que Will a fait taire en un seul grognement. N'est pas capitaine qui veut...
J'entends encore, chaque fois que je peine à trouver le sommeil, sa voix me dire qu'il m'aime. Mon cœur a flanché, je n'ai pas su comment réagir bien qu'au fond, je n'avais aucun doute quant à la profondeur de ses sentiments. Le savoir est une chose, l'entendre prononcer ces trois petits mots en est une autre. J'ai adoré qu'il les dise, vraiment plus que de raison mais je ne l'accepte pas encore. Je ne suis pas digne de son amour. J'aime le ressentir, le lire sur ses lèvres et le voir dans son océan mais j'ai bien conscience de ne pas le mériter pour le moment. Je l'ai déjà trop blessé.
Will s'approche de moi, passe un bras sur mes épaules et embrasse ma tempe. Il récupère un macaron qu'il agite sous mon nez, comme pour m'obliger silencieusement à manger. J'ouvre la bouche et il l'enfonce entièrement entre mes lèvres. Les yeux écarquillés, je me mets à tousser et recrache les morceaux du gâteau sur la table. Cet abruti éclate de rire, Simona également et j'ai la fâcheuse envie de les étouffer à l'aide de scones à la crème.
— Putain, t'es trop con, râlé-je en essuyant ma bouche d'un revers de la main.
— Je connais cette sensation, ne t'inquiète pas. Vengeance !
Je le fixe sans comprendre où il veut en venir, jusqu'à ce qu'une petite lumière s'allume au sommet de mon crâne. Mes joues s'enflamment alors qu'il continue de se moquer de moi. Il ne perd rien pour attendre, il rira moins lorsque ma patisserie s'égarera au fond de sa gorge.
Simona fait mine de rien mais l'éclat qui fait briller ses yeux m'annonce qu'elle a parfaitement compris les sous-entendus de Will. Je n'éprouve aucune gêne, je me moque que ma voisine ait vent de ce genre de détails. Les rougeurs sur ma peau sont présentes simplement car je ne m'attendais pas à un tel comportement venant de Marx. Visiblement, ses barrières s'effritent également devant notre entourage et j'ignore si c'est excitant ou effrayant.
C'est lorsque Loli quitte enfin sa chambre que l'hilarité générale se calme. Les yeux arrondis, je fixe ma petite sœur qui apparemment se prend pour une fichue pin-up.
— Putain de merde ! Lolita DeNil, tu vas immédiatement me changer cette tenue, grincé-je en serrant les doigts sur le bord de la table.
— Quoi ? s'exclame-t-elle mécontente. Mais pourquoi ?
— C'est une vraie question ou tu te fous de ma gueule ?
Un silence de mort s'est désormais installé. Mon agacement a refroidi l'ambiance mais là, je ne peux tout simplement pas accepter. Je jette un coup d'œil vers Will. Son regard est planté sur moi. Je tente de déchiffrer ses pensées mais n'y parviens pas.
— Où est le problème ? demande calmement Simona.
— Mona, sérieux ! Elle a quatorze ans, va dans une putain d'école remplie de types aux hormones en ébullition, tu ne crois quand même pas que je vais la laisser sortir habillée comme ça ?
J'observe ma sœur d'un mauvais œil. Elle porte une chemise à carreaux rouge et un short en jean beaucoup trop court à mon goût, accessoirisé par un épais ruban écarlate dans ses cheveux dorés et ses bottines en cuirs qui sont sur le point de me faire vriller.
— Je la trouve très belle.
— Elle est magnifique, bordel ! C'est justement le problème !
— Euh... merci, enfin je crois, rétorque ma sœur.
Je la fusille du regard alors qu'elle sourit timidement.
— Je suis sérieux, Lolita, tu ne vas pas en cours comme ça.
— Mais, Lolo, se lamente-t-elle, s'il te plaît.
— Bon, Will, soit franc ! Est-ce que c'est une tenue pour aller à l'école ? demandé-je en le regardant les sourcils froncés.
— Eh bien... il fait froid dehors, tente-t-il.
— Sans déconner, c'est ton seul argument ?
— Que veux-tu que je dise ? Je ne sais pas, je n'ai pas de petite sœur.
— Admettons que tu en as une, tu la laisserais sortir avec ces vêtements ?
Il hausse les épaules et ne semble visiblement pas vouloir prendre part à cette discussion.
— T'es sortie avec des nanas toi ! Sérieusement, sa tenue est adéquate ? insisté-je.
Il ouvre grands les yeux, secoue la tête puis ses mains se tendent dans ma direction, paumes vers le haut.
— Bon sang, ne me fais pas imaginer ce genre de scénarios. Quand je la regarde, l'unique chose qui me vient à l'esprit c'est qu'elle est la sœur de mon copain ! En plus, c'est presque une enfant.
— Ok, j'ai compris. Tu ne veux pas coopérer alors on va juste garder la dernière partie de ta réponse, grogné-je.
Je pars rapidement dans ma chambre, agacé par ces dernières minutes. Je sors un survêtement de mon placard et le jette à la tronche de ma petite sœur devenue folle.
— Tu es encore une enfant, donc, tu enfiles ça et le problème est réglé.
— Tu y vas fort, soupire la voisine.
— Mona, grogné-je, je suis à deux doigts de devenir fou, là !
— Tu l'es déjà, lance la coupable.
Elle a dit cela sur le ton de la plaisanterie mais le regard que je lui lance la fait baisser la tête. Je ne suis évidemment pas vexé mais elle n'est pas en position de parler dans l'instant.
— Très bien, alors voilà ce qu'on va faire. Will, tu prends Angelo et vous allez au lycée. Moi, je vais m'occuper de notre adolescente effarouchée.
— Ce plan est parfait ! déclare-t-il en attrapant mes épaules pour me guider vers la sortie. Allez, monsieur le grand féministe, on y va.
Il se moque de moi, ce crétin. Pour ce point, il n'est vraiment pas de mon côté. Ça me chagrine un peu, mais doit-on toujours être d'accord ? Non, bien sûr, mais lorsqu'il est question de ma sœur on doit être sur la même longueur d'onde.
Je ramasse mon sac près de la porte et me tourne une dernière fois vers Loli.
— Tu es super belle ! Mais si je rentre ce soir et que tu es encore habillée comme ça, tu sortiras de cette maison uniquement en combinaison de ski !
Will pouffe de rire alors que ma très chère sœur lève les yeux au ciel.
Lorsque l'air frais effleure ma peau, j'inspire profondément pour tenter de me détendre. Will m'attire vers lui en me tirant par la main. Je me laisse porter contre son torse alors qu'il écrase sa bouche sur la mienne. Sa main appuie contre le bas de mon dos tandis qu'il joue avec mes lèvres durant de longues minutes. Sa langue qui caresse la mienne apaise légèrement mon irritation.
— Mmh, voilà qui est mieux, soupire-t-il en s'éloignant.
Je suis un peu désorienté, légèrement excité aussi. Les réactions de mon corps à chacun de ses touchers me perturbent. C'est comme s'il mettait le feu dans mes veines à chaque effleurement.
— Cesse d'essayer de m'amadouer, bougonné-je. Tu ne m'as absolument pas soutenu.
— Tu te comportes comme un homme des cavernes, s'amuse-t-il. Ne me mets plus jamais dans une telle situation.
Nous débutons notre avancée alors que je continue de pester sur ce qui a provoqué ma colère.
— Si elle part habillée comme ça, je vais devoir cogner un bon nombre de cons avec la queue excitée ! J'ai déjà assez d'emmerdes avec ma mère, cette baraque pourrie et toutes ces conneries que je ressens pour toi, pour rajouter les pulsions d'une adolescente.
Will ralentit le pas, je prends conscience de l'erreur que j'ai commise.
Merde !
— Merci, je suis ravi d'apprendre que je fais partie de tes emmerdes, dit-il sèchement en mimant des guillemets sur le dernier mot qu'il a prononcé. Et que tu considères notre relation comme une connerie.
Il est blessé. Son visage souriant est devenu froid et ses sourcils sont si froncés qu'un creux s'est formé sur son front. Les mots sont sortis sans que je puisse les retenir. Je ne les pense absolument pas, Will est ma bouffée d'oxygène.
— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, soupiré-je en essayant d'attraper sa main.
Il fait mine de repositionner la bretelle de son sac sur son épaule pour éviter mon contact.
— Pourtant tu l'as dit.
— Je ne le pense pas...
Il s'immobilise sur le trottoir pour me faire face. Je lève la tête afin de croiser son océan ombragé. J'ignore si je l'ai mis en colère ou si je l'ai rendu triste. J'ai probablement fait les deux.
— Écoute, je sais que pour toi ce n'est pas facile tous les jours mais tu n'es pas le seul à avoir des problèmes. Ce n'est pas comparable c'est certain, mais ce n'est pas une raison pour que tu m'envoies tout à la tronche. Tu m'apaises quand ça ne va pas, moi, je te sers de défouloir.
— Will, je...
— Non, me coupe-t-il, je fais ce que je peux, Angelo. Vraiment, j'essaie de te comprendre et de faire ce qu'il faut pour que tu n'ailles pas trop mal mais si pour toi c'est réellement une connerie alors dis-moi ce que je suis supposé penser !
Il baisse la tête, soupire puis ses mains encore abîmées à cause des coups qu'il a portés à Carter frottent son visage avec trop d'ardeur. Lorsqu'il les retire, sa peau est rougie et ses yeux ont viré au gris.
— Depuis que je te connais, je ne fais que me traîner à tes pieds. Je n'arrête pas de me rendre malade pour toi, et c'est ma faute, je le sais et ça me va. Tu m'avais prévenu, je savais à quoi m'attendre pourtant, tu dois tout de même comprendre que c'est douloureux de t'entendre dire des propos aussi... dérangeants.
Je tente un pas dans sa direction, mais il refuse et s'éloigne. Je crois que j'y suis allé trop fort. Les mots ont dépassé ma pensée, ce n'était pas volontaire. J'admets avoir déjà prononcé des paroles horribles pour le mettre hors de lui mais là ce n'était pas mon but. Il s'évertue à me faire comprendre que je compte pour lui, va même jusqu'à me supplier de ne pas le quitter et comme un con, je gâche tout à chaque fois.
J'ai les nerfs, je suis fou de rage contre moi. C'est évident que je ne mérite pas ce qu'il a à m'offrir, ni tout ce qu'il me partage déjà. Je suis bien trop nul pour ça. Je persiste à croire qu'il vaut mieux qu'un être tel que moi.
— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, tenté-je à nouveau. Je suis juste con, tu le sais, non ?
— Ouais, soupire-t-il, parfois j'aimerais que tu le sois un peu moins. Enfin, il faut qu'on s'active, on va être en retard.
Je l'observe s'éloigner, toujours figé sur le trottoir. Ses grandes jambes foulent le bitume alors que je suis incapable de bouger. J'ai sûrement fait une bêtise, ses yeux ne brillent plus. Il est impératif que j'apprenne à réfléchir avant de parler. Ma plus grande crainte est de blesser Will. C'est exactement ce que j'ai fais, et cette fois, je ne peux pas mettre ça sur le compte d'une crise malvenue.
— Bon, DeNil ! Tu te remues ?
Je sursaute à l'écoute du ton froid qu'il a employé. Ce n'est pourtant pas dans mes habitudes d'être importuné par ce genre d'intonation puisque c'est ainsi qu'on m'a toujours parlé, cependant venant de lui ça me brise le cœur.
Je me remets en marche, d'un pas lent et sans tenter de le rattraper. Je ne suis pas certain qu'il désire ma compagnie à cet instant. Je le comprends, moi non plus je ne me supporte pas. Ombre n'est pas revenue depuis quelques temps, mais je me demande si elle n'avait pas raison sur certaines de ses paroles. Parfois, j'aimerais me faire du mal jusqu'à oublier qui je suis.
— Angelo, grogne Will en se retournant, bordel, mais tu fais quoi ?
— Je me fiche d'être en retard, baragouiné-je en fixant mes converses.
— Peut-être, mais moi je ne peux pas me le permettre. Le coach m'a dans le viseur depuis que j'ai tabassé Carter.
— Je t'avais dit que cette idée était naze.
— Tu me l'as dit trop tard, râle-t-il. Dépêche-toi !
— Avance, je te rejoindrais au bahut.
Il fronce les sourcils tout en ne me lâchant pas des yeux.
— T'es sérieux ? beugle-t-il sans se soucier d'être au milieu de la rue. Bon sang, Angelo ! Je me suis tapé une demi-heure pour venir te chercher et en plus de me foutre à la tronche que je suis un boulet, tu te moques de me laisser courir tout seul ?
— Pourquoi tu pleurniches ? soupiré-je en ralentissant encore.
Tu n'es pas sympa, Angelo ! Tu as conscience de mal te comporter, alors pourquoi tu continues ?
" Parce que c'est ce que j'ai toujours fait. "
Ta lumière va se perdre...
— Va chier, DeNil ! rugit-il en faisant volte-face.
Il reprend la route d'un pas décidé, s'éloigne davantage de moi tandis que je l'observe, navré et impuissant. Ou pas, finalement. Je pourrais parfaitement le rattraper mais je crois ne pas en avoir envie. Loli m'a mis de mauvaise humeur et je ne souhaite pas faire d'efforts. Je serais capable de prononcer de nouvelles stupidités et je n'ai pas le courage d'anticiper quoique ce soit.
Je savais que ma gaieté aurait été de courte durée, elle ne s'éternise jamais.
Je ne distingue plus Will qui m'a distancé depuis plusieurs minutes déjà.
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