Chapitre 19, partie 2 :

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Will Marx :

J'entremêle mes doigts à ceux d'Angelo qui marche d'un pas extrêmement lent alors que nous nous dirigeons vers le parking. Le retour est rapide, dans la voiture Angelo est affalé contre moi et reste silencieux. J'ai l'impression qu'il porte le poids du monde sur les épaules. Je le traîne vers la porte d'entrée, ses pieds ne veulent visiblement pas coopérer. Son changement humeur m'alarme davantage à mesure que son visage se durcit.

— Vous désirez une tisane, les garçons ? propose ma mère en mettant la théière sur le feu.

J'accepte pour nous deux, un thé chaud lui fera peut-être du bien.

— Tu as gagné ? s'enthousiasme Jude en bondissant dans mes bras.

— On, rectifié-je en riant. Oui, on a gagné, Judy.

— Donc tu vas me lire une histoire ? Tu m'en lis une à chaque fois que tu gagnes.

— Je t'en lis chaque jour depuis trois ans, m'amusé-je en frottant mon nez contre le sien.

Il hausse les épaules et part en se pavanant pour rejoindre notre mère. Loli me félicite en souriant mais ses traits se tirent lorsqu'elle croise le regard de son frère qui s'est hissé sur un tabouret. Elle se précipite vers lui, plaque sa main sur son front et examine son visage pour ensuite tapoter ses joues.

— Qu'est-ce qu'il y a, Lolo ? Tu es brûlant, s'inquiète-t-elle.

Il évite le contact visuel et grommelle en repoussant brutalement sa sœur. Je fronce les sourcils, surpris qu'il réagisse avec tant de véhémence. Ma mère agît rapidement, comprenant elle aussi qu'il est probable que la situation dérape. Elle enlace Jude et se dirige vers le salon.

— C'est maman qui lit ce soir, dit-elle simplement pour justifier sa fuite.

Mes parents savent quoi faire si Angelo commence à changer de comportement, j'ai passé un long moment à leur expliquer sa maladie ainsi que les risques qu'elle engendre. Loli me jette un coup d'œil et me demande d'approcher en un mouvement du menton. Je me place face à mon trésor qui laisse instantanément retomber sa tête contre mon torse. Ses doigts se crispent sur mon tee-shirt qu'il empoigne avec force.

— Il faut l'isoler ? interroge mon père en lui servant un verre d'eau tandis que Lolita pose un flacon de médicaments sur le bar.

— Non, je ne crois pas. Pas maintenant, réponds-je en m'emparant des comprimés.

Je relève doucement la tête d'Angelo, ses yeux sont à peine ouverts. J'appuie mon pouce sur une joue, mon index sur l'autre pour qu'il ouvre la bouche et glisse les cachets entre ses lèvres. Il tire sur le tissu de mon vêtement, si fort qu'il m'incite à faire plusieurs pas afin de me presser contre lui.

— Il va faire une crise, me prévient Lolita, mais son expression est étrange. Fais attention, je n'arrive pas à savoir comment il va se comporter.

J'acquiesce et me focalise sur lui. Il ne réagit plus, semble absent et j'ignore s'il parvient à avaler l'eau que je tente de lui faire boire.

— Je vais rejoindre ta mère dans la chambre de Jude, m'informe mon père visiblement mal à l'aise. Appelle-moi immédiatement s'il faut qu'on l'isole, ne prends pas le risque de le faire seul.

— Je sais où vous trouver, le rassure Loli alors que mon attention ne quitte pas le visage d'Angelo.

J'essaie de le faire reprendre possession de ses moyens en caressant sa peau mais je crains qu'il soit trop tard. Son corps se met à trembler et ses paupières se closent. Il est fiévreux, d'épaisses gouttes de sueur perlent sur ses tempes. Je ne devrais pas rester là, je lui ai promis de m'éloigner si jamais il chutait mais je ne sais pas m'y résoudre. Mon cœur se serre, j'ai terriblement de peine. Il m'agrippe avec force, réclame ma présence en plantant ses ongles dans ma peau. Des larmes apparaissent sur le coin de ses yeux lorsque ses muscles se contratent. Il est si crispé que son corps doit le faire souffrir.

— Trésor, soufflé-je près de ses lèvres, tu peux te lâcher, laisse tout sortir. Je suis là, je te retiens.

Je passe un bras dans son dos pour le décoller du dossier du tabouret et nous laisse glisser jusqu'au sol de la cuisine. Je le maintiens contre mon torse alors que ma main libre malaxe une de ses cuisses. Des gémissements de douleur lui échappent, il pleure à chaudes larmes dans mes bras. Lolita fait les cent pas sous mes yeux. Elle est inquiète mais semble gérer la situation. Elle a assisté à bien pire, en y songeant, mon cœur s'essouffle.

Je pose un baiser sur le front humide d'Angelo en continuant de le masser pour atténuer sa souffrance.

— Je suis là, répété-je inlassablement. Je suis là, je ne te quitte pas.

Son visage s'enfonce dans le creux de mon cou alors que son corps est pris de soubresauts. Ses doigts encerclent mon poignet, il suit chacun de mes mouvements qui tentent de l'apaiser.

— Je sais que tu souffres, trésor. Je le sens, tes muscles sont contractés. Mais ça va passer, je vais te soulager et tu iras te reposer.

Cette crise est similaire à la première dont j'ai été temoin, lorsque nous étions encore perdu en forêt. J'en suis habitué désormais.

Lentement, son corps se détend et ses sanglots s'amenuisent. Pourtant, je continue de lui chuchoter des paroles rassurantes en embrassant parfois sa peau. Sa prise se desserre sur mon poignet et il passe enfin ses bras autour de mon cou en chouinant de douleur.

C'est un supplice, je ne supporte pas le voir souffrir.

— Will, couine-t-il, la voix éraillée, j'ai mal.

Mon cœur suffoque, j'aimerais être capable d'absorber chacun de ses maux afin qu'ils disparaissent et lui laissent un peu de répit. Je désire lui apporter la paix et le repos qu'il mérite mais j'en suis incapable. C'est une horrible et désolante constatation. J'ai parfaitement conscience que ma vie avec lui sera souvent éreintante et angoissante, mais c'est inconcevable pour moi de l'abandonner. Il représente chaque battement de mon cœur amoureux.

Je suis rassuré de constater qu'il ne me repousse pas maintenant que sa crise est passée. Il l'a si souvent fait que j'avais perdu espoir qu'il accepte ma présence dans un moment comme celui-ci. Je me plais à croire que son séjour à l'hôpital lui a fait réaliser que je l'aime au point de ne jamais plus rester loin de lui, peu importe la situation et la grandeur de sa maladie mentale. Depuis qu'on a fait l'amour, notre lien semble incassable.

La théière toujours sur le feu se met à faire un bruit horriblement désagréable qui me fait sursauter. Loli laisse échapper un cri de surprise et part immédiatement résoudre le problème.

— Je sais que tu as mal, je vais te guider jusqu'au lit. Tu es prêt à te lever ? demandé-je près de son oreille.

Il hoche faiblement la tête alors je me redresse en l'emportant avec moi. Il peine à tenir debout et se laisse crouler dans mes bras.

— Loli, l'interpellé-je, tu peux prévenir mes parents qu'on va se coucher ?

— Oui bien sûr, bonne nuit. Je t'aime Lolo, ajoute-t-elle en criant alors qu'on commence à gravir les premières marches de l'escalier.

Lorsqu'on entre dans ma chambre, il tombe lourdement sur le lit, dos au matelas. Son corps rebondit une ou deux fois avant de s'immobiliser. Un bras recouvre son visage, cache ainsi ses yeux mais ne dissimule pas les dernières larmes qui serpentent ses tempes. Je m'agenouille devant lui, retire ses chaussures, déboutonne son jean et dénude ses fines jambes. Il se laisse docilement faire en gardant le silence. Je quitte la chambre et le rejoins avec une crème à base de chanvre pour calmer les contractions musculaires. Je l'utilise régulièrement après un entraînement ou un match trop intense, elle est efficace. Je reprends ma place au bout du lit, les genoux à terre et je dépose une grosse noisette de baume sur mes paumes.

— Ça risque d'être froid, le préviens-je, mais ensuite ça va chauffer et te soulager.

Il ne répond pas, toujours caché sous son bras. Je commence un massage appuyé sur le haut de ses cuisses, puis descends progressivement vers ses mollets en exerçant des pressions plus ou moins fortes sur certaines zones. Il frissonne, grince des dents mais reste muet et m'autorise à prendre soin de lui pendant un long moment. Lorsque je sens ses muscles enfin détendus sous mes doigts, je me redresse afin d'atteindre son buste.

— Relève-toi un peu, lui intimé-je, je vais retirer le reste de tes vêtements.

Il prend appuie sur ses coudes, son dos se décolle du matelas. J'en profite pour le dévêtir complètement et m'installe à ses côtés. Je reprends mon massage en passant mes mains sur son torse, ses épaules et la longueur de ses bras.

— Tu n'es pas obligé de faire ça, souffle-t-il après avoir cherché mon regard.

— J'aime prendre soin de toi.

— Je me sens mal, Will. J'ai l'impression d'être un fardeau.

Sa voix s'éteint sur ce dernier mot alors qu'une nouvelle larme file sur sa peau. Je fronce les sourcils, contrarié de l'entendre parler ainsi de lui. Je m'étends enfin, colle sa hanche contre mon flanc et embrasse ses cheveux puis son front alors qu'il renifle bruyamment.

— Ne pense pas ainsi, je suis là pour toi parce que je le veux.

— Pour l'instant, mais ensuite tu finiras par en avoir marre et tu subiras.

— Ce n'est pas possible, tu le sais pourtant.

— Will...

Il gigote pour me faire face, son visage est désormais près du mien, si bien que son souffle haché s'échoue sur ma peau. L'expression qui tapisse ses traits ne me plaît pas. À cet instant, il m'apparaît aussi démuni que cette nuit-là, avant sa tentative de suicide.

— ... tu m'aimes ?

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