Chapitre 20, partie 2 :

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Angelo DeNil :

Le portable vibre contre ma cuisse. Je l'observe en plissant les yeux, le regard noyé de larmes assassines. Je fixe la photo de ma lumière qui se meurt en ayant la nausée. J'ai envie de vomir, d'extraire toute ma peine pour m'en débarrasser à tout jamais. J'ignore combien d'appels restent sans réponse de ma part, j'ai cessé de compter au douzième.

— Tu vas te lasser, mon amour, je te le promets.

Les vibrations s'arrêtent mais une enveloppe clignote sur l'écran. En un soupir, j'ouvre son texto.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Réponds-moi ! Pourquoi tu fais ça ? Tu as promis, Angelo... TU AS PROMIS DE NE PLUS JAMAIS ME FAIRE ÇA ! TU M'AS DIT NE PLUS VOULOIR ME FAIRE DU MAL DE CETTE FAÇON ! Arrête de jouer avec moi, je ne vais pas y survivre éternellement... Réponds-moi. On surmontera cette nouvelle crise ensemble. RÉPONDS-MOI ET LAISSE MOI ENTENDRE TA VOIX !

Je relis le message plusieurs fois, avec difficulté, puisque je suis coupé dans ma lecture à chaque appel qu'il tente de passer. Il est persévérant. Il est trop atteint, trop éteint.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Tu n'as pas le droit ! On avait discuté, on s'était mis d'accord pour que ces situations n'arrivent plus ! TU ÉTAIS D'ACCORD POUR NE PLUS M'ABANDONNER ! Je pensais que tu avais enfin compris, que tu m'acceptais même dans les pires moments. Pourquoi tu t'éloignes ? Ne te fais pas de mal... RÉPONDS ! JE VAIS RETOURNER TOUTE LA VILLE POUR TE TROUVER, SI TU NE ME DIS PAS QUE ÇA VA !

Sms de Angel à WillLeMagnifique :

Ça va. Arrête et respire.

Il tente encore d'appeler et finit par abandonner lorsque, je suppose, il comprend que je ne répondrai pas. Il opte pour me hurler dessus avec des majuscules sur ses sms à la con.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

C'est tout ? CINQ MOTS ? Tu n'as rien d'autre à me dire hormis des conneries de paroles blessantes et tes stupidités qui me disent de vivre sans toi ?! Putain, mais comment je dois m'y prendre pour que tu comprennes que rien, RIEN, ne me fera t'aimer moins fort ? Je crève pour toi. Je crève pour TOI !

Sms de Angel à WillLeMagnifique :

Je te rends malade, tu ne le vois pas ? Regarde comment tu es à cause de moi, Will. Ça ne te ressemble pas de parler comme ça.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Je suis malade, peut-être, mais c'est pas ta faute. Je suis malade parce que ce qui t'atteint m'atteint aussi. Parce que tu souffres et que je ne peux rien y faire. Je ne sais pas comment t'aider, j'ignore quoi faire hormis être près de toi. Arrête d'être têtu, arrête de penser que tu me rends malheureux. La situation est loin d'être idéale, c'est vrai, mais ça m'est égal si tu es contre moi. COMBIEN DE FOIS JE VAIS DEVOIR TE RÉPÉTER QUE LA PIRE DOULEUR QUE JE PEUX RESSENTIR C'EST CELLE QUI BROIE MON CŒUR QUAND TU N'ES PAS LÀ ?!

En soupirant, je bats des cils pour chasser mes larmes.

Tu fais n'importe quoi, reprends-toi et laisse-le t'aimer.

J'ignore cette voix dans ma tête, focalisé sur Will et tout ce que je fais de travers.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Arrête de nous détruire de cette façon... mon âme saigne quand tu me repousses. Ne la fais pas mourir. Ne me fais pas m'inquiéter comme ça, ça me rend dingue.

Sms de Angel à WillLeMagnifique :

Je suis dans la ruelle près de l'ancienne voie ferrée. Du côté du parc.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Je suis là dans vingt minutes ! NE BOUGE PAS !

Le téléphone s'échoue sur le bitume quand je ferme les yeux pour encaisser la souffrance qui parcourt mon corps. Je vais l'affronter encore une fois, dans un état lamentable et après lui avoir fait du mal. J'essaie de me persuader que ce n'est pas ma faute, que j'agis ainsi par contrainte. Mais si je peine à y croire moi-même, comment pourrais-je convaincre Will que je suis capable d'avancer. Je ne fais que régresser. Je le désire plus que tout au monde, mais je ne veux plus de cette situation qui m'oppresse. Je mène un combat intérieur et les deux parties de moi se tapent dessus. L'une hurle que je ferais mieux de le laisser partir pour qu'il guérisse de moi et ma névrose. L'autre s'acharne à répéter que sa place est avec moi, que la mienne est avec lui et qu'il passe au-delà de mes moments d'égarement et de méchanceté imméritée. Je sais qu'il est fort, Will est mon arme de survie dans ce monde en guerre qui règne dans mon esprit, mais jusqu'à quand sera-t-il apte à se battre dans ce foutoir ?

Une voiture freine brusquement à l'entrée de la ruelle et m'éloigne de mes divagations. Je sais que c'est lui, je peux sentir sa présence même dans le brouillard de mes nuits. Mon cœur s'emballe lorsque la portière claque brutalement. Des pas tapent rageusement le sol, puis enfin, sa lourde respiration atteint mes oreilles. Mes paupières restent résolument closes même quand sa présence se manifeste au-dessus de moi. Ses mains s'enroulent autour de mes épaules et me soulèvent d'un geste brusque.

Je grimace, un mal de crâne m'assaille.

— Bordel ! Mais dans quel état est ton visage ? gronde-t-il d'un ton cassant.

Je reste muet, sa question est purement rhétorique. Il sait déjà ce que j'ai fait.

— Regarde-moi !

Je secoue la tête.

" Non, je ne peux pas. Will, ton océan tumultueux va me buter. "

— Ouvre les yeux, regarde ce que t'as fait ! s'agace-t-il.

Si l'inquiétude le hantait lors de nos échanges téléphonique, il est désormais en colère. Sa rage, je la ressens au fond de mes entrailles. Ses mains qui me plaquent contre le mur tremblent et sa voix est tranchante, sûrement plus que les lames de rasoir qui lacéraient ma peau.

— Regarde ce que tu as fait !

Je ne comprends pas ce qu'il attend de moi. Que veut-il que je vois ? C'est la première fois que je le sens si énervé.

" Explose mon amour, déteste-moi comme tu m'aimes. Je me sentirais sûrement mieux quand ta colère m'aura achevé. "

— Putain, Angelo, affronte-moi ! Ouvre les yeux et constate les dégâts. Regarde ce que tu as fais, vois ma foutue rage, et mon désespoir. Tu ne m'arrêteras pas ! Je ne te quitterai pas ! Bats-moi, flagelle-moi, réduis-moi en cendres mais je ne partirai pas ! Tu fais tout pour que j'abandonne mais tu ne veux pas que je parte. Au plus profond de moi, je le sens ! Tu fais tout pour me dégoûter parce que tu ne me crois pas capable de supporter ça mais je peux ! Tu me crois trop faible pour encaisser tes dérives mais je ne suis pas en sucre. Je suis capable de le supporter, de tout supporter. Tu te penses responsable de ma souffrance, c'est vrai, parfois. Tes mots font mal mais pas au point de me détruire. Je ne te laisserai pas me briser, nous briser ! Je peux crever maintenant, là, tout de suite, pour toi mais jamais à cause de toi ! Tu m'entends ? crache-t-il en me secouant vivement.

Mon dos rencontre plusieurs fois le mur. Ce n'est pas douloureux, mais je sais que Will le regrettera lorsqu'il reprendra ses esprits. Je suis certain qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il fait.

— Pour toi, mais jamais à cause de toi !

J'ouvre enfin les paupières. J'ai l'impression que le sol se dérobe sous mes pieds lorsque je détaille son visage. Ses cheveux sont en pagaille, il a probablement tiré dessus le temps du trajet en voiture. Ses traits sont si crispés que je ne parviens pas à lire ses émotions. Ses yeux sont rouges et enflées, semblent être dans le vague et en même temps ancrés sur ma tronche griffée et ensanglantée.

— Regarde ce que tu m'obliges à faire, peste-t-il en s'inclinant vers moi. Regarde ! Je suis violent... Putain !

Ses doigts empoignent sa tignasse brune alors qu'il appose son front contre le mien. Son souffle saccadé écorche ma peau, brûle mon âme.

— Je suis violent et je ne devrais jamais l'être avec toi mais t'as mis mon cœur à l'épreuve ! Encore une fois ! Et... je me dégoûte tellement d'avoir envie de te coller mon poing dans la figure ! Mes mains ne devraient servir qu'à caresser ton corps, t'aimer, te faire jouir. C'est à ça qu'elles servent, c'est la seule chose qu'elles savent faire alors pourquoi tu fais en sorte qu'elles te fassent du mal ? Jamais je ne te toucherai pour te blesser, mais putain de bordel, si tu savais comme j'en ai envie, là ! Pour te remettre les idées en place et t'empêcher de nous briser une énième fois.

Mon cœur cesse de battre, il me fait peur. La colère et la tristesse que je lis sur son visage m'effraient. Il paraît à la fois enragé et désespéré. La culpabilité m'étouffe, je l'ai poussé à bout pour un connard qui a osé me toucher dans un resto crasseux alors que Will aurait pu simplement m'apaiser si j'avais pris deux minutes pour lui expliquer. Je n'ai encore pas réfléchi, j'ai agi par impulsivité et mon soleil en pâtit encore.

Ma main se lève, tremblante, pour tenter de toucher sa peau qui semble de marbre. J'ai besoin de son contact pour retrouver mon souffle.

— Oh... mon amour, murmuré-je contre ses lèvres.

Il sursaute et s'éloigne brusquement avant que je puisse l'effleurer. Il jure, fait les cents pas, tourne en rond face à moi, les yeux ancrés dans le vide.

— En fait... commence-t-il en se tapant le front du plat de la main, c'est ce que tu veux ? Tu attends que je te fasse du mal, tu penses que je vais le faire ? Merde ! Tu me crois capable de te frapper... C'est pour ça que tu me pousses au bord d'un foutu précipice ?

Il s'immobilise, pivote vers moi avec une lenteur atroce et me fixe d'un regard aussi sombre que mon âme. Un frisson traverse ma colonne vertébrale alors que le poids des remords me fait faiblir.

— Depuis l'autre soir... dans ma chambre, c'est ce que tu fais, chuchote-t-il pour lui-même. Depuis cette nuit-là, chaque jour tu me mets hors de moi pour que je te fasse du mal parce que tu ne veux plus le faire toi-même.

Mes épaules s'affaissent, je suis soufflé par sa capacité de déduction. Il a parfaitement raison mais je ne l'avouerai jamais de vive voix. Mon besoin d'évacuer la pression me fait trembler chaque seconde. Je dois me vider de toute cette misère, me changer les idées afin d'oublier le chaos de mon existence. Je veux qu'il me brise de ses doigts veloutés, parce que je lui ai fait la promesse de ne plus me faire de mal. J'ai besoin qu'il calme mes démons, je refuse de trahir sa confiance en usant de la lame mais je n'arrive plus à respirer.

Will à tout compris, comme chaque fois et ça m'étonne toujours autant. Comment fait-il pour me comprendre lorsque même moi je peine à faire les liens dans mon esprit malade ? Il a assemblé chaque pièce du puzzle avec une rapidité déconcertante. C'est vrai, je veux qu'il attrape mon cou et qu'il serre jusqu'à ce que ma peau se ternisse. Il doit le faire pour apaiser la situation. Lui aussi a besoin de relâcher la pression, de se défaire des mains de ma folie qui enserrent sa gorge et le font se mettre à genoux devant moi.

— Tu avais promis, me reproche-t-il sèchement. Sur ton lit d'hôpital, tu t'es excusé et tu m'as promis de ne plus me faire souffrir de cette façon. Alors, pourquoi tu n'arrêtes pas ?

— Parce que ma névrose ne me quitte pas, bredouillé-je en baissant les yeux. Parce qu'elle te fera toujours du mal, même lorsque j'essaie de toutes mes forces de la faire taire.

En un courant d'air, il casse l'écart qui nous sépare. Son index bute contre mon menton et m'oblige à affronter son regard. Je me mords la langue quand je vois son poing se dresser face à moi. Mon cœur fait une embardée, je vais enfin ressentir autre chose que ce trou béant qui habite ma poitrine.

— Fais-le, mon amour. Fais-le ! Montre-moi comme tu m'aimes, achève ma peine et montre-moi comme tu me hais.

Son bras retombe rapidement, je clos les paupières pour encaisser cette souffrance qui me sera salvatrice. Une fois. Deux fois. Trois fois. Il tape, s'acharne et ne s'arrête pas. Des gouttelettes de sang éclaboussent ma joue, mais la douleur n'apparaît toujours pas. Mon cœur suffoque. Je ne comprends plus ce qu'il se passe. Pourquoi sa rage ne m'a pas encore englobée ?

J'ouvre les yeux lorsque je sens qu'il s'éloigne en râlant de douleur. Immédiatement, mon regard trouve sa main aux phalanges éclatées. Sa peau est gonflée, du sang perle et s'échoue en quelques gouttes sur le sol. Je me décolle du mur à l'instant où Will s'effondre à genoux sur le bitume. Il pleure, hurle, explose. Je fais deux pas en avant en réalisant qu'il ne m'a même pas effleuré. Horrifié, je tourne la tête afin de distinguer la tache sombre qui salit le mur en brique.

Will s'étend sur le sol, tête contre le goudron, sa main blessée à plat dans une flaque d'eau puis de son sang et de ses sanglots. Ses larmes qu'il laisse bruyamment échapper face à mon regard terrifié, mon corps secoué de spasmes et mon cœur en arrêt. J'ai encore tout gâché.

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