Chapitre 22, partie 1 :

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Will Marx :

Je me gare devant l'immense immeuble en verre, le cœur battant et les doigts tremblants. J'angoisse mais je suis également plus déterminé que jamais. J'ai longuement réfléchi, j'ai passé des nuits à retourner le problème alors que je regardais Angelo dormir, épuisé après ses heures de travail. J'ai hésité, j'en ai discuté avec mes parents ainsi que Pietro et Judas. Ils m'ont tous assurés que c'était la meilleure solution et que je devais me lancer. Ou ne serait-ce que tenter parce que, si je n'essayais pas, j'allais finir par le regretter. Cela faisait un moment que l'idée avait germée dans mon esprit, j'ai finalement pris la décision hier soir. Bérénice était en manque et a une fois de plus maltraité ses enfants pour une dose de drogue. J'ai envoyé Loli chez Simona et j'ai fait mon possible pour que mon trésor ne soit pas trop exposé au bordel de sa mère. J'ai passé un long moment à secouer Bérénice pour la calmer alors qu'Angelo tournait en rond dans le salon. Un électrochoc m'a parcouru et j'ai décidé à cet instant que ce n'était plus possible. J'aurais dû réagir plus tôt mais j'étais focalisé sur Angelo, finalement j'ai compris qu'avant de l'aider, il fallait lui apporter un quotidien plus serein. Je sais qu'il va me détester pour ce que je m'apprête à faire, mais je préfère qu'il me hurle dessus pendant quelques jours plutôt que le voir se détruire davantage. Je récupère mon téléphone sur le siège passager et écris rapidement un message.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Je serai un peu en retard, l'entraînement a duré plus longtemps que prévu. J'ai hâte de te voir, trésor.

Pardon d'être parti sans prévenir mais j'étais à la bourre, tu dormais si bien et étais si beau. Je n'ai pas eu le cœur à te réveiller.

C'est un mensonge éhonté, enfin, pour ce qui est de la première partie de ce texto. Il avait l'air paisible dans son sommeil et profondément ancré au pays des rêves. Je ne me sens qu'à moitié coupable de lui mentir. C'est dans son intérêt que j'agis ainsi, pour enfin lui laisser l'opportunité de se reposer, pour soulager Lolita et aider Bérénice. Ça fait bien trop longtemps qu'Angelo se bat, qu'il lutte et qu'il souffre. Je ne supporte plus de constater qu'il n'est que l'ombre de lui-même.

J'inspire profondément avant de quitter l'habitacle et me dirige, légèrement tendu, vers l'entrée de l'immeuble. L'hôtesse d'accueil lève son regard vert dans ma direction lorsque la clochette des portes retentit. Son sourire est affable alors qu'elle glisse une mèche brune derrière son oreille.

— Comment puis-je vous aider ?

— Bonjour madame, j'aimerais m'entretenir avec monsieur DeNil.

Elle fronce ses sourcils parfaitement épilés et baisse le regard vers l'écran de son ordinateur.

— Vous avez rendez-vous ?

— Non, je souhaite simplement discuter avec lui. Quelques minutes me suffiront.

— Je crains que ce ne soit pas possible.

— Ce ne sera pas long, vraiment, insisté-je.

— Vous devez prendre rendez-vous, monsieur DeNil a énorm...

— Qui me demande ? raisonne une voix grave dans mon dos.

Je pivote lentement afin d'apercevoir l'oncle d'Angelo. Il incline la tête et me dévisage en souriant. Il est impressionnant et transpire le charisme dans son costume noir parfaitement lisse. La ressemble entre lui et son neveu est frappante, c'en est presque déroutant. Rodrigue a un charme fou et une assurance peinte sur les traits de son visage. Ses yeux me déstabilisent, j'ai presque l'impression que ce sont ceux d'Angelo qui m'observent. Je me racle la gorge et fais un pas en lui tendant ma paume qu'il serre brièvement mais avec fermeté.

— Bonjour monsieur, je suis Will Marx. Je...

— Marx ? s'étonne-t-il. Comme Karlyle Marx ?

J'acquiesce. Je me doutais qu'il ferait le lien entre mon père et moi. Ils ont étudiés dans le même établissement qu'Angelo et moi. Notre parcourt est en tout point similaire. L'un en sport, le second en journalisme et avec une année d'écart.

— Je suis son fils.

Un sourire plus authentique que le précédent se dessine sur ses lèvres alors qu'une tape amicale s'échoue sur mon bras.

— Merci, Béthanie, mais le rendez-vous ne sera pas nécessaire, dit-il en lançant un regard à sa secrétaire. Je vais m'occuper de ce jeune homme.

Il me guide dans le hall en posant la main dans mon dos. Un peu étonné par sa familiarité, je me laisse pousser vers l'ascenseur sans oser parler.

— Comment va ce vieux grincheux ? s'intéresse-t-il alors que les portes se referment sous mes yeux.

— Euh... bien. Il va très bien.

— Tu es le portrait craché de ton paternel, s'enthousiasme-t-il.

— Probablement, mais je ne suis pas là pour parler de mon père, tenté-je lorsqu'il m'invite dans son bureau.

La pièce est démesurément grande pour le peu qu'elle contient. D'immenses fenêtres donnent une vue éblouissante sur New Eastside. Je ne mets pas souvent les pieds dans ce genre de quartiers, toute cette richesse m'intimide. Rodrigue s'installe sur un fauteuil en cuir et me fait signe de prendre place face à lui.

— Que me vaut l'honneur de ta présence ? Je n'ai pas vu la tête d'un Marx depuis bien longtemps. D'ailleurs, ton père a-t-il fini par épouser Kristen Anderson ?

— Oui, c'est ma mère. Ils ont eu deux enfants, Jude et moi. Mais j'aimerais vous parler de...

— Magnifique ! s'exclame-t-il. Je savais qu'ils étaient voués à de grandes choses.

Je fronce les sourcils, exaspéré qu'il me coupe la parole. S'il veut des nouvelles de mon père alors qu'il le contacte mais moi, je suis ici pour une tout autre raison.

— Oui, soupiré-je légèrement tendu. Mais je ne suis pas là pour vous parler de ma vie de famille.

Il pouffe de rire et secoue la tête avant d'apporter un verre au liquide ambré à ses lèvres.

— Bien sûr, pardon. Je suis juste un peu surpris.

Je hoche la tête.

" Ferme-la et écoute-moi " pensé-je très fort.

— J'aimerais vous parler de votre neveu et des soucis qu'il rencontre, débité-je à toute vitesse.

Il reste stoïque un moment, le visage crispé et la bouche pincée.

— Je t'écoute, prononce-t-il laconiquement.

J'inspire lentement, les muscles contractés.

— Alors voilà, je ne sais pas vraiment par où commencer... Je côtoie Angelo depuis un moment et j'ai pu remarquer trop de choses qui ne vont pas pour lui et sa sœur...

— Sa sœur ?

— Oui... Lolita, sa petite sœur. Leur mère est tombée dans une dépendance néfaste après la mort de son mari. Elle est toxicomane et n'est absolument plus en état de s'occuper d'elle et de sa famille. Angelo endosse toutes les responsabilités et à côté de ça, il se bat contre une maladie mentale qui le rend relativement instable. J'aimerais que vous m'apportiez l'aide nécessaire pour arranger la situation, s'il vous plaît... Angelo n'est absolument pas au courant de ma présence ici et il va probablement vouloir me tuer quand il l'apprendra mais... je l'aime. Je l'aime tellement et je veux ce qu'il y a de mieux pour lui. Je...

— Tu l'aimes, répète-t-il sans laisser transparaître la moindre émotion.

Je baisse la tête, fixe l'attelle qui recouvre mon poignet et mes doigts brisés et m'enfonce dans mon siège. J'ai parlé trop vite, emporté par mes sentiments. J'ai sûrement fait une erreur. J'ignore ce qu'il pense des couples homosexuels, peut-être fait-il partie des gens que cela dégoûte...

— Quelle relation entretiens-tu avec mon neveu ?

— On est... amis, tenté-je.

L'ébauche d'un sourire étire la commissure de ses lèvres tandis qu'il se pince le nez en remuant la tête.

— Je ne suis pas certain de ça.

— Ok, abdiqué-je. En réalité, on est ensemble depuis plus de six mois. Il est... mon trésor égratigné. Je ne supporte plus de le voir souffrir, d'accord ? Il a besoin d'aide et vous êtes mon seul espoir pour ne pas le perdre. Il a failli mourir, vous savez, et moi aussi ! Il s'est ouvert les veines dans les toilettes du lycée, j'étais là, je... Il fait sans cesse des crises et il ne va pas bien du tout ! J'ai besoin de vous. Bérénice a besoin de se faire soigner et Loli ne doit plus voir l'horreur qui se passe dans cette maison. Ils méritent mieux, tellement mieux. J'ai essayé, vraiment, mais je ne suis pas...

— Respire, mon garçon, m'arrête-t-il. J'ai parfaitement compris. Calme-toi !

J'opine lentement et tente de réguler mon souffle saccadé. Mon cœur bat à un rythme effréné, j'en ai presque la nausée.

— Qu'attends-tu de moi ? Angelo est-il suivi par un médecin ? Tu me demandes de faire en sorte qu'il le soit ?

— Quoi ? hésité-je. Non, enfin si, il a un traitement et voit une psychologue. Mais avant d'aider Angelo, j'aimerais trouver une solution pour Bérénice. Si sa mère prend soin d'elle et se soigne, alors je me dis que peut-être, il accepterait d'aller mieux lui aussi, vous comprenez ?

Il semble réfléchir, sa tête s'incline d'un côté puis d'un autre. Ses yeux me sondent puis finalement, il se redresse, enfile sa veste de costume et me demande de le suivre.

— Que faisons-nous ?

— On va rendre visite à mon neveu et ma belle-sœur, déclare-t-il comme si c'était une évidence.

— Quoi ! Maintenant ?

— Absolument.

— Ce n'est pas possible. Angelo ne va pas apprécier, ce n'est pas une bonne idée.

— Tu as sollicité mon aide et je vais te la donner. Si la situation est si désespérée que tu le prétends alors il ne faut plus attendre.

Je reste bouche bée alors que l'ascenseur nous fait rapidement rejoindre le hall de l'immeuble. Je me sens nauséeux, une boule d'angoisse obstrue ma gorge et je me dis que finalement, j'aurais mieux fait d'en parler à Angelo avant de prendre une telle initiative. Il va me haïr de me rendre chez lui avec son oncle qu'il méprise et qu'il n'a pas vu depuis des années.

Sur le chemin, Rodrigue me pose un tas de questions auxquelles je tente de répondre de façon claire et précise. Il me questionne davantage sur la maladie de son neveu, sur la dépendance de sa belle-sœur et essaie d'en apprendre plus sur Loli. Je parle très vite, les yeux rivés sur le paysage qui défile par la fenêtre. Mon cœur ne se calme pas, j'espère que la confrontation se passera correctement. Je prie pour qu'Angelo ne fasse pas de crise et qu'il ne me rejette pas comme il a l'habitude de le faire. Je suis effrayé et me remets en questions. Peut-être suis-je allé trop loin en partant chercher de l'aide auprès d'une personne qui n'a jamais vraiment fait partie de sa vie. Pourtant, je fais ça dans l'espoir qu'il accepte mon aide, cette main tendue qui lui fera du bien. Bérénice doit se soigner, se sevrer et reprendre la place qu'elle est supposée occuper. Angelo doit apprendre à respirer et Loli a droit à une adolescence saine et sans trop de problèmes. Les déviances d'Angelo ne le quitteront jamais mais le repos apaisera sûrement ses crises et son humeur maussade. Ses idées sombres et son envie constante de se faire du mal s'atténueront peut-être, jusqu'à ce qu'il puisse guérir de son addiction à la douleur.

Mon souffle se raréfie lorsque Rodrigue se gare près de la petite maison qu'occupait son frère. D'un pas incertain, je gravis les marches du perron. J'ai souhaité qu'il reste à l'écart afin d'anticiper la réaction d'Angelo. J'inspire lentement et me concentre pour ne pas trop trembler alors que je frappe à la porte. Le visage de mon trésor apparaît quelques secondes plus tard. Un sourire éclair son visage. Il fait un pas à l'extérieur et se blottit contre moi.

— Pourquoi tu n'es pas entré ? s'enquiert-il en cherchant mon regard.

— Je ne sais pas.

— Tu t'es enfoui ce matin.

— Pardon, mais tu étais absolument magnifique dans ton sommeil.

— Mouais, pourquoi tu es si tendu ?

Instinctivement, mon corps se met en alerte, mes mains tremblent dans son dos. Il me regarde, perplexe, et incline la tête.

— Qu'est-ce qu'il y a, Will ?

— Rien, je...

— Bonjour Angelo, s'élève la voix grave de Rodrigue.

Angelo se tend et fait plusieurs pas en arrière. Ses yeux assombris par la colère me maltraitent, à tel point que je le soupçonne d'énumérer une dizaine de tentatives de meurtres en l'espace de cinq secondes.

— Qu'est-ce que tu fous là ? crache-t-il amèrement sans daigner regarder son oncle.

Ce dernier approche et pénètre dans la maison en contournant son neveu. Mon trésor agit rapidement, le suit d'un pas lourd et enragé. Je suis le mouvement, complètement désœuvré. Rodrigue est déjà penché au-dessus de Bérénice et caresse ses cheveux blonds alors qu'elle ne semble pas se rendre compte que quelqu'un la touche.

— Mon Dieu, Berry... mais qu'as-tu fait de toi ? souffle-t-il en passant son doigt sur sa joue.

— Ne la touche pas ! hurle Angelo. Dégage immédiatement de chez moi !

Son oncle se redresse et le fixe avec insistance.

— Tu as bien grandi, la dernière fois que je t'ai vu tu faisais cette taille, dit-il en espaçant le pouce et l'index.

Angelo l'ignore, mâchoires et poings serrés. Il s'approche de moi et me repousse violemment en grinçant des dents.

— Putain, mais qu'est-ce que t'as foutu, Marx ?

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