Chapitre 15, partie 2 :

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Angelo DeNil :

J'ai mal partout, la position dans laquelle je suis est inconfortable pour l'un de mes poignets blessés. Pourtant je reste immobile, serré contre Will et m'enivre de l'arôme de sa peau. Malgré la douleur, je ne souhaiterais bouger pour rien au monde parce que ma place est là, dans ses bras. Peu importe où je suis, s'il est avec moi, je me sens chez-moi.

J'ai failli mourir...

En y songeant, je me dis que c'était une grosse erreur.

J'ai fait souffrir Will et la culpabilité ne me quitte pas. Je pense à Loli qui doit être morte de peur. Simona doit se faire un sang d'encre et Bérénice... et bien je ne sais pas et je n'ai pas forcement envie de le savoir.

J'ai la rage en moi, une haine bouillonnante dans les entrailles. Noah Carter est une enflure et il va payer pour ça. Il a profité de moi, il a attendu que je sois à terre pour me porter le coup qu'il pensait sûrement fatal en lisant mon journal. Je n'ai pas encore tiré ma révérence. Je suis tombé, certes, mais Will va m'aider à me relever. J'en suis persuadé, je le vois dans son océan tempétueux, il ne me laissera pas me noyer. Pour le moment mes démons se taisent. Je sais qu'ils reviendront, sûrement plus vite que je l'espère mais je ne les autoriserai pas à me dominer, pas encore une fois. Non, pas si c'est pour de nouveau faire du mal aux gens que j'aime. Dans mon sommeil, je me suis aperçu que j'avais plus de raisons de me battre que de baisser les bras. L'amour que je ressens pour Marx est trop rayonnant pour que je me contraigne à l'abandonner. Je sais que le chemin va être truffé d'embûches, que je vais lutter, souffrir et me perdre encore, mais je ne me laisserai plus abattre. Il mérite que je prenne mon courage à deux mains et que j'affronte ce monde infâme dans lequel j'évolue. Il le faut, je n'ai pas le choix si je veux que mon soleil brille pour moi.

Ses doigts ne remuent plus sur ma peau, je crois qu'il s'est endormi. C'est bien, qu'il se repose, son visage n'est plus celui que je connais. Il est maussade et trop marqué. Si Will est épuisé, c'est ma faute. Je dois réparer mes erreurs. Cette fois c'est à mon tour de l'aider.

J'aimerais lui poser un tas de questions, savoir ce qu'il a fait et ressenti pendant mon sommeil. Le temps a dû lui paraître terriblement long. Je ne suis pas idiot, j'ai bien remarqué la date sur son téléphone et je me rappelle parfaitement celle du jour où je me suis acharné sur mes bras.

Je souhaite savoir comment il a été prévenu, comment il a su que j'avais perdu pied et j'espère de tout mon cœur qu'il ne m'a pas vu, qu'il n'a pas été témoin du tableau probablement horrible dans lequel j'étais devenu un martyr inanimé. Je me renseignerai sur tout ce que je désire savoir mais seulement lorsque je serai certain que sa terreur s'est dissipée.

J'admire ses paupières closes, ses mèches brunes qui reposent sur son front et prends conscience que j'ai été stupide de mettre en cause sa sincérité. J'ai douté trop de fois, et ce sera probablement encore le cas. Mais, plus jamais je ne remettrai ses sentiments en question. Les évènements, aussi tragiques soient-ils, me prouvent que son amour est identique au mien, qu'il devient aveugle quand je ne suis pas là, qu'il préfère se noyer plutôt que de nager sans moi.

William Marx est mon âme sœur, la deuxième moitié de mon cœur amoché. Il est mon ombre et ma lumière. C'est avec lui que je veux périr après avoir profité de ma vie à ses côtés.

On va surmonter cette nouvelle épreuve, nous en sommes capables parce qu'à deux nous sommes plus forts. Intouchables.

La porte de la chambre s'ouvre et brise le fil de mes pensées, m'obligeant à relever la tête pour observer qui pénètre dans la pièce. C'est une dame en blouse blanche qui ouvre de gros yeux ébahis lorsqu'elle m'aperçoit. Elle me fixe avec étonnement puis son regard dévie sur Will qui dort paisiblement.

— Monsieur DeNil, s'exclame-t-elle finalement. Je suis ravie de vous voir enfin réveillé.

" Merci, trop aimable, mais parle moins fort veux-tu. Tu vas réveiller Will. "

Elle s'approche du lit et vérifie je ne sais quoi sur les machines auxquelles je suis relié.

— Il aurait été judicieux d'attendre avant de succomber aux bras de votre petit-ami, s'amuse-t-elle en souriant. Peut-être est-ce lui qui a craqué, ça ne m'étonnerait pas, il semblait dévasté durant votre coma.

Je fronce les sourcils, légèrement irrité. Est-elle obligée de ne faire que bavasser ? Ses propos ne font qu'augmenter ma culpabilité. Elle n'a pas besoin de me confesser ce genre de détails, je me suis aperçu de la douleur de Will en croisant son océan.

— Comment allez-vous ?

Exaspéré, je lève le doigt jusqu'à ma bouche pour qu'elle assimile enfin que je ne peux pas lui répondre.

— Oh, évidemment ! Excusez-moi, rit-elle en plaçant ses mains sur ma mâchoire pour m'inciter à ouvrir la bouche.

Ça tire, c'est douloureux et j'ai l'impression qu'une chose craque dans ma tête. Je n'aime pas ça.

— Ça va être désagréable, fermez les yeux et respirez lentement.

J'obtempère en enroulant les doigts autour du bras de Will qui dort toujours. Je sens une pression sur ma langue et rapidement le tuyau s'extrait en remontant le long de mon œsophage.

Bordel, ça fait un mal de chien.

Une quinte de toux me secoue brusquement, ma gorge est en feu et ma bouche sèche à mourir. Je plaque ma main contre ma poitrine qui me tiraille étrangement alors que l'appareil cardiaque se met à biper rapidement. Je n'arrive plus à respirer, c'est désagréable, semblable à l'une des nombreuses noyades auxquelles j'ai été victime durant mon sommeil. Will se redresse vivement, tiré du sommeil par mon agitation et le son caverneux et désordonné qui quitte mes lèvres. Ses larges paumes se plaquent sur mon ventre tandis qu'il m'attire fermement contre son torse.

— Angelo, ça va ? s'enquiert-il d'une voix tremblante. Bon sang, mais pourquoi est-il dans cet état ?

— Ce n'est rien, déclare calmement l'infirmière en remplissant un verre d'eau, c'est tout à fait normal ne vous inquiétez pas. Il risque de régurgiter un peu de sang et sa gorge va être sensible durant quelques jours.

— Pourquoi l'appareil sonne de cette façon ? Pourquoi son rythme cardiaque est si rapide ?

— Il a été surpris, il va se calmer.

Elle apporte le verre à ma bouche d'un geste calme et assuré. J'avale par petites gorgées. C'est douloureux mais boire me fait du bien. J'étais assoiffé.

— Son cœur va bien ? Il ne risque pas un nouvel arrêt ?

Will a l'air terrifié, et j'admets que l'angoisse m'étreint lorsque j'assimile ses paroles. Je pose ma main sur sa cuisse pour tenter de le rassurer mais je n'en mène pas large.

— Pour... pourquoi... un... arrêt ? questionné-je la voix rauque et en déglutissant difficilement.

Je peine toujours à parler bien que le tuyau n'obstrue plus ma gorge.

— Vous avez fait un arrêt cardiaque le jour de votre arrivée à l'hôpital, déclare-t-elle alors que je suis tétanisé de l'entendre. Vous aviez perdu beaucoup de sang et votre cœur s'est arrêté pendant six minutes. Ça arrive parfois lorsqu'on subit une hémorragie semblable à la vôtre.

Ma tête pivote vers Will, je l'observe entre mes cils désormais humides d'un désespoir qui m'enlace en songeant à son calvaire et celui de mes quelques proches qui sont restés dans l'incertitude et le sont encore pour la plupart.

La mine déconfite qu'il arbore me fait mal, ses yeux sont embués et sa peau bien trop pâle. J'encercle son visage en me plaquant contre lui. J'ai envie de ma flageller pour ce que je lui ai fait subir.

— Oh... mon amour, je suis tellement... désolé, murmuré-je contre ses lèvres.

Il clôt les paupières et pose son front contre le mien. Mes pouces passent sous ses yeux où perlent quelques gouttelettes salées.

— Pardonne-moi... Pardonne-moi, je ne voulais pas te faire vivre ça. Mais... j'avais si mal, j'avais besoin de faire le vide, Will... mais je ne voulais pas te blesser ainsi. Soleil, je n'ose pas imaginer ce que j'aurais ressenti si j'avais été à ta place.

— Angelo, couine-t-il, ne me fais plus jamais ça.

— Je te le promets, soufflé-je en effaçant une larme qui coule sur sa joue.

L'infirmière se racle la gorge et me fait sursauter. J'avais oublié sa présence, égaré dans l'océan désespéré de celui pour qui je veux que mon cœur batte.

— Je suis navrée de briser ce moment fort en émotions mais je dois m'occupez de vous, dit-elle, contrite.

Je reporte mon attention sur elle alors que Will câline mon dos de ses doigts brûlants. Elle prend ma tension, observe mes yeux avec un appareil lumineux, prend ma température et encore d'autres choses dont je ne connais pas l'utilité. Lorsqu'elle termine enfin, elle s'éloigne en souriant.

— Vos constantes sont bonnes et vous semblez réagir correctement alors je vais vous laissez en paix pour ce soir. Un médecin viendra vous voir demain dans la matinée. Il se fait tard, vous devriez dormir. Monsieur Marx, souhaitez vous qu'on vous installe un lit maintenant que votre guerrier s'est réveillé ?

Will ouvre la bouche pour répondre mais je le devance.

— Ce n'est pas utile, il va dormir avec moi.

Elle secoue la tête en fronçant les sourcils, les poings sur les hanches.

— Ce n'est pas convenable, vous avez besoin de...

— Il dort avec moi, la coupé-je fermement. Il n'y a pas de mais ou je ne sais quoi. Will dort dans ce lit, avec moi !

— Angelo, tente-t-il, je vais...

— Mais tais-toi ! Bon sang, je veux, je veux...

Ça m'agace qu'on me contredise. Mon cœur s'emballe et je suis incapable de terminer ma phrase. Je ne veux pas qu'il quitte ce lit, je veux qu'il soit prêt de moi, que je sente son odeur et ses bras m'enlacer. L'appareil cardiaque recommence à biper alors que l'émotion me gagne. J'ai envie de pleurer, de m'insurger parce qu'on refuse qu'il partage mes draps. Will pose sa main sur ma poitrine, là où ça cogne fort.

— Ok. C'est ok, trésor. Calme-toi, je t'en prie. Je dors avec toi, je ne vais nulle part.

Je hoche la tête en expirant longuement, recouvrant sa main de la mienne. J'ai mal à la tête et je suis soudainement accablé par la fatigue.

— Très bien, soupire l'infirmière. Appuyez sur ce bouton si ça ne va pas ou si vous avez besoin de quelque chose.

J'acquiesce et Will souffle un merci.

Lorsque nous sommes enfin seuls, il se rallonge en cachant son visage sous son bras. Je n'ose plus bouger, je ne me sens anxieux et oppressé. Son regard apeuré et attristé ne quitte plus mon esprit. Impuissant, j'observe ses épaules se secouer alors qu'il pleure encore. J'ai envie de disparaître pour tout le mal que je lui ai causé. Il est abattu, j'ai brisé une partie de lui.

— Tu me détestes, n'est-ce pas ? demandé-je brusquement.

Il découvre son visage et me lance un regard qui reflète son incompréhension. Il se redresse brièvement, attrape ma main et me guide contre son torse.

— D'où vient cette question idiote ?

— Je ne sais pas, je... j'ai l'impression que tu m'en veux et que tu me hais pour tout ce que j'ai fait, murmuré-je en baissant la tête.

Il pince mon menton entre ses doigts avec fermeté. C'est désagréable mais je ne lui en tiens pas rigueur.

— Non, Angelo. Bordel, je ne te déteste pas... J'ai juste besoin d'un peu de temps pour m'en remettre, pour tenter d'oublier ce que j'ai vu, ce que j'ai ressenti. J'ai très peu dormi depuis le début de ton hospitalisation, je suis épuisé et en même temps soulagé que tu sois réveillé. J'ai eu si peur, Angelo, vraiment... j'ai cru que j'allais te perdre. Ces dix derniers jours ont été extrêmement longs et douloureux.

— Alors, tu m'aimes toujours... aussi fort ? hésité-je.

Il s'approche et ses lèvres trouvent enfin les miennes. Il soupire bruyamment, plaque sa main contre ma nuque alors que je sens ses larmes humidifier ma peau. Il se contente d'exercer une forte pression contre ma bouche pendant de longues secondes, avant de s'éloigner pour attraper mes hanches et m'allonger sur lui en évitant les tuyaux encombrants. Mon corps frémit contre le sien, les paupières closes, je profite de sa proximité.

— Évidemment que je t'aime, mon guerrier. Ne me demande plus jamais si je te déteste, peu importe ce que tu feras, je ne réussirai pas à te haïr. Je t'aime tellement que ça me fait mal, ici.

Il attrape mes doigts et fait glisser ma main sur son torse jusqu'à son cœur. Je sens les battements affolés de ce dernier sous ma paume et j'aimerais être capable d'effacer toute la terreur qu'il a subi à cause de moi.

— Quand le tien à cesser de battre, l'unique chose que je désirais c'est que le mien s'arrête également. Je voulais que la douleur et la peur de te perdre disparaissent. J'ai cru devenir fou, chaque fois que je parvenais à dormir je rêvais de toi. Au début c'était agréable et paisible, tu étais souriant, plus beau que jamais mais ensuite... ensuite je revoyais ton corps ensanglanté et tes forces te quitter et j'avais l'impression de suffoquer. Je... je ne veux plus jamais être témoin de ça, je ne le supporterai pas une seconde fois. Comment pourrais-je respirer sans toi ?

Un flash blanc apparaît sous mes yeux, je suis tétanisé. Will m'a vu dans les toilettes. A-t-il également lu mon carnet et découvert mes vers emplis de douleur ? Je ferme les paupières, si puissamment que mes tempes battent et puis sa voix désincarnée résonne dans ma tête. J'entends ses hurlements de détresse et sa souffrance, je l'imagine à genoux, prostré et désespéré, apeuré et esseulé. Mon pauvre amour, je lui ai brisé le coeur...

" Trésor ! Ouvre les yeux, pitié. "

Ses paroles résonnent en écho dans ma tête. Je ressens sa présence alors que mon corps est affaibli, inerte sur le carrelage sale des toilettes.

" Comment ai-je pu douter de toi ? Tu es celui qui m'a réanimé alors que je n'étais pas encore mort. Je me souviens de l'instant où j'ai croisé ton regard océan pour la première fois, lorsque notre van s'est échoué au milieu de nulle part, quelques jours plus tard, j'ai compris que tu allais changer ma vie. "

Je l'embrasse lentement pour tenter de me faire pardonner. Je sais qu'un baiser ne changera rien à ce qu'il a vécu mais c'est l'unique présent que je peux lui offrir pour le moment. J'ai envie de lui parler de Noah, de lui raconter ce qu'il a fait avant que je me noie dans ma peine mais je m'abstiens. S'il décide de régler ce problème alors que je suis enfermé dans cette chambre, je ne pourrais pas le suivre pour tenter d'apaiser sa colère. Alors ça attendra, je lui raconterai tout au moment venu mais là, je veux simplement profiter de ses bras chauds qui me font oublier l'eau glacée dans laquelle j'ai baigné. Je l'enlace puissamment en mettant de côté la douleur qui tiraille mes avant-bras compressés autour de sa nuque. Je joue avec ses lèvres, les lèche, les happe et les mordille alors qu'il frissonne et tremble contre moi. Il gémit parfois, ronronne et ça m'emporte dans un autre lieu. Un monde où il n'y a plus de souffrance, plus de remords ou de tristesse, dans un univers où nous sommes les rois, juste lui et moi. William Marx et Angelo DeNil, deux opposés qui ont réussi à s'assembler Nous sommes l'ombre et la lumière. La lune et le soleil. La glace et ce foutu feu qui se répand dans mes veines lorsqu'il me susurre qu'il m'aime au creux de l'oreille.

Notre baiser perdure, plusieurs minutes ou peut-être plusieurs heures. Je l'embrasse avec dévotion et adoration, à défaut de hurler ma revendication sur son corps et son cœur, son âme et la splendeur de son océan. Il est à moi, il l'était hier et le sera demain. Il est mon point d'ancrage, l'axe de rotation de mon monde en putréfaction.

Will s'endort rapidement après ça, un léger sourire aux coins des lèvres. Je le caresse et admire toute sa beauté et sa pureté. Je le contemple durant une bonne partie de la nuit et lorsque je n'arrive plus à supporter la douleur de mes poignets, je me laisse glisser sur le coté. Ma jambe se replie sur son ventre et je soupire de bonheur parce que ma vie avec lui ne fait que commencer. Il m'a fallu presque mourir pour réaliser que mon cœur n'est pas aussi solide que je l'imaginais, mais je suis certain que mon amour saura en prendre soin et guérira chacune de ses plaies suintantes. J'ai compris que je devais cesser de jouer avec le danger comme si mon existence était aussi robuste que la roche. Je ne suis qu'un équilibriste sur un fil élimé à plusieurs mètre du sol.

Lentement, je fais glisser ma chevalière sur mon majeur, la caressant comme si j'effleurais le visage de son porteur initial.

— Ce n'était pas mon heure papa, je te rejoindrai plus tard, promis. Pour le moment, je vais vivre ma vie avec celui que j'aime désespérément. J'ai encore des souhaits à accomplir, des merveilles à découvrir et mon soleil à faire luire, soufflé-je avant de sombrer dans les bras réconfortants de Morphée.

Cette nuit, mes cauchemars disparaîtront parce que Will est avec moi.

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