Chapitre 9, partie 2 :
Angelo DeNil :
J'ai la sensation d'enfin respirer maintenant que Will est sous mes yeux. Il est tellement beau. J'ai tenté de le dessiner sous mes paupières un nombre incalculable de fois durant cette dernière semaine, mais jamais je ne pourrai atteindre la perfection de son visage. Ses yeux sont plus clairs qu'à l'accoutumée, ses mèches brunes retombent sur son front, elles sont en pagaille et légèrement humides. J'ai envie de le dévorer, de mordre ses lèvres jusqu'à ce que j'oublie le temps passé sans lui. Pourtant, je n'ai pas la force de bouger, même lever les bras pour l'enlacer m'est difficile.
Ces derniers jours ont été affreusement longs et pénibles. Le boulot est chiant et fatiguant, à tel point que je n'ai quasiment pas de pause pour me ressourcer, prendre l'air ou parler à Will. Le restaurant est toujours plein d'ivrognes qui tentent d'éponger l'alcool qu'ils ont ingurgité avec des parts de cheesecake ou de gros burgers dégoulinants de gras. S'il ne s'agit pas d'alcoolos, ce sont les connards du coin qui se prennent pour des caïds, accompagnés de nanas à moitié habillées. Il y a si peu de personnel que je dois jongler entre la cuisine et le service en salle, parfois je récure les toilettes et bordel, ce que je me sens humilié lorsque ça se produit. J'ai volontairement omis ce genre de détails à Will, je refuse qu'il ait pitié de moi. Je me sens déjà assez mal dans ma peau quand j'ai un balais à chiotte dans les mains pour y ajouter les mots et regards compatissants de celui que j'adore éperdument.
Ça me dégoûte. Ce job m'écœure, mais j'ai besoin du salaire. Je ne peux pas me permettre de me plaindre ou de faire le difficile mais j'ignore encore comment je vais pouvoir gérer mes heures au resto en plus des cours lorsque ma sanction sera levée. Je pensais être capable d'y parvenir, pourtant je suis déjà tellement fatigué. Et comme si cela ne suffisait pas, Bérénice n'est pas de bonne humeur en ce moment, elle beugle et s'évertue à nous mener la vie dure.
— Pourquoi tu saignes ? demande doucement Will.
Le son de sa voix me fait sortir de mes pensées et je réalise m'être égaré, fixant un point invisible contre le mur. Je lève la main et tâte la coupure qui barre mon arcade. J'appuie dessus et me délecte de la douleur qui se répand en picotements dans ma tête. Ça me ramène à la réalité. C'est ce dont j'ai besoin, avoir mal encore et encore.
Will attrape mes doigts et les éloigne de la blessure. Le regard qu'il pose sur moi est sévère. Je n'aime pas lorsqu'il me fixe ainsi, j'ai l'impression qu'il est en colère contre moi.
— Je me suis cogné contre la porte en évitant un cendrier, soupiré-je.
Je le vois expirer d'agacement tandis que ses sourcils sombres et épais se froncent et plissent son nez.
— Tu as de quoi nettoyer ?
— Dans le tiroir du bureau.
Il récupère un flacon d'alcool et tapote doucement ma plaie d'une compresse humide. Je frissonne, c'est douloureux mais plaisant tout de même.
— Tu passes ton temps à me soigner.
— Je le ferai toujours, murmure-t-il en embrassant mon front, mais je t'avoue que je préférerais ne pas avoir à le faire.
J'acquiesce, c'est logique.
Je fais un pas en avant et laisse tomber ma tête contre son torse. Will passe ses mains dans mon dos et caresse lentement ma peau. Son contact m'a manqué, sa douceur et sa tendresse également.
— Je sens mauvais, grogné-je alors qu'il enfouit son nez dans mes cheveux.
— Quelle importance ? Je veux juste être avec toi, je me fous que tu sentes le fromage et les beignets.
Je secoue la tête mais ne bouge pas pour autant. Les battements de son cœur me bercent et m'apaisent.
— Lève les bras.
Je fais ce qu'il me dit sans résistance, je n'ai pas envie de lui tenir tête. Je suis bien trop heureux qu'il soit là même si ça ne se voit peut-être pas. Il attrape le bas de mon pull et le retire rapidement. Sa main se plaque sur mon torse, il m'ordonne silencieusement de reculer. Son regard me parcourt, il examine mes bras et sourit fièrement en remarquant qu'il n'y a aucune plaie, simplement des cicatrices qui ne partiront jamais.
J'y ai songé, plus d'une fois, sûrement un million, à faire glisser la lame sur ma peau fine et regarder mon sang couler et souiller mon âme mais je me suis fait violence, pour lui. Affronter son regard désespéré est pire que toutes les douleurs que je peux m'infliger. Ça a été ardu, j'ai failli craquer à maintes reprises alors pour compenser, j'ai doublé ma prise de médicaments.
Les mains de Will atteignent la boutonnière de mon pantalon. J'observe ses doigts ouvrir le vêtement et retiens mon souffle lorsqu'il se met à genoux pour le faire glisser le long de mes jambes. Il attrape mon pied puis le deuxième afin de me dévêtir complètement.
J'admire la beauté de son visage alors qu'il se penche légèrement pour effleurer mes cuisses de ses lèvres douces. Je ferme les yeux, transporté par la sensation de ses baisers sur ma peau qui frissonne. Mes doigts passent entre ses mèches brunes, les tirent un peu alors que je soupire doucement.
Il continue ainsi un moment, j'ignore si cela dure une minute ou une heure mais la bosse qui déforme mon boxer est plus que sensible quand il l'effleure parfois. Il se redresse finalement, me surplombe de toute sa hauteur, de sa carrure impressionnante, de sa divine splendeur. Je le regarde se déshabiller, la lèvre pincée entre mes dents. Il retire rapidement chaque vêtement jusqu'à ce que nous soyons dévêtus de la même façon. Lorsqu'enfin nos peaux se rencontrent, ma tête tourne sous l'intensité de son contact. Il m'emprisonne entre ses bras, nous guide jusqu'au lit sur lequel il me pousse doucement, puis vient s'allonger tout contre moi.
— Tu dois dormir, mon cœur, susurre-t-il près de mon oreille.
J'encaisse l'acharnement de mon palpitant. Je suis subjugué par sa chaleur, sa peau et sa voix. Sa seule présence me met dans un état second, comme s'il était une drogue qui parcourt mes veines jusqu'à me retourner l'esprit et enlacer mon âme fracturée.
— Tu ne pars pas, hein ?
Il caresse ma joue de son index, le fait glisser le long de mon cou, descend vers ma clavicule et remonte pour retracer plusieurs fois le même chemin.
— Non, je reste avec toi.
— Ton père va te tuer.
— Ce n'est pas bien grave, je suis un grand garçon, s'amuse-t-il.
Ses lèvres se posent sur mon nez, je clos les paupières en caressant son dos du bout des doigts.
— Tu ne m'as pas encore embrassé, murmuré-je en approchant mon visage à l'aveugle.
Pour toute réponse, sa bouche rejoint tendrement la mienne. Une myriade d'étincelles se répand sous ma peau. C'est un second souffle, je revis enfin. Je suis encore vivant, j'en ai la certitude maintenant que je goûte à ses lèvres qui m'ont atrocement manquées.
Il m'offre plusieurs petits baisers, jusqu'à ce que ma main s'agrippe à sa nuque pour l'encourager à intensifier notre échange. Il gémit lorsque ma langue caresse la sienne. Ses mains sur mes hanches me maintiennent contre lui. J'étais en manque, j'avais besoin de lui et de son odeur pour ne pas davantage m'égarer. Je lui suis reconnaissant d'être venu et autant désolé de l'avoir inquiété.
Ses lèvres s'acharnent contre les miennes, rattrapent le temps que nous avons perdu. Je profite de sa tendresse mais une partie de moi est douloureuse. Je ne saurais l'expliquer, alors que ses baisers ne se tarissent pas, je me répète sans cesse qu'il est malheureux par ma faute. Il mérite le ciel et les étoiles alors que je me contente de l'engloutir dans mon obscurité. J'ai mal de vivre ainsi, dans un taudis qui me fait honte quand Will s'y trouve. Je ne supporte plus être si vide lorsqu'il est loin de moi et d'être qu'à demi comblé quand il me touche car les mauvaises pensées refont surface. En réalité, la peur de le perdre me tiraille et m'étreint dans un cocon qui m'étouffe. J'ignore si la fatigue me brise mais c'est douloureux. Je souffre de l'aimer si fort, au point d'être un spectre quand il ne me regarde pas, devenir l'ombre d'une ombre quand il n'est pas là, plonger dans un gouffre de désespoir quand je n'entends pas sa voix.
— Que se passe-t-il ? s'enquiert-il en un soupir.
Je ne comprends pas sa question, alors j'ouvre les paupières et l'interroge silencieusement.
— Tu sembles t'être perdu, nous ne sommes plus connectés. Que t'arrive-t-il ? Parle-moi...
Je baisse les yeux, un peu pris de court par ses paroles. Il remarque toujours tout, c'est perturbant.
J'ouvre la bouche pour tenter de parler alors qu'il relève mon visage vers le sien. Aucun mot ne sort d'entre mes lèvres mais une avalanche de larmes s'épanche sur mes joues. La digue a cédé, je ne peux retenir mes sanglots. J'ai beau essayer, je n'y parviens pas. Ils sont ravageurs, pleins de sentiments, de peur, de fatigue. Je m'effondre sous les yeux arrondis de mon soleil, ma carcasse déjà fêlée se fissure davantage. Je crois que j'ai sombré.
Will se redresse à la hâte, prend appuie contre la tête de lit et m'attire sur son bassin. J'ai honte de craquer devant lui, comment en suis-je arrivé là ? Il m'embrassait, c'était doux, calme, bon et pourtant, je me retrouve en larmes dans ses bras.
Une merde !
C'est ce que je suis, une raclure, un tas d'ordures.
Je tente de dissimuler mon visage dans son cou mais il m'en empêche en posant ses mains sur mes joues. Les gouttes salées, assassines, noient mon visage, parcourent ses doigts et finissent sur mon torse. Mon nez coule, c'est disgracieux, sûrement repoussant, puis des plaintes quittent mes lèvres.
— Mon Dieu, trésor... pourquoi tu pleures ?
Je secoue la tête, incapable de répondre.
" Je t'en prie, Will, ne cherche pas à comprendre car moi non plus je ne sais pas. "
— Tu as mal quelque part ?
" Oui, mon cœur est en miettes. "
— Ai-je fait... quelque chose de travers ? demande-t-il soudainement paniqué.
" Bien sûr que non. Tu fais tout parfaitement, c'est justement ça le problème. Je n'en vaux pas la peine. "
— Je ne comprends pas... Tu dois essayer de m'expliquer ce qui te tracasse. Ça me brise de te voir ainsi.
Je ferme les yeux, continue de pleurer sans pouvoir faire cesser ses larmes douloureuses.
Les doigts de Will tremblent sur ma peau. Je le rends malheureux, je ne suis bon qu'à ça.
— Je devrais partir ? Ce n'est pas ce que je veux, je désire être avec toi, mais, si tu as besoin de...
J'ouvre brusquement les paupières, me jette à son cou pour déverser ma peine et lui faire comprendre que j'ai besoin de lui plus que de n'importe qui. Une de ses mains parcourt ma colonne vertébrale et la seconde agrippe mes cheveux. Il m'emprisonne dans ses bras, si fort que je ne respire plus ou peut-être suis-je étouffé par mes pleures ?
— Angelo, glisse-t-il à mon oreille, je ne supporte pas te voir pleurer. Que puis-je faire pour sécher tes larmes ?
" Tu ne peux rien faire, juste, tiens moi puissamment contre toi. Je t'en prie, accroche-toi à moi même si je suis mauvais et sale pour ta beauté et la pureté de ton cœur. "
Je relève la tête, écrase mes lèvres contre les siennes, souillant son visage d'eau et de morve. Il ne semble pas s'en soucier puisqu'il presse sa bouche contre la mienne si ardemment qu'il doit en souffrir autant que moi. Je clos les paupières au point qu'un mal de crâne m'assaille, mes ongles s'enfoncent dans ses épaules. Je m'agrippe à lui comme s'il était ma bouée en plein naufrage. Je déverse mes maux dans notre baiser, toute ma peine, ma colère, puis cet amour que je ne comprends pas mais qui est si intense qu'il me fait vaciller.
Lorsque je m'éloigne, Will est à bout de souffle, ses lèvres sont rougies et gonflées, sa poitrine se soulève avec acharnement et puis sa peau est salie par ma faute. Il ouvre la bouche pour parler mais je le devance en murmurant d'une voix brisée par les sanglots :
— Je suis épuisé, Will, tellement fatigué.
— Endors-toi, je vais veiller sur toi, m'assure-t-il en caressant ma peau.
— Non, tu ne comprends pas. Ce n'est pas physique. Je suis crevé mentalement, c'est insupportable.
La tristesse que je décèle dans ses yeux me brise davantage. Je le rends aussi morose que moi et je me déteste pour ça.
— Ça ne peut pas être autrement, tu te démènes beaucoup trop et tu ne manges pas suffisamment, tu ne dors pas énormément. Tu puises dans une source d'énergie déjà trop faible.
Je pose mon front contre son épaule alors qu'il pousse doucement dans le bas de mon dos pour coller mon torse au sien.
— Dis-moi, Angelo, ce que je peux faire pour alléger la charge qui te pèse.
— Tu en fais déjà assez.
— Non, visiblement pas puisque tu t'effondres et je ne sais pas comment te rebâtir.
— Aime-moi, c'est l'unique chose dont j'ai besoin.
— C'est déjà ce que je fais, tu le sais. J'aimerais te le répéter, le graver en toi, en moi, pour que jamais nous l'oublions mais tu refuses.
— Il n'y a rien de bon en moi, pour toi, murmuré-je, anéanti.
— Je crois avoir compris ce qu'il se passe, déclare-t-il en glissant ses doigts entre mes cheveux ondulés. Tu t'es renfermé cette semaine, dans une pièce trop sombre et sans saveur mais et je n'ai pas la clé.
— C'est toi. Tu es la réponse à toutes mes questions, le remède pour chacune de mes plaies.
— Tu es dans une mauvaise période, c'est ça ? Quand nous sommes revenu en ville, j'ai fait des recherches et lu des livres pour essayer d'en savoir plus sur ta maladie, mais ça ne ressemble pas aux phases maniaques que j'ai pu découvrir. Alors, de quoi s'agit-il ?
— Une légère dépression, sûrement.
— Comment tu fais pour sortir la tête de l'eau quand ça te prend ? Dis-moi, je veux comprendre, apprendre et savoir comment me comporter.
— Attendre, c'est tout. J'ai des antidépresseurs en plus de mes régulateurs d'humeurs mais je n'aime pas les prendre.
— Pourquoi ?
— Prendre les deux en même temps me rend vaseux, je déteste cette sensation.
Il acquiesce et dépose un baiser sur mon front.
— Ces périodes durent-elles longtemps ? Te voir si désespéré me brise le cœur.
— C'est variable.
— Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? Je savais que c'était difficile, ça l'est pour moi aussi, mais pas comme ça. Je pensais qu'il s'agissait de la situation et qu'une fois ensemble, ça irait mieux, mais je réalise maintenant que ce n'est pas le cas. Si tu me l'avais dit j'aurais pu venir bien plus tôt et tenter de calmer ta peine.
— Tu te serais attiré des ennuis, tu vas en avoir pour être là ce soir.
— Ça m'est égal, je veux simplement que tu ailles bien. Le reste n'est pas important.
— Prends-moi dans tes bras, l'imploré-je.
Il glisse sur le matelas, s'étend et m'emporte avec lui. Mon corps recouvre le sien, il me maintient fermement contre son torse et me câline de ses doigts tendres. Je continue de pleurer, tente d'être discret mais mon être est secoué de tremblements.
Si Will n'était pas venu ce soir, j'aurais probablement craqué. Mes efforts n'auraient servis à rien puisque j'aurais tout envoyé balader en me déchirant la peau. Mais il est là, alors je me focalise sur sa peau chaude et son cœur qui bat sous ma paume. Ses jambes s'écartent légèrement pour que je me place à ma guise. Je plie un genou sur son bas ventre, ma tête se niche dans le creux de son cou pour respirer son odeur qui apaise ma souffrance. Je me laisse bercer par son amour et sa tendresse, par ses câlins et ses caresses.
— Endors-toi, mon doux trésor. Je ne te quitte pas, je reste jusqu'à ce que tu te sois suffisamment reposé.
J'accepte d'un mouvement de tête, puis je dépose mes lèvres sur sa peau.
— J'ignore encore comment, mais je vais te réparer. Je te le promets, je ne te laisserai jamais tomber.
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