Chapitre 7, partie 1 :
Angelo DeNil :
Je me traîne sur le trottoir, Marx à mes côtés. Si je pouvais ramper, je le ferais jusqu'à ce que j'arrive à destination, que mes genoux soient écorchés et mes paumes éraflées, que le sang perle sur ma peau fanée.
J'ai passé un super week-end, perdu dans les bras de Will et je ne suis vraiment pas d'attaque à reprendre le cours de ma vie ce matin. Je dois sûrement faire une tête de déterré, je n'ai aucune motivation ni pour me rendre au lycée, ni pour commencer mes heures de travail dans le restaurant miteux qui m'a embauché. Pourtant, si je souhaite avoir un salaire je n'ai pas d'autre choix que d'y aller ce soir.
— Tu as l'air si déprimé, remarque Will en passant son bras dans mon dos pour m'approcher de lui.
Je me laisse guider, heureux de retrouver le contact qui m'a bercé pendant presque trois jours.
— Je ne voulais pas que notre bulle éclate, me plains-je en baissant la tête.
— Ce n'est pas le cas, on sera au lycée pendant quelques heures.
— Ça signifie qu'on ne sera pas ensemble pendant tout ce temps.
Il s'immobilise, m'invite à faire de même en enroulant ses doigts autour de mon poignet. Une fois qu'il me fait face, ses deux mains englobent mon visage. Il dépose un petit baiser sur mon nez et sourit tendrement.
— Je peux venir te voir au restaurant, on boira un café pendant ta pause.
— Ne le fais pas, tu risques de prendre peur. Ce n'est pas le genre d'endroits que tu as l'habitude de fréquenter.
Il lève les yeux au ciel et ricane avant de me plaquer contre son torse.
— Dis plutôt que tu ne veux pas que je te vois avec ton tablier et ta charlotte sur la tête.
— Ouais, il y a peut-être un peu de ça aussi, grogné-je en me cachant dans son blouson ouvert.
Ses doigts passent à travers mes mèches, ses ongles grattent doucement ma tête puis son menton se pose sur le sommet de mon crâne.
— Peu importe l'accoutrement que tu as sur le dos, je te trouve toujours incroyablement désirable, susurre-t-il d'une voix suave qui me retourne l'estomac.
Je grogne encore, des propos inintelligibles que même moi je ne comprends pas, puis relève le visage vers lui. Mes lèvres s'écrasent sans aucune douceur contre les siennes. J'ai besoin d'un peu de sauvagerie pour affronter cette journée qui débute d'une façon que je n'apprécie pas. Nos dents s'entrechoquent alors que Will couine dans ma bouche. J'aspire chacun de ses râles et mords sa langue avec sûrement un peu trop d'ardeur. Le goût du sang se mêle à nos salives qui coulent sur mon menton. J'attrape son visage entre mes paumes, me dresse sur la pointe des pieds pour tenter d'être à sa hauteur. Ses doigts s'agrippent à mes hanches, par-dessous mes vêtements, ses ongles griffent ma peau. J'aime ça, cette pointe de douleur qui fait battre mon cœur. C'est brutal mais enivrant.
Will s'éloigne et appose son front contre le mien. J'ai la sensation d'être vidé du peu d'énergie que je possédais.
J'admire mon soleil, son nez est froncé et ses paupières closes. Un filet de liquide rougeâtre s'échappe de ses lèvres, je le récupère du pouce pour le glisser entre les miennes.
J'ignore ce qui m'a poussé à me montrer si dur, une partie de moi désire souffrir pour calmer mes angoisses. Je n'ai pas utilisé ma lame depuis notre moment d'égarement dans les vestiaires. J'ai l'impression d'être en manque, tel un camé qui n'a pas sa dose à se foutre dans les narines. Je suis un spectre à la recherche d'un dérivatif, comme ma mère qui gît dans une marre de désespoir. J'ai deux addictions, des drogues dures qui sont capables de causer ma perte, lentement et cruellement. La douleur et William Marx. Peut-être pourrais-je combiner les deux afin d'accélérer le processus ?
Lorsqu'il ouvre enfin les yeux, que son océan m'immerge complètement, je me sens coupable de l'avoir blessé. Il est toujours irrésistiblement tendre et délicat. J'adore sa douceur et ce côté sécurisant, j'ignore ce qu'il m'a pris d'agir ainsi.
— Pardon, murmuré-je contre sa bouche où perlent encore quelques gouttes de ma brutalité.
— Je... c'est rien, mais... j'ai le goût dans la bouche... ça, je n'aime pas, marmonne-t-il avant de tirer la langue pour que je constate les dégâts.
Elle est légèrement gonflée et coupée au centre, là où mes dents ont appuyées trop fort. Je la glisse entre mes lèvres et la suçote jusqu'à ce qu'il ne saigne plus. Les yeux de Will brillent plus qu'à l'accoutumée. Une larme est coincée dans chacun d'eux. J'ignore si elles sont présentes à cause de la douleur de mon geste ou de l'envie causée par celui qui a suivi.
— Ne me regarde pas comme ça, soufflé-je en capturant sa nuque entre mes mains.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas, c'est déstabilisant...
— Ce que tu viens de faire l'est aussi...
— Comment ça ?
— J'ai... aimé. Je crois, chuchote-t-il en s'éloignant pour détailler mon visage.
Les pulsations de mon cœur s'enragent. Mon corps s'enflamme face à l'envie qui inonde son regard, mais mon sang se glace en réalisant que j'ai une fois de plus laissé parler ma folie. Si j'ai besoin de fermeté, j'ai davantage besoin de sa douceur et de la tendresse dont il fait preuve.
— Tu n'es pas comme tout le monde, trésor. Tu es un être unique et ingérable, telle une tempête en plein dessert, c'est ce qui me fascine tant chez toi.
Il ne me laisse pas l'occasion de répondre que déja sa main glisse dans la mienne et ses doigts s'enlacent aux miens. Son pouce caresse ma peau alors qu'il nous guide en direction du lycée. Je le laisse me tirer à sa suite sans conviction et la gorge nouée. J'ignore pourquoi mais j'ai un mauvais pressentiment quant à cette journée.
— Je n'ai pas envie d'y aller.
— Allez, un petit effort. On se retrouve pour manger, d'accord ?
— Ouais...
— Dis à Roselyne de se joindre à nous, je me sens coupable que tu la laisses seule pour être avec moi.
— Tes crétins de potes vont encore la chambrer.
— Ils savent quand s'arrêter et où il ne faut surtout pas s'aventurer, me rassure-t-il.
— Je méprise Bloom.
— Ce n'est pas un mauvais bougre.
— Il est lourd et l'envie de le cogner m'étreint à chaque fois que je vois sa tronche, râlé-je.
Will rit et resserre sa prise sur mes doigts.
— Je crois qu'il pense la même chose que toi, mais il se contient.
— Il ne me connaît pas et son humour est douteux.
— Tu ne le connais pas non plus et ton humour est aussi inexistant que ta sympathie envers les autres.
Une part de moi n'apprécie pas ses paroles mais je ne m'en formalise pas. La dernière chose que je désire est de me disputer avec lui. Le ton léger qu'il a employé me prouve que ce n'était pas un reproche même si ce n'est pas très agréable à entendre. Je ne peux pas lui en vouloir, il n'a pas tort.
— J'ai de la sympathie pour toi, me défends-je.
— Seulement ça ? s'informe-t-il en balayant mon visage d'un regard empli de déception.
— Tellement plus que ça...
Il sourit, visiblement satisfait.
Lorsque nous arrivons près du lycée, je constate que tous les yeux sont braqués sur nous. Certains sont amusés, d'autres dégoûtés, ou encore moqueurs. L'angoisse prend davantage de place au creux de mon estomac quand quelques murmures incompréhensibles se font entendre, pourtant, Will ne semble pas s'en soucier.
— Tout le monde nous fixe, chuchoté-je alors que je ralentis la cadence.
Je me sens épié, pointé du doigt. Je n'ai jamais aimé être le centre de l'attention.
— Pas plus que d'habitude.
Je m'immobilise, l'obligeant ainsi à faire de même. Mes membres tremblent, je me sens oppressé, acculé par les regards et les murmures que je ne discerne toujours pas. En général, je les ignore et continue ma route, la tête plus ou moins haute. Aujourd'hui, c'est impossible, omniprésent et trop étouffant. Mon regard parcourt l'assemblée, je remarque que tout le monde à en main une feuille en papier.
— Marx ! m'agacé-je. Constate par toi-même, on est une putain d'attraction pour tous ces connards !
Il pivote, fait un tour sur lui-même pour observer les alentours. Lorsqu'il me fait de nouveau face, ses sourcils sont froncés et ses lèvres pincées.
— Quel est leur problème ? s'enquiert-il.
— Comment veux-tu que je le sache ?
Il baisse la tête, plisse le nez puis récupère ma main qu'il serre plus fort que la fois précédente.
— On le saura bien assez tôt. On y va, déclare-t-il en me tirant vers lui.
Nous approchons lentement. Mon agitation s'accroît à chaque pas, puis me coupe le souffle lorsque je croise le regard soucieux de Rose qui se trouve à quelques mètres devant nous. Elle tient une pile de feuilles entre ses doigts secoués de tremblements. Je comprends que rien ne tourne plus rond quand j'observe Pietro, Judas et Maël qui se tiennent près d'elle, les mains également remplies de paperasses.
— Putain, mais qu'est-ce qu'il se passe ? grogné-je en levant la main vers les quatre qui nous regardent avec inquiétude et compassion.
— Je ne sais pas, mais je n'aime pas ça, avoue-t-il.
Roselyne tend ses papiers à Maël, puis se précipite vers moi.
— Angelo, s'exclame-t-elle en agrippant mes poignets, attends !
Will et moi nous immobilisons, puis ses potes nous rejoignent en deux enjambées.
— Mon frère, commence Pietro, ne t'énerve pas, ok ?
— Merde, mais crachez le morceau, pesté-je sans laisser le temps à Will de répondre. C'est quoi ce foutu délire ?
Tous restent silencieux mais Judas souffle de contrariété en attrapant une feuille qu'il nous tend face cachée. Je lui arrache des mains, si vivement qu'elle se déchire à moitié. Mon cœur cesse de battre quand je la retourne. Mon cerveau s'échauffe et mon sang quitte mon corps. Je deviens livide, je le sens, ma tête tourne violemment.
— Oh, bordel de merde, jure Will en froissant l'horreur que j'ai sous les yeux.
— Il y en a partout, murmure Rose.
— On en a enlevé des tonnes, mais il en reste encore beaucoup, s'excuse Pietro.
— Ce n'est pas le pire...
— Comment ça, ce n'est pas le pire ? m'écrié-je en lâchant férocement la main de Marx. Qu'est-ce qui peut être pire que ça ?
J'empoigne mes cheveux que je tire sans ménagement. C'est douloureux, ça me brûle le cuir chevelu mais, ce qui est en train de se passer est au-delà de ce que je peux supporter. Même en n'ayant plus l'image sous les yeux, je ne vois qu'elle. Elle est tatouée sous mes paupières, incrustée dans mon esprit.
Ma tête rejetée en arrière, mes lèvres entrouvertes alors que la bouche de Will englobe mon sexe avec frénésie. Les joues creusées, il aspire mon membre pendant que je masturbe le sien, dans ces foutus vestiaires.
Je n'ai vu la photocopie que quelques secondes à peine, pourtant mon cerveau a analysé tous les détails. Mon profil est parfaitement visible, mes mèches claires et transpirantes tombent vers l'arrière. Puis mes bras mutilés sont exposés, l'un est bandé tandis que l'autre est à découvert. Mes plaies suintantes et crades sont écœurantes et me donnent la nausée. Quant à Will, ses cheveux cachent une grosse partie de son visage, mais c'est chose aisée de le reconnaître. Il porte sa tenue de sport avec son nom et son numéro de joueur écrit en gros, mais surtout parce que ça ne peut être personne d'autre que lui qui me donne du plaisir entre les casiers et les douches.
— Il y a..., hésite Rose, des... sur les écrans...
— Quoi ? Quoi, quoi, quoi ? Il y a quoi sur les écrans ? m'agacé-je. Crache le morceau, Roselyne !
Will tente de me toucher, sa main se cale dans mon dos, au niveau de mes reins mais je m'éloigne à toute vitesse. Je sens son regard insistant qui me colle à la peau, me brûle presque, puis ceux des autres, tous les connards qui ricanent et se rincent l'œil sur nos ébats que je pensais discrets. En y repensant, c'était certain qu'un tel drame allait se produire, nous nous sommes comportés comme des idiots. C'est ma faute. J'ai insisté alors que Will se montrait réticent. Désormais, c'est une pure catastrophe. Je m'en veux terriblement, j'ai envie de me mettre à genoux devant lui pour m'excuser puisque les retombées seront probablement énormes. Pourtant, je suis si en colère, tellement enragé que je refuse même qu'il me touche sous risque que j'explose comme une putain de grenade dégoupillée.
— Il y a des vidéos qui passent en boucle sur tous les écrans du lycée, lâche Judas. Ils sont en train de tout faire pour arrêter la diffusion et trouver qui a fait ça.
Alexie Carter apparaît à l'instant où Bloom termine sa phrase. Elle court vers Marx, affolée, complètement désabusée.
— Je suis terriblement désolée, j'ai essayé de l'en dissuader. Je te le promets.
Elle tend la main pour attraper la paume de Will, je la repousse brutalement, au point qu'elle chancelle légèrement.
" Même pas un doigt sur mon soleil ! Idiote ! "
— Ne le touche pas ! hurlé-je.
Elle me jette un regard compatissant, bien que légèrement apeuré. Je l'attrape par le col de son blouson en cuir, serre fort le tissu entre mes doigts alors qu'elle panique à vue d'œil. Je me moque de l'effrayer, je veux savoir ce qu'il se trame ici et comprendre pourquoi on nous fait un tel coup bas. Notre relation ne plaît pas à tout le monde mais ceci n'excuse en rien un comportement aussi mesquin.
— Je vais buter ton frère, Carter, la préviens-je d'un ton acerbe, je vais le buter.
— Mon... Noah ? Non, ce n'est pas lui, réplique-t-elle en secouant vivement la tête.
— Angelo, calme-toi, tente Rose.
Je l'ignore. Non. Je ne peux pas me calmer. Comment cela serait-il possible dans pareille situation ?
— Laisse-la, dit fermement Will. Elle n'y est pour rien, Angelo. Retire ta main. Ça ne peut pas être Noah, il était à l'infirmerie.
Je le fusille du regard mais défais tout de même la poigne qui entoure le perfecto d'Alexie.
— Lexi... dit-il doucement alors que je m'écarte d'elle. Qui a fait ça ? Qui était là ?
Ma colère double d'intensité quand j'entends son ton doux et calme. Pourquoi parle-t-il de cette façon à cette conne alors qu'il se montre ferme avec moi ? J'ai envie de le claquer, lui aussi.
— Qu'y a-t-il sur ces vidéos ? demandé-je à qui aura l'amabilité de me répondre.
— Une conversation, déclare Pietro. Vous parlez de... maladie. Et, une autre où vous... enfin, vous êtes un peu occupés.
Rivierra bégaie, on aura vraiment tout vu. Bordel !
Il me faut un instant pour analyser ses propos, quelques secondes pour réaliser que tout le bahut nous a entendu parler de ma névrose, qu'ils nous ont vu jouir et prendre du plaisir après avoir prononcés des mots qui ne regardaient que Will et moi.
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