Chapitre 9, partie 1 :

12 minutes de lecture

Will Marx :

Je sors de la cabine, inspire difficilement dans cette salle de bain pleine de buée où l'air y est irrespirable. La ventilation est naze depuis quelques jours et le réparateur ne sera là que demain. Je devrais sûrement arrêter de prendre des douches aussi chaudes que les flammes de l'enfer. Je me sèche à la hâte et quitte la pièce seulement vêtu d'un caleçon. J'avais besoin de respirer, j'allais mourir étouffé si je restais une minute de plus au milieu de la vapeur.

Lorsque j'entre dans ma chambre, je me laisse tomber sur le lit et soupire en essuyant les gouttes d'eau qui coulent de mes cheveux jusqu'à mon front. Je me sens vide depuis plusieurs jours, et pour cause, je n'ai pas vu Angelo depuis une semaine. Nous nous appelons chaque soir, mais la conversation est assez courte étant donné qu'avec son travail au restaurant, il est épuisé quand il rentre chez lui. Il me manque, si fort que ça me rend presque malade. En y songeant, ça m'inquiète. Sept jours, sur une vie entière ça ne représente qu'un grain de sable dans le désert, alors pourquoi est-ce si douloureux ?

Depuis qu'ils ont eu la conversation tant redoutée avec Johnson, mes parents m'ont interdit de quitter la maison. J'en sors uniquement pour aller au lycée, et même en y étant je ne peux pas voir Angelo. Mon père a été très clair avec le proviseur en lui exprimant son mécontentement avec vigueur. Il lui a fait promettre de ne pas me laisser voir mon trésor quand il se rend à ses séances avec la psy. J'ai eu de la chance qu'il ne me prenne pas mon portable en plus de ça. En dix-huit ans de vie, j'ai récolté tout un tas de sanctions diverses et variées, pourtant celle-ci me démoralise plus que les précédentes.

Ce soir-là, lorsque je suis rentré après le lycée, mes parents m'attendaient dans le salon. L'air sinistre de mon père m'a fait froid dans le dos. Je me remémore notre conversation, le cœur battant et les mains tremblantes.

J'observe ma mère, puis mon père et silencieusement je m'installe dans le fauteuil face à eux. Je ne parle pas, ça ne sert à rien, je sais pertinemment ce qu'il se passe et je suis en tort.

— Nous attendons des explications, lance mon père d'un ton ferme.

— Que veux-tu que je te dise, papa ? soupiré-je en passant une main dans mes cheveux.

— J'aimerais comprendre pourquoi le proviseur de ton lycée nous a appelé pour nous informer que tu avais eu des rapports sexuels dans les vestiaires !

— Parce que c'est la vérité...

Ma mère fronce les sourcils et se penche en avant pour attraper sa tasse de thé.

— Je ne comprends pas, déclare-t-elle, pourquoi as-tu fait cela dans le lycée ? Nous avons toujours accepté Marianna à la maison et nous savons bien que vous ne faisiez pas que parler. Alors pourquoi nous as-tu caché le fait que tu sois de nouveau en relation avec une fille ? Tu aurais pu la ramener à la maison pour faire... vos petites affaires. Tu as conscience que des vidéos ainsi que des photos ont été propagées parmi tous tes camarades ? C'est très grave.

— J'en ai parfaitement conscience, maman, je suis dessus, grogné-je.

— Change de ton et ne sois pas condescendant, claque mon père. Tu n'es pas en position de t'accorder un tel comportement.

Je hoche la tête et baisse les yeux pour ne plus supporter leurs regards réprobateurs.

— Qui est cette fille ? s'enquiert ma mère. J'aimerais joindre ses parents pour que nous puissions discuter.

Mon cœur s'emballe. C'est le moment ou jamais d'avouer ce que j'ai sur le cœur. Si je ne le fais pas maintenant, je vais perdre ma chance. J'ai besoin de libérer mon esprit, d'avouer à mes parents que j'aime éperdument, oui, mais que c'est un garçon qui m'a rendu malade d'amour. J'aurai aimé en parler avec Angelo, lui demander s'il était d'accord pour sauter ce pas, mais je n'ai plus le temps de le faire. Sera-t-il furieux contre moi lorsque je lui dirai ?

" Courage, Willy, tu peux le faire ! "

J'inspire puis expire lentement avant de relever la tête pour fixer un point invisible entre mes parents.

— C'est... ce n'est pas... une fille, soufflé-je.

J'observe les yeux de mon père s'arrondir, la bouche de ma mère s'ouvrir sous le choc alors que mes joues s'enflamment brusquement.

— Je... quoi ?

— Tu as bien entendu, papa. Je suis amoureux d'un... garçon, et bordel, ce que je l'aime.

Une larme roule sur ma joue. J'ignore ce qu'elle fait là alors je la chasse rageusement. Je n'ai jamais éprouvé de quelconque gêne face à la situation, mais l'avouer à mes parents est étrange, je dois l'admettre.

— Qui est-ce ? demande ma mère. On le connait ?

— Oui, enfin pas tant que ça. C'est Angelo.

Mon père éclate d'un rire rauque. Je ne comprends pas d'où provient son hilarité. Je le regarde avec intérêt afin qu'il réponde à ma question silencieuse, si toutefois il arrive à la saisir. Visiblement ma mère ne comprend pas davantage la réaction de son mari puisqu'elle lui jette des coups d'œil appuyés.

— Bon sang, c'était si évident, rit-il. Comment ai-je fait pour ne pas le comprendre plus tôt ?

— Comment ça... ? murmuré-je en triturant mes ongles.

— J'étais là, William ! Je suis venu vous chercher sur le parking du lycée lorsque vous êtes rentrés de votre périple en pleine forêt !

J'ai une sueur froide en entendant mon prénom sortir de la bouche de mon père. Ce n'est pas dans ses habitudes de me nommer ainsi. En réalité, seul Angelo le prononce en entier.

— J'étais si heureux de te retrouver et de constater que tu allais bien que je n'ai même pas tenter de voir plus loin.

— Puis, vendredi..., complète ma mère. Nous l'avons vu que peu de temps, mais vous vous êtes comportés d'une étrange façon.

— Ouais... il était nerveux et moi je suis un peu con quand il est là, avoué-je embarrassé.

— Con au point de faire n'importe quoi dans les vestiaires.

— On a fauté, on le sait. S'il te plaît, papa, n'en rajoute pas...

Ses éclats de rire se sont taris. Son visage est désormais fermé, il est fou de rage.

— Écoute-moi bien, fils ! peste-t-il. Que tu sois amoureux d'une fille, d'un garçon ou d'un extraterrestre à deux têtes, je m'en moque pas mal. L'important c'est que tu sois heureux avec cette personne, tu l'es ?

— Oui, acquiescé-je en souriant, il me fait vivre, papa... si vous saviez. Maman, je te promets, ça m'est tombé dessus sans que je puisse faire quoique ce soit pour l'arrêter.

— Je comprends, Willy, l'amour ça surprend.

Elle me sourit, je l'imite, le cœur lourd. Ma joie disparaît lorsque je rencontre le regard noir de mon père.

— Donc, je disais, reprend-il d'un ton glacial, si tu es heureux avec ce jeune homme alors tant mieux pour toi. Mais on va se mettre d'accord, tu es suspendu pendant deux semaines ? Parfait, alors tu ne le verras pas jusqu'à ce que tu reprennes l'entraînement.

— Quoi ? m'exclamé-je. Mais pourquoi ?

— Tu ne t'attendais quand même pas à ce que je te laisse te défiler ? Tu es puni au lycée et tu le mérites ! Maintenant, c'est à moi de te faire comprendre que tu as dépassé les bornes.

— Mais j'ai besoin de le voir, me lamenté-je. Maman, ne le laisse pas faire ça...

Mes propos me replongent quelques années en arrière lorsque je la suppliais pour tenter d'alléger les sanctions de mon père. Je n'aime pas cette sensation, mais j'ai besoin de voir Angelo.

— Tu peux garder ton téléphone, reprend-il sans laisser le temps à sa femme de répondre. Tu ne sortiras de cette maison que pour le lycée, jusqu'à ce que tu sois repris pour l'entraînement. Le proviseur Johnson m'a informé que la personne présente avec toi était renvoyée donc c'est parfait.

— Ouais, il a juste des séances de psy à honorer.

Je me maudis d'avoir parlé trop vite quand un éclair transperce les yeux de mon père. J'aurais dû me taire.

— J'appelle le lycée !

En définitive, ça ne c'est pas si mal terminé, cela aurait pu être bien pire.

Mes parents se moquent royalement que je sois en couple avec Angelo. Au fond, je me doutais qu'ils allaient l'accepter, ils ont toujours été compréhensifs et ouverts d'esprit. Après une longue conversation, agaçante et embarrassante, ma mère m'a rejoint dans ma chambre. Elle m'a proposé d'inviter Angelo pour dîner quand nos sanctions seraient levées. J'ai accepté avant de lui en parler, c'est ce qui m'a semblé être le plus logique à faire. Il m'a incendié en me répétant qu'il n'en serait pas capable pour finalement me promettre de faire un effort. Pourtant voilà, s'échanger des textos et s'appeler de temps en temps ne me suffit pas. J'ai besoin de voir son visage et de sentir son odeur. J'en deviens malade, et je suis certain qu'il est dans le même état que moi.

J'ai peur de voir l'état de sa peau, de constater qu'il a recommencé à se scarifier et j'en dors atrocement mal la nuit. Je n'ai absolument pas parlé à mes parents de sa maladie, ni de son addiction à la douleur. Ça les auraient inquiétés et j'étais terrifié à l'idée que cette révélation soit une raison de plus pour que je reste loin de lui. Puis finalement, ce n'est pas à moi d'en parler. Je l'ai fait quand Médérick nous avait menacé de nous mettre dehors et je le regrette encore. Ce n'est pas à moi de prendre l'initiative de parler de ça, cette décision lui appartient.

Mon téléphone vibre sur la table de chevet, je décroche sans réfléchir. Je sais que c'est lui, il est vingt-trois heures, c'est l'heure à laquelle il termine son service.

— Allô, soufflé-je, trésor...

— Tu me manques, lâche-t-il d'une voix à peine audible.

— Toi aussi, tellement.

J'active le haut parleur pour poser le téléphone sur ma poitrine. Les paupières closes et le visage caché sous mon bras, je laisse sa voix s'élever dans ma chambre. Avec un peu d'imagination je peux presque me persuader qu'il est là.

— C'est long, j'en ai marre. Ce boulot me rend malade et je pue la friture à des kilomètres.

Sa voix tremble, ça ne me plaît pas. Il parle tout bas et sans aucune assurance. Je déglutis difficilement, une boule d'angoisse obstrue ma gorge.

— Tu vas bien ?

— Ça va...

— Pourquoi tu me mens ? On s'est promis de ne rien se cacher.

— Je suis juste fatigué, Will, soupire-t-il.

— Où es-tu ?

— Pas loin de chez-moi, j'y serai dans quelques minutes.

— D'accord, dans ce cas va dormir dès que tu rentres. Tu as mangé aujourd'hui ?

— Ouais, un peu ce midi.

— Et ce soir ?

— Pas eu le temps.

Je fronce les sourcils, je n'aime pas lorsqu'il oublie de se nourrir.

— Tu dois manger, dis-je fermement, c'est important.

— Je grignoterai un truc après.

Je hoche la tête comme s'il pouvait me voir. Ça ne me satisfait pas qu'il se contente de picorer au lieu de manger de vrais repas mais au moins, il n'aura pas l'estomac vide.

— Encore une semaine, soupire-t-il alors que j'entends les marches de son perron craquer sous son poids.

Je m'apprête à répondre, mais je suis stoppé, tétanisé, quand un brouhaha se répand dans le téléphone. J'entends des bruits de verres brisés, des hurlements que je n'arrive pas à identifier et mon cœur s'accélère brusquement. Je me redresse rapidement, colle le téléphone à mon oreille alors que ma main est secouée de tremblements.

— Putain de sa mère, grogne-t-il essoufflé.

— Angelo ? m'écrié-je paniqué.

Il ne me répond pas, laissant ainsi le bordel sonore s'élever à mes oreilles. Je quitte le lit, maintient le portable à l'aide de mon épaule et attrape un jogging qui traîne sur le sol.

— Angelo, que se passe-t-il ? Réponds-moi, putain !

L'appel se coupe et fait croître mon inquiétude. J'ai la respiration saccadée et les membres qui se tendent douloureusement. Je tente de le rappeler plusieurs fois alors que je chausse mes baskets et enfile un pull. Toutes mes tentatives se terminent en échecs.

J'ai envie de hurler, acculé par l'angoisse. Je descends l'escalier quatre à quatre, jette un œil au salon pour tenter d'informer un de mes parents que j'ai une urgence à régler, mais je ne trouve personne. Je laisse à l'eau l'idée de me justifier, avec un peu de chance ils ne s'apercevront pas de ma fugue. Dans le cas contraire, je me contenterai de dire la vérité. Je m'inquiète pour Angelo, s'ils souhaitent me punir davantage et bien j'assumerai sans protester.

Je ferme mon blouson lorsque l'air frais me transperce. J'ai hésité à prendre la voiture de mon père pour finalement me mettre à courir. J'ai le permis depuis mes seize ans mais je ne conduis jamais. Ici, c'est une situation d'urgence, j'avais réellement envie de tout faire pour arriver chez Angelo le plus rapidement possible, mais mon père aurait fait plus que me priver de lui pendant deux semaines si j'avais pris sa voiture sans prévenir. Alors, au détriment de serrer le volant pour calmer mes nerfs, je me contente d'enchaîner les foulées en composant encore et encore le numéro d'Angelo. Je tente la ligne fixe mais l'appel reste également sans suite. Je suis à bout de souffle lorsque je gravis enfin les quelques manches du perron. D'une main tremblante je frappe plusieurs fois contre la porte. Tout semble calme désormais et j'ignore si cela doit me rassurer ou davantage m'alarmer.

Mon téléphone vibre dans ma main, je constate qu'Angelo tente de me rappeler. Je ne décroche pas, ce n'est plus utile. Quand il ouvre la porte, je le découvre avec son portable collé à l'oreille, son visage blême et son arcade sourcilière entaillée de laquelle s'échappent quelques gouttes de sang qui longent sa tempe. Ses lèvres sont abîmées, mordues par ses dents, et ses yeux... bon sang, ses yeux sont écarlates et cernés de grosses traces noirâtres. Lorsqu'il croise mon regard, il baisse le bras pour ranger le téléphone dans sa poche arrière. Un long soupire passe ses lèvres alors que je tente vainement de calmer mon agitation.

Sans perdre une seconde, il se laisse tomber dans mes bras. Je le rattrape afin de le plaquer contre mon torse. Il frissonne, sa peau est gelée.

— Pourquoi tu es là ? chuchote-t-il en posant sa bouche fraîche contre mon cou. Tes parents vont être hystériques.

— J'ai paniqué, tu ne me répondais plus.

Je le serre davantage dans mes bras tandis que les siens s'enroulent autour de ma nuque. Ce que c'est bon de le voir. J'ai bien fait de me déplacer et je me moque des consequences. Mon pauvre trésor est dans un affreux état.

— Excuse-moi, Bérénice était en train de dérailler contre Loli quand je suis rentré.

— Elle va bien ?

— Elle est secouée mais ça va. Elle est dans sa chambre.

— Et ta mère ?

— Elle s'est rendormie. Tu restes un peu ? demande-t-il d'une petite voix. T'entendre derrière un téléphone ne me suffit pas...

J'acquiesce et dépose un baiser sur sa joue. Il attrape ma main et me tire vers l'intérieur de la maison. Mon sang se glace en remarquant le désastre qui recouvre le sol. Bérénice a encore tout brisé. je l'imagine parfaitement en train de tout balancer à travers le salon et cette image me fait frissonner.

— Attends-moi dans la chambre, je dois ranger tout ça, soupire-t-il.

Je secoue la tête et resserre mes doigts autour des siens pour ne pas qu'il lâche ma paume.

— Tu le feras plus tard, tu as besoin de dormir.

— Mais, je dois...

— Tais-toi, le coupé-je en posant mon index sur ses lèvres. Je vais rester avec toi le temps que tu trouves le sommeil.

Il hésite, semble peser le pour et le contre, puis baisse les bras en acceptant de me suivre jusqu'à sa chambre.

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0