Chapitre 16, partie 1 :

13 minutes de lecture

Angelo DeNil :

Deux jours se sont écoulés depuis mon réveil, je me sens encore vaseux mais je vais mieux, enfin je crois... Ma poitrine me tiraille par moments, signe que mon cœur s'est fragilisé depuis mon arrêt cardiaque. Mais, s'il a perdu de sa solidité, il aime Will avec la même intensité.

C'est un grand jour pour moi, je vais enfin pouvoir me débrouiller et quitter ce lit. On va me retirer la perfusion et les électrodes qui recouvrent mon torse. Je vais avoir le droit de manger seul et de me lever pour uriner et me laver. Je vois ça comme une renaissance. Je ne supporte plus d'être alité et traité comme un nourrisson. Ma sortie a été planifiée pour dans quarante-huit heures, si tout se passe comme prévu, je serai libéré de cette chambre aseptisée. Mon traitement pour mes troubles bipolaires a été augmenté, j'ai désormais un médicament à prendre chaque jour pour mon cœur qui était mort pendant un temps. Ensuite, j'écope d'un suivi avec une fichue psychiatre qui est venue à ma rencontre hier. Elle a l'air très aimable mais l'idée de la voir plusieurs fois par semaine ne me plaît guère. C'était ça ou un internement en hôpital psychiatrique durant quinze jours pour être certain que mon envie de crever se soit complètement évanouie. Le choix a été rapide, c'était inenvisageable qu'on m'interdise de voir Will pendant deux semaines de plus.

La chambre est bondée, c'est à peine s'il y a de la place pour tout le monde. Loli est couchée sur moi depuis plus d'une heure. Lorsqu'elle est arrivée, elle a presque poussé mon soleil en dehors du lit pour prendre sa place. Il a râlé mais l'a prise dans ses bras en la secouant doucement avant de s'éloigner. Le lendemain de mon réveil, Will a prévenu Simona et ensuite tout s'est enchaîné à une vitesse folle. À peine vingt minutes plus tard ma petite sœur pleurait de soulagement, la tête nichée dans mon cou, puis comme possédée par un esprit rancunier, elle m'a hurlé dessus en m'interdisant de lui refaire de telles frayeurs. Ce matin, tous nos amis sont présents. Je peux me permettre de les appeler ainsi, désormais. Rivierra, Bloom et Tobias, sans oublier ma belle Rose blanche. Ils ont prouvé leur dévotion et leur sincérité envers Will quand il avait besoin de soutien. Rien que pour cela, je leur serai éternellement reconnaissant. Simona n'a pas pu venir, sa fille avait un spectacle de danse qu'elle ne pouvait pas louper, mais Kristen Marx est ici. Elle me dorlote comme si j'étais son fils et c'est apaisant. Elle est adorable et me fait penser à Bérénice à une époque qui me semble être à des années lumières de celle-ci.

— Mon chéri, tu peux me suivre quelques minutes ? demande-t-elle à l'intention de son fils à l'instant où je pose mon regard sur elle.

Will me jette un regard, je lui souris et hoche la tête. Il vient déposer un baiser sur mon front en écartant mes ondulations indisciplinées avant de quitter la chambre. J'inspire lentement en passant un regard circulaire dans la pièce afin de détailler tout le monde et je prends mon courage à deux mains.

— Je vous remercie les gars, d'avoir veillé sur mon William pendant que je ne pouvais pas le faire, déclaré-je assez fort pour qu'ils m'entendent tous.

Un silence s'installe jusqu'à ce que Judas fasse un pas en avant.

— T'es un con, DeNil, mais on te pardonne pour cette fois.

— Ouais, continue Pietro en tentant de dissimuler le sourire qui étire la commissure de ses lèvres, mais si l'idée te vient de refaire du mal à mon meilleur ami, je n'hésiterai pas un instant à casser ta belle gueule d'ange.

— Je te laisserai faire sans protester.

Il acquiesce et m'offre un clin d'œil en tapant dans le dos de Maël qui, la plupart du temps, reste silencieux.

— On va s'éclipser et vous laisser vous reposer. On repassera avant ta sortie.

J'opine alors que Roselyne se plaint dans un coin de la pièce.

— Je ne veux pas partir, ça fait à peine une heure que nous sommes là.

— Deux heures et demi, rectifie Judas en pouffant de rire.

— Ce n'est tout de même pas assez, râle-t-elle en levant les yeux au ciel.

Je lui fais signe de nous rejoindre, Loli et moi. Sans se faire prier, elle enjambe le mètre qui nous sépare et se couche contre ma hanche.

— Pourquoi tu n'es pas toujours si tactile ? J'aime bien tes câlins, moi.

La porte s'ouvre et Will réapparaît.

— Je sors à peine cinq minutes et quand je reviens, je retrouve mon homme au lit avec deux jolies demoiselles. Est-ce normal ?

Son... quoi ?

Mon cœur s'emballe brusquement, la machine de fréquence cardiaque se met à hurler alors que mes yeux s'arrondissent. Je me sens fébrile tout à coup, j'ai chaud, je crois que mes joues prennent feu.

— Ton, ton... bégayé-je alors que Will se précipite vers moi les sourcils froncés et les traits tirés par l'inquiétude.

— Je ne le dirais plus si ça te rend si angoissé, râle-t-il en posant sa paume sur mon cœur en passant par-dessus la tête de Rose.

— Angoissé ? Non, je, je...

— Ok, je crois que c'est le signal, ricane Judas.

— Ouais, on se tire, pouffe Pietro. On vous dépose, les filles.

Elles s'éloignent après avoir embrassé mes joues, puis Loli me prévient qu'elle appellera plus tard dans la journée pour savoir si je suis enfin libre de mes mouvements. Quelques minutes plus tard, nous sommes en tête-à-tête avec Will et mon visage est toujours aussi enflammé. Il soupire en prennant place sur le bord du matelas.

— Pourquoi ça ne s'arrête pas ?

Son regard fixe la machine qui bipe encore, signe que mon cœur ne s'est pas calmé.

— Qu'as-tu dit ? m'enquiers-je, tremblant.

— Je ne le répéterai pas. Bon sang, mais respire !

Je tente de calquer ma respiration sur la sienne, j'inspire et expire lentement puis petit à petit je reprends mes esprits. C'est dingue de réagir de cette façon pour un simple mot. C'est exactement ainsi que je me suis senti lorsqu'il a dit m'aimer pour la première fois. Si ce jour là j'ai paniqué, aujourd'hui je suis émerveillé.

Le docteur Greene entre dans la chambre et un sourire immense fend mon visage. Le moment est venu, je vais pouvoir me lever et dégourdir mes jambes.

— Que s'est-il passé ? m'interroge-t-il. Votre appareil cardiaque a résonné dans tout le couloir. Comment vous sentez-vous ?

— Parfaitement bien. C'est cet idiot, me défends-je en secouant la main sous le visage de Will, il m'a chamboulé.

Greene fronce les sourcils et sermonne le coupable en lui rappelant que je ne dois pas être stressé ou subir un choc trop brutal. Mon soleil râle en s'enfonçant dans le lit alors que je ricane, amusé par sa mine boudeuse. Le médecin nettoie mes plaies et change les pansements, puis il reprend ma tension et continue avec les examens habituels. J'ai presque envie de le serrer dans mes bras quand il ôte les électrodes sur ma poitrine et qu'il retire la perfusion, bien que le cathéter demeure dans le creux de mon coude.

— On va se redresser lentement, m'indique-t-il en posant une main sur mon épaule et l'autre dans mon dos. Vos jambes sont restées inactives durant douze jours, elles risquent de flageoler un peu.

Will quitte le lit et se place à mes côtés tandis que je pose mes pieds sur le carrelage sans amorcer un geste pour me redresser. L'émotion me gagne alors que la fraîcheur du sol se diffuse dans mes mollets. Précautionneusement, Greene exerce une pression dans le bas de mon dos. Un frison de gêne me traverse l'échine, sa main est plaquée contre mes reins. Je n'aime pas son toucher, il me dérange et m'oppresse.

— Je veux que Will m'aide, lâché-je précipitamment.

Je déteste sentir d'autres doigts que les siens sur mon corps. Je n'ai jamais été grand adorateur du contact humain et depuis mon réveil, j'y ai le droit plusieurs fois par jours. J'arrive à saturation.

Greene semble pris de court mais accepte tout de même après l'avoir interrogé du regard. Il lui indique les gestes à suivre et je soupire de contentement lorsque Will enroule son bras autour de ma taille. Il me plaque doucement contre son torse alors que je tente de me lever. Mes genoux flanchent et mes jambes tremblent violemment. Je ne tombe pas uniquement parce que l'étreinte de Will se resserre autour de mes hanches.

— Prends le temps qu'il te faut, me glisse-t-il à l'oreille, je suis là.

J'acquiesce et retente ma chance alors que son souffle brûlant effleure ma nuque. De longues minutes s'écoulent avant que mes membres coopèrent mais une fois que je parviens à me maintenir droit, un sentiment de fierté me gagne.

— Super, trésor ! s'enthousiasme Will alors que le médecin hoche la tête de satisfaction.

— Vous semblez être bien accompagné, et tout paraît en ordre. Vous risquez d'avoir quelques étourdissements et les jambes lourdes. Si c'est le cas, allongez vous et n'hésitez pas à demander une infirmière si vous vous sentez anormalement faible.

Will répond à ma place en disant que nous allons faire attention et qu'il va surveiller mon état avec assiduité. Je fais plusieurs pas dans la chambre, heureux de pouvoir marcher. J'ai les membres cotonneux et la tête qui vacille légèrement mais je ne veux pas retourner au lit. Ça me fait un bien fou de pouvoir m'étirer et bouger avec plus de facilité. Je respire à nouveau.

Marx m'observe un moment alors que je persiste à arpenter la pièce. Il semble réellement détendu, c'est une première depuis que j'ai ouvert les yeux. Ma sortie approche et j'en suis ravi. Ça fait seulement deux jours que je suis conscient et être ici m'étouffe affreusement. Will doit trouver le temps long et pénible, pourtant il n'émet aucune plainte et reste tendre et attentionné.

— Je vais au toilette, lâché-je précipitamment quand l'envie soudaine me prend.

Il se relève comme monté sur un ressort et me colle aux fesses.

— Tu fais quoi ?

— Je viens avec toi.

— Euh... non. Tu restes ici, je vais me débrouiller ne t'inquiète pas.

— Tes jambes sont encore faibles, si elles lâchent je serai là pour t'aider.

Je pivote pour lui faire face, agacé mais tout de même attendri par sa réaction.

— Tu ne viens pas, je vais y arriver. C'est super dégradant que quelqu'un nous surveille en train de pisser.

— Je ne suis pas quelqu'un, râle-t-il, je suis moi.

— Justement, c'est encore pire.

Il bougonne des propos incompréhensibles en passant les mains sur son visage mais finit par capituler.

— Bon d'accord, mais laisse le verrou ouvert.

— Oui, papa, me moqué-je en entrant dans la salle de bain.

J'examine rapidement la pièce et me fige d'effroi lorsque mon regard se pose sur un sweat nike taché de sang qui recouvre ce qui doit être le miroir. J'avale difficilement ma salive en retirant le vêtement que Will portait le jour du drame. Je le retourne dans tous les sens et un sentiment de culpabilité m'englobe complètement. Le tissu autrefois bleu pâle est maculé de traces devenus brunes. Une odeur de rouille me brûle les narines alors que je passe les doigts sur le pull. Je m'aperçois que je pleure lorsque mes larmes s'échouent sur le vêtement. Le temps s'égrène et je me sens honteux, rempli de remords et de regrets. Je peine à respirer, j'étouffe presque tandis que je continue de glisser les doigts sur mon sang qui camoufle le bleu du sweat.

— Angelo ? m'appelle Will derrière la porte. Ça va ? Bordel, ça fait dix minutes que tu es là-dedans.

Déjà si longtemps ? Trop préoccupé, je n'ai pas réalisé que les minutes remplaçaient les secondes et mon envie d'uriner s'est volatilisée. J'aimerais être capable de revenir en arrière afin que ce drame ne se produise pas. Je me moque de la douleur qui me tiraille les avant-bras, de celle de mon cœur réanimé, d'être mort puis revenu à la vie ou même d'être passé pour un lâche devant tout le lycée. Non, si j'aimerais effacer certains événements, c'est uniquement pour lui, pour mon amour qui n'a rien demandé et qui pourtant souffre par ma faute.

— J'entre ! braille-t-il avant de baisser la poignée et je m'aperçois que je ne lui ai pas répondu.

Son regard horrifié se pose sur moi alors qu'il remarque que je tiens son pull entre les mains. Il se rue dans ma direction et l'arrache de ma poigne avec empressement et sans ménagement. Surpris par sa brutalité, je reste tétanisé, la bouche ouverte en ignorant quoi dire où faire. Si mon corps est statufié, mes yeux suivent chacun de ses gestes alors qu'il clôt les paupières pour remettre le vêtement sur le miroir.

— Putain. Putain, putain ! crie-t-il en postillonnant sur mon visage. N'y touche plus ! Tu ne touches pas à ça. Laisse-le à sa place !

Je fais un pas en arrière, heurté par sa colère et sa virulence. C'est la première fois qu'il se montre si violent avec moi, même après toutes les catastrophes que je lui ai fait endurer. Son comportement m'effraie et son regard me glace le sang. Mes membres se mettent à trembler alors que Will tombe à genoux devant moi. Un sanglot brutal le secoue, ses mains se ferment autour de mes chevilles et sa tête repose contre le sol. Je l'observe, pétrifié, dans l'incapacité de parler. Mon cœur se brise en plusieurs morceaux acérés qui lacèrent ma poitrine. Ses gémissements de douleur se transforment en cris de détresse et c'est à cet instant que mon corps se met en mouvements. Je me laisse crouler jusqu'au carrelage et tente de lui faire relever la tête. Il s'agrippe à ma blouse, me tire contre lui, cache son visage entre mes jambes et ne s'arrête pas de pleurer. Je me sens impuissant et dévasté. Je suis responsable de son état plus qu'alarmant et j'ignore comment agir. Je caresse ses cheveux pour tenter de le calmer, ses doigts s'incrustent dans ma peau quand il enroule ses bras autour de mes hanches.

— Parle-moi, murmuré-je d'une voix étranglée. Will, dis quelque chose.

Il resserre sa prise et renifle bruyamment puis frotte son nez sur son tee-shirt qu'il remonte jusqu'à son visage. Je profite qu'il se redresse légèrement pour maintenir sa tête entre mes paumes. Je croise son océan tempétueux, découvre ses joues baignées de perles salées et je m'incline pour atteindre ses lèvres.

— Explique-moi.

— Je ne veux pas... voir de miroir, geint-il. Tu as... tu as voulu... tu as failli mourir en te... blessant avec et je ne veux plus les voir.

J'assimile ses paroles et acquiesce en me retenant de hurler. Le pull est là uniquement pour l'empêcher de croiser son reflet. J'avais remarqué que ses cheveux étaient anormalement indisciplinés, je pensais simplement qu'il ne prenait pas la peine de se coiffer pour ne pas me laisser seul trop longtemps mais en réalité, c'est parce qu'il refuse de faire face à un miroir. Je l'ai bousillé, j'ai définitivement cassé une partie de lui et je ne sais pas si c'est réparable.

— Will, soufflé-je pour attirer son attention, tu ne dois pas réagir comme ça. C'est moi le souci, pas l'objet que j'ai utilisé. Tu ne peux pas arrêter de les regarder à cause de ça.

— Tu as failli mourir, répète-t-il déboussolé.

— Mais je suis là, avec toi. Je suis vivant et je ne te laisse plus alors cesse d'avoir peur.

— C'est facile à dire ! s'emporte-t-il brusquement. J'ai été contraint de te ramasser dans des chiottes poisseux et d'étouffer face à tout ce sang que tu perdais. Ce n'est pas toi qui a regardé la personne que tu aimes en te demandant chaque putain de seconde si elle allait vivre ou pas, et envisager de crever à chaque instant parce que je suis un con d'amoureux et que je ne peux plus vivre sans toi ! Alors, arrête, tais-toi, je t'en prie, ferme-la ! Tu m'as rendu faible et je ne vis que par procuration parce que c'est toi. C'est toi, bordel ! Tu fais ce que tu veux de moi. Tu me mènes à la baguette et si demain tu me dis : Will, saute d'un pont. Et bien Will est tellement con qu'il va le faire sans réfléchir !

Les yeux écarquillés et le cœur en miettes, je me laisse glisser sur le sol pour m'éloigner de lui. La souffrance est telle que j'ai l'impression qu'il m'a asséné un uppercut en pleine tronche. Je ne m'attendais pas à tant de véhémence de sa part, bien que j'en mérite sûrement plus que ce qu'il me hurle au visage. Il s'accroche à ma blouse pour que je reste près de lui mais dans l'immédiat, je ne le désire pas. Il est énervé contre moi et je le comprends parfaitement mais je n'ai pas la force d'affronter son regard colérique, teinté d'une touche d'amertume et agrémenté d'une tristesse qui déchire mon âme.

Je force un peu sur mes bras, pousse dessus pour laisser mes fesses glisser sur le sol. Je retiens le sanglot de cette douleur qui me transperce, celle de mes bras mutilés qui mettent un temps fou à guérir mais aussi celle qui malmène mon palpitant face aux paroles qui résonnent dans ma tête. Will retombe lourdement sur le sol, se recroqueville sur lui-même, prenant la même position qu'un fœtus dans le ventre de sa mère. Ses cheveux s'étalent sur le carrelage froid et de ses yeux fermés coulent un tas de larmes meurtrières qui me tuent sûrement autant qu'elles le blessent. Je crois en chacune de ses paroles amoureuses, mais je sais qu'il m'en veut plus que ce qu'il tente d'admettre. Les mots qu'il vient de prononcer me le prouvent. Je le laisse pleurer et geindre alors que je colle mon dos contre le mur. Le sol est trempé et mouille mes jambes et mes fesses. J'ai atterri dans la douche ouverte sur la salle de bain et j'ai l'impression d'être retourné dans cette eau glacée qui m'a noyé une bonne centaine de fois durant mon coma.

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