Chapitre 14 :
Angelo DeNil :
Je suis ballotté dans un lac gelé, mon corps s'engouffre et touche le fond alors que l'eau remplit mes poumons. Lorsque mes membres cessent de se débattre, je suis propulsé vers le haut et rejoins la surface. C'est incessant, je me noie inlassablement pour ensuite reprendre mon souffle en une respiration douloureuse. J'ai perdu le compte.
J'ignore où je suis, j'ai froid et je suis terrifié. La lumière s'est éteinte, je suis égaré au milieu de l'obscurité et m'interroge sur mon état. Suis-je encore en vie ? Est-ce l'enfer ? Est-ce une noyade éternelle qui m'attend pour absoudre les péchés de ma folie ? Je n'en sais rien, mes pensées peinent à s'aligner. Parfois, des flashs apparaissent sous mes paupières closes et les images de mon malheur me reviennent à l'esprit. Elles défilent tel un film d'horreur, me prennent à la gorge et évince mon bonheur.
Je suis assis sur le sol, un éclat de miroir à la main et emporté par la rage et la tristesse, je m'acharne sur mes bras avec bien trop de virulence. Je me lacère la peau, me découpe les veines en appuyant trop puissamment. Je saigne, sûrement trop abondamment parce que ma tête vacille et mes forces me quittent. Je pense ne pas avoir terminé mon dernier écrit, est-il compréhensible ? Soit, de toute façon, personne ne lira ma peine et mon humiliation.
Pourquoi ai-je fait cela déjà ? Will ne m'aime plus, je crois. Pourtant, parfois, j'ai l'impression de l'entendre m'appeler, dans ce monde sans couleur ni odeur, dans cette eau froide et sans lueur. J'ai la sensation qu'il me parle et me touche. Lorsque ça arrive, je me sens puissant et cela me donne le courage de refaire surface et respirer à nouveau. Oui, c'est mon Willy qui me retient. Mais, pourquoi le fait-il s'il ne m'aime plus ?
C'est Alexie Carter qu'il aime.
Cette phrase résonne dans ma tête alors que le visage amusé de Noah me provoque et me pousse à bout. Mon carnet entre ses doigts, il me nargue, se joue de moi.
C'est Alexie Carter qu'il aime.
Les réminiscences apparaissent en images saccadées. Je tente de me focaliser sur les caresses de Will, sur ses baisers et ses mots tendres qui me chatouillent les oreilles. Il n'a pas pu faire semblant, un regard amoureux ne trompe pas. Alors, pourquoi me suis-je perdu dans les ténèbres ?
Non, lorsqu'il me contemple, ses iris brillent comme deux comètes. Il ne peut pas créer l'illusion d'un amour quand il jouit avec moi, quand il fait passer mon plaisir avant le sien. Ses sentiments sont bien trop réels, presque palpables pour qu'ils s'avèrent être un vulgaire mirage. Pourquoi me suis-je laissé embobiner par ce connard de Carter ? Je ne suis qu'un sombre idiot, un crétin au cerveau ravagé par Ombre et ses fanfaronnades. Je mérite d'être exilé dans l'oubli après avoir douté des sentiments de mon William adoré.
J'aimerais l'apercevoir, mais je n'y parviens pas. Le soleil ne brille pas sous l'eau.
J'ai la sensation d'être épié, examiné. Les voix se mêlent, les senteurs s'élèvent enfin et tourbillonnent autour de moi. Je suis presque certain d'entrendre la détresse de Will, de sentir son odeur et sa présence. Je ne suis pas mort, je crois que je dors. J'aimerais me réveiller, je ne veux plus m'égarer. L'éternité est trop longue, elle me paraîtrait interminable et insurmontable sans lui.
" Je t'aime si fort, Angelo. Tu ne dois pas mourir et me laisser me perdre. "
Ce sont les mots qui me parviennent. C'est lui, j'en suis persuadé. Sa voix, je la reconnaîtrai n'importe où, même dans ce néant je parviens à l'entendre. Est-ce mon esprit malade qui me joue des tours ? Pourtant, ça semblait si réel.
" Je t'aime aussi, mon amour. Je t'aime à en crever et je crois que c'est la raison pour laquelle je suis là. Tends-moi la main, Will, je l'attraperai. "
L'eau s'agite autour de moi mais elle ne s'infiltre plus dans mes poumons. Je suis secoué de droite à gauche, comme si on m'obligeait à me réveiller. C'est ce que je veux, ouvrir les yeux. Une faible lueur apparaît au-dessus de ma tête. Je suis fasciné, elle est si belle. C'est une étoile dans l'obscurité de ma nuit. Un astre qui a le même éclat que l'océan de Will. C'est dans l'étendue d'eau de ses iris que je désire me noyer, pas dans ce lac lugubre et sans vie. Je lève le bras, je dois attraper cette lumière. Il le faut !
Des paroles s'élancent partout autour de moi, elles dansent en échos. Ce sont des bribes de conversations, si certaines voix me sont inconnues, j'en ai tout de même reconnu plusieurs. Il y a Lolita, ma jolie poupée, Rose, Pietro, Judas, et mon Willy. Mon tendre amour. Sont-ils tous là ou est-ce un songe ? Peu importe, c'est apaisant, je suis moins terrifié depuis que l'étoile brille.
Lentement, mon corps s'élève, je m'approche de la surface. Je me laisse porter par le courant, je n'ai plus peur.
Mes paupières papillonnent. Ma tête est douloureuse, mon corps est lourd, j'ignore où je suis. Je détaille la pièce dans laquelle j'ai ouvert les yeux. Elle est blanche, claire et il n'y fait pas froid. Je crois que c'est une chambre d'hôpital. Je suis sorti de ce cauchemar.
J'ai du mal à respirer, j'ai l'impression que mon nez est encombré. Un poids est posé sur le haut de mes cuisses. C'est lourd, de quoi s'agit-il ? Je baisse lentement le regard sans amorcer le moindre geste pour ne pas que ma tête hurle de douleur. Mon cœur fait une embardée lorsque je distingue l'épaisse chevelure de Will. Je ne vois pas son visage, il est dissimulé contre mes jambes.
Il est avec moi, il ne m'a pas délaissé. Je crois que William Marx n'aime que moi, pas cette gourde d'Alexie Carter. Si c'était le cas, il ne serait pas endormi, la tête contre mes cuisses. Alors, je n'ai pas rêvé, tout était réel. Les voix, les caresses, les regards. Je n'ai jamais été seul, pas un instant. Désormais j'en ai la certitude, c'est grâce à lui que j'ai si souvent rejoins la surface.
Je tente de lever le bras, une souffrance affreuse me paralyse. Je ressens le besoin de le toucher, je dois persévérer. Après plusieurs tentatives, je parviens enfin à atteindre ses cheveux. Mes doigts glissent entre ses mèches, j'ai la sensation d'enfin respirer. Quel bonheur de sentir la douceur de sa tignasse brune. Je tente de parler mais aucun mot ne passe mes lèvres, quelque chose fait pression sur ma langue. Je gratte doucement le crâne de Will. Je ne veux pas le réveiller mais mes doigts me brûlent de le toucher. Il est secoué par un léger sursaut et rapidement, il relève la tête.
Je ne saurais décrire ce qu'il se passe dans son regard lorsqu'il croise le mien, ni même ce que je ressens en apercevant son visage qui semble si fatigué. Ses yeux s'arrondissent et la seconde suivante, un déferlement de larmes longe ses joues alors qu'il pousse un long soupir.
— Angelo, dis-moi que je ne rêve pas...
Sa voix rauque et cassée fait écho en moi. Je souhaite lui répondre mais je ne peux pas alors je fais " non " avec l'index.
— Mon trésor, souffle-t-il, tu t'es battu et tu m'as rejoint.
En un éclair, il se positionne au-dessus de moi, ses lèvres déposent des baisers partout sur mon visage. Ça chatouille, son soulagement me donne envie de vivre. Il appose son front au mien tandis que je clos les paupières pour tenter de dompter ce brouhaha de sentiments qui résonne en moi.
— Ne pleure pas, murmure-t-il en passant ses pouces sous mes yeux.
J'aimerais lui dire qu'il le fait également, que ses perles salées s'échouent sur ma peau mais je ne sais plus parler.
— J'ai eu si peur... J'étais terrorisé à l'idée que tu ne te réveilles pas, que tu m'abandonnes. Mon cœur, je serais mort avec toi si ça avait été le cas. Bon sang, je suis si fier de toi, tu as ouvert les yeux.
" Jamais je ne t'aurais laissé mourir avec moi, mon amour. C'est pour ça que je suis revenu. Pour toi. "
Je me sens affreusement coupable désormais. Il semble épuisé, ses joues sont creusées et ses traits tirés. Puis, son océan... ses yeux sont si tristes malgré son soulagement. L'envie de lui hurler que je suis navré m'étreint. J'ai honte et je regrette d'avoir douter de lui, de mettre laissé convaincre par Carter.
Je lève le bras, avec plus de facilité que la fois précédente, pour atteindre son visage. Sa joue se plaque contre ma paume alors qu'il ferme les yeux comme pour s'imprégner de ma peau.
— J, je..., tenté-je difficilement.
Il approche son visage, tend l'oreille en effleurant le dos de ma main.
— Que se passe-t-il, trésor, tu as besoin de quelque chose ?
— Je... t'a...
— Ne t'entête pas à parler si tu n'y arrives pas. Je dois appeler une infirmière.
Je grogne et secoue la tête avant de me figer sous la douleur qui transperce mes tempes. Je ne veux pas d'infirmière, je veux simplement prononcer les mots qui refusent de glisser sur ma langue. Ça m'agace !
— D'accord, j'ai compris, pas tout de suite, soupire-t-il.
— Je, je t'ai...me, parviens-je enfin à chuchoter.
Les yeux de Will s'arrondissent alors que son corps se met à trembler. Le mien est recouvert de frissons lorsque je sens son souffle s'échouer sur ma peau.
— Qu... quoi ? Tu peux essayer de répéter ? Pardon, je ne suis pas certain d'avoir compris, s'excuse-t-il d'une voix vibrante d'émotions.
— Je t'aime, parviens-je enfin à dire malgré le fait que je bave comme un bébé à ne pas pouvoir fermer la bouche.
Son regard enflammé rencontre le mien, je peux presque entendre son cœur marteler sa poitrine.
Ces mots n'ont jamais été aussi sincères qu'à cet instant. Je suis prêt à lui dire et à l'entendre. Je l'aime au point de ne plus vouloir souffrir, tout au moins, ne plus vouloir mourir.
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