Chapitre 26, partie 1 :

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Angelo DeNil :

Je croule sur le siège de la voiture de Kristen. Je suis complètement épuisé mais pour le moment mon cœur bat lentement. Will prend place derrière le volant et claque la portière en soupirant. Le soleil se lève à peine, le ciel est coloré de teintes absolument fabuleuses. Un peu d'orange, de rose, de jaune et d'un rouge flamboyant. J'aimerais rester là, à l'entrée de ce parc, pour observer le lever du jour jusqu'à ce que l'obscurité remplace la lumière. Ce n'est pas impossible mais inenvisageable. Je me dois d'être là lorsque maman partira.

Nous nous sommes assoupis quelques heures, nos membres enchevêtrés sur un sol inconfortable. Bien que peu reposant, ce n'est pas ce que nous avons connu de pire jusqu'à maintenant. Être blotti dans les bras de mon soleil suffit à mon bonheur, même si souvent, il est de courte durée. Notre moment hors du temps a cessé quand Pietro a appelé. Le retour à la réalité m'a fait froncer les sourcils de découragement.

— On s'arrête déjeuner avant de rentrer ? s'enquiert Will en fixant un point à travers le pare-brise.

Sa voix est légèrement rauque bien que basse. Il n'a pas plus envie que moi de rentrer et tente de repousser l'échéance fatidique. Je pivote dans sa direction, observe ses yeux rétrécis par la fatigue. Son océan est ombrageux, mon bel amour est lessivé de toutes ces histoires. Je presse ma main sur sa cuisse pour qu'il se focalise sur moi.

— Je n'ai pas faim, je veux simplement qu'on en finisse vite.

Il me fixe, inexpressif pendant plusieurs longues secondes, puis expire lentement. Sa paume se pose sur ma joue, ses doigts caressent ma nuque alors qu'il m'attire à lui d'un geste tendre. Son front s'appose au mien, son souffle chaud effleure ma peau.

— Trésor..., murmure-t-il, je crois que j'ai peur.

— Peur de quoi ?

— De toi.

Je tente un mouvement de recule, surpris et chagriné par sa remarque. Il m'immobilise en raffermissant sa prise.

— Ne bouge pas, c'est encore plus difficile quand tu me regardes.

— Je ne comprends pas, Will. Vraiment... j'ai du mal à deviner ce que tu essaies de me dire. Sois plus clair, je t'en prie.

Mon intonation est désespérée, je ne saisis pas le sens de ses mots.

— Lorsque ta mère ira mieux, que tu te sentiras plus léger, est-ce que tu voudras encore de moi ? chuchote-t-il d'une voix enrouée.

Merde, je suis épuisé de ces revirements de situation.

Est-ce ma faute s'il semble si torturé ? J'ai beau sans cesse lui répéter que rien ne changera, il continue de douter. Cette nuit, il a suggéré de nous éloigner le temps d'un instant, pour réapprendre à vivre, pour se souvenir de comment respirer sans l'autre et au petit matin ses mauvaises pensées réapparaissent. J'ignore ce qu'il se passe dans son esprit ces derniers temps. Il semble toujours si sûr de lui, pourtant à cet instant, j'ai l'impression de faire face à un petit animal blessé et égaré.

— Tu es contradictoire, Will. Je n'arrive plus à te suivre, soupiré-je désabusé.

— Moi non plus je ne me comprends plus...

J'attrape sa main qui repose toujours contre ma joue et embrasse ses doigts un à un alors qu'il clôt les paupières.

— Écoute-moi... en premier lieu, on va rentrer et régler les problèmes qui nous attendent. Je vais avoir besoin de toi pour affronter Rodrigue.

Il hoche lentement la tête tandis que je dépose un baiser sur sa paume.

— Ensuite, on discutera de ce qui ne va pas et on prendra le temps de se mettre d'accord. Je n'aime pas ces moments où nous ne sommes plus en phase.

Il acquiesce une seconde fois et pose sa bouche contre la mienne. Il ne m'embrasse pas, se contente seulement d'effleurer mes lèvres en soupirant parfois.

J'ignore depuis quand les rôles se sont inversés. À quel moment je me suis mis à penser avec sagesse et lui avec peur et inquiétude ? C'est arrivé si vite que je n'ai pas eu le temps de m'en apercevoir. Je n'aime pas être celui qui rassure parce qu'au fond, je suis tout aussi effrayé, mais désormais, je dois faire preuve de sang-froid et de lucidité. Pour lui. Pour que mon amour ne se ternisse pas dans l'ombre de ma folie.

— J'ai encore envie de toi, chuchote-t-il à l'orée de mon visage.

— Tu cherches simplement à faire traîner les choses.

— Comment t'as deviné ?

— Parce que c'est ce que je désire aussi mais on ne peut pas faire ça. Dans une heure, ma mère sera emmenée en centre de désintoxication et Loli ne doit pas être seule dans une telle situation.

— Oui... je le sais bien, mon cœur.

Il soupire encore et s'installe convenablement sur son siège.

— C'est parti, décrète-t-il en allumant le contact.

Ses doigts sont crispés sur le volant, je sens sa tension et son appréhension sans avoir besoin de le regarder. Ma tête s'embrume de pensées négatives, je redoute le moment où je vais à nouveau pénétrer dans cet enfer. J'ignore comment je vais réagir face à mon oncle et comment je me sentirai lorsqu'il éloignera maman de nous. Je vais avoir besoin de Will, de sa présence et de son amour. Même s'il semble égaré, je sais qu'il fera preuve de tendresse pour m'aider à ne pas sombrer. C'est ce qu'il fait chaque fois que je menace de me noyer.

La voiture ralentit et s'immobilise devant la maison. Je clos les paupières pour ne pas pleurer. Les larmes me brûlent déjà les yeux et m'empêchent presque d'inspirer. Will passe ses doigts à travers mes boucles et ramène mon visage près du sien.

— Ça va aller, me rassure-t-il d'une voix douce. Je suis là, détends-toi et respire.

— Elle va me détester, murmuré-je la gorge serrée.

— Elle te remerciera quand elle ira mieux. C'est un mauvais moment à passer, garde la tête haute. Montre-moi comme tu es fort, trésor.

— Je ne le suis pas.

— Tu l'as toujours été, j'ai toujours eu foi en toi. Tu es plus courageux que n'importe qui, mon guerrier.

Ses paroles m'apaisent alors je souris mais au fond, je n'en mène pas large. Je suis tétanisé, angoissé et j'ai mal au cœur. Davantage lorsque je remarque les efforts qu'il fait alors que je sais pertinemment que lui aussi souffre le martyr.

— Embrasse-moi avant de sortir de cette voiture, je t'en prie.

Il s'incline et m'offre un baiser terriblement doux. Ses lèvres glissent avec lenteur contre les miennes, je ressens tout son amour et sa délicatesse. Sans cesser de m'embrasser, il fait coulisser son siège vers l'arrière et m'attire à lui jusqu'à ce que je repose sur ses genoux. Je me laisse couler contre son torse en soupirant de soulagement. Il se bat pour me maintenir à flot, encore une fois, encore un peu. Son baiser m'apporte la paix, ses bras qui m'enlacent me font me sentir en sécurité.

— On sortira que lorsque tu t'en sentiras capable, susurre-t-il en effleurant ma joue.

— On ne va plus traîner, je dois rentrer avant que Rodrigue n'arrive.

— Très bien, alors on y va.

Il ouvre la portière et m'aide à quitter l'habitacle. Mes jambes et mes doigts tremblent. Je refuse de lâcher Will alors j'empoigne fortement sa veste. C'est lui qui amorce le premier pas, me guidant lentement vers l'entrée de la maison. Mon cœur s'emballe brusquement lorsque je passe le seuil. Ma mère est affalée sur le canapé, Pietro tente de faire fonctionner la machine à café et Loli est assise près de Judas, la tête sur son épaule et ses doigts serrés autour de son poignet. L'envie de cogner Bloom me submerge. Voir ainsi ma sœur s'accrocher à lui me met la rage au ventre mais je me retiens de hurler à m'époumoner. Elle a besoin de soutien et je ne suis pas apte à l'aider. Judas est un connard mais je ne pense pas qu'il serait tenté de la blesser.

— Enfin ! s'exclame Rivierra. On a presque failli vous attendre. Viens m'aider, gueule d'ange !

Je quitte Will à regret pour actionner la cafetière. Il s'installe sur le sofa, près de Lolita. Le soulagement m'envahit lorsqu'elle délaisse Judas pour se blottir contre mon amour. Il la ramène contre son torse et l'enlace en caressant ses cheveux.

— Comment tu te sens ? s'informe-t-il.

— Je ne sais pas trop pour le moment. Je verrais quand elle sera partie.

Je sors des tasses du placard, puis pince les lèvres lorsque j'aperçois Bloom s'approcher.

— Loli a beaucoup pleuré, chuchote-t-il pour que moi seul l'entende. Elle m'a fait beaucoup de peine, je crois qu'elle a besoin de son grand frère.

Mes doigts se crispent sur le rebord du meuble, je tourne lentement la tête pour le dévisager.

— Je sais ce que j'ai à faire, craché-je. Mais tu sais quoi ? Personne ne va bien dans cette maison.

Il soupire, ses épaules s'affaissent légèrement.

— Je ne veux pas te heurter, j'ai conscience que la situation est merdique. C'est juste que passer la nuit ici m'a fait réfléchir.

— Ouais, t'as réalisé qu'on faisait davantage pitié que ce que tu pensais.

— T'es vraiment trop con, DeNil, bougonne-t-il en fronçant les sourcils.

Je m'apprête à répondre mais la porte d'entrée s'ouvre sur Rodrigue vêtu d'un costume anthracite. Deux hommes et une femme en blouse blanche s'approchent également.

— T'es sérieux ? beuglé-je en le fusillant du regard. Tu te crois chez ta mère pour entrer ici sans daigner frapper ?

— Bonjour, Angelo. Moi aussi je suis heureux de te revoir.

— Putain ! Va te faire foutre, connard !

Je laisse tout en plan et pars m'enfermer dans ma chambre. Le voir me met hors de moi. Pour me soulager un minimum, je me visualise l'encastrer contre un mur. La porte s'ouvre, je m'attends à tomber nez‐à-nez avec Will mais c'est la peau basanée et les yeux sombres de Pietro qui apparaissent. Je serre les poings, n'ayant aucune envie de discuter pour le moment. Il s'installe sur mon lit et observe la pièce d'un regard circulaire.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Dépose les armes, mon ange. Je viens en paix.

Il lève main et fait mine de secouer le drapeau blanc. Je râle des propos inintelligibles et le rejoins en soupirant.

— Tu dois calmer tes pulsions meurtrières et te détendre un peu, me conseille-t-il. On a tous bien compris que c'est compliqué, que vous n'avez rien demandé et que tu dois tout faire pour garder un semblant de normalité. Mais, mon meilleur ami est en train de perdre pied et aussi mignon que tu sois, je ne te laisserai pas l'attirer vers le bas.

Sa voix n'est pas dure, il parle calmement et ne semble pas en colère, pourtant moi, il m'emmerde. Je refuse d'admettre qu'il a raison, même si j'en ai conscience. Bloom aussi n'a pas tort et c'est justement ce qui m'agace.

— Ce n'est pas volontaire, grondé-je en passant une main nerveuse dans mes cheveux. Will est le soleil de ma vie.

— Je sais, tout le monde l'a compris. Votre amour est sincère mais il n'est pas sain.

Je fronce les sourcils, une migraine m'assaille brutalement.

— Rien n'est sain chez moi, comment veux-tu que ce qui gravite autour le soit ?

— Arrête de penser comme ça et bats-toi, merde ! Cesse de vouloir baisser les bras à chaque complication, de t'enfermer dans une cellule imaginaire dès que tu penses ne plus réussir à supporter la situation et fais-toi confiance. Will a besoin de toi autant que tu as besoin de lui.

— J'en ai conscience.

— Alors, souffle un bon coup, cogne un mur si ça peut t'aider mais bouge ton cul et pars tenir tête à ton oncle. Ne fuis pas, c'est dans votre intérêt à tous de lâcher prise et de laisser quelqu'un prendre soin de vous.

— Ce type est un connard sans nom, un bâtard qui...

— On ne t'a pas demandé de l'apprécier, me coupe-t-il, juste de le supporter.

Je reste muet, un peu perplexe. Je comprends enfin pourquoi lui et mon Willy sont si proches. Ils ont exactement la même façon de penser, à tel point que ça en devient perturbant.

— Allez, conclut-il en tapant dans mon dos, lève-toi, bombe le torse et prouve à Rodrigue DeNil qu'il ne te déstabilise pas.

— Merci d'avoir veillé sur Loli cette nuit.

— Je ferai tout pour mon frère, même aimer son couillon de mec.

Il me sourit et je quitte la pièce sans me retourner. Judas se fait discret dans un coin du salon alors que Will est debout, bien droit face à mon oncle qui tente de faire connaissance avec ma sœur.

— Lâche l'affaire, t'as presque quinze ans de retard.

Il lève la tête vers moi tandis que Will me contourne pour m'enlacer.

— Mieux vaut tard que jamais.

— Se racheter en présence de tes neveux ne change rien au fait que tu n'étais pas là pour soutenir ton frère durant sa maladie. J'espère que la culpabilité te ronge.

Un éclair de douleur apparaît dans son regard et me fait comprendre que j'ai vu juste. Si ça hante ses nuits, j'en suis heureux.

— J'aimerais que vous rencontriez mes enfants, lâche-t-il abruptement.

— On a des cousins ? s'étonne Loli.

Je secoue la tête avec vigueur, lui et les siens ne font pas partie de la famille.

— Occupe-toi de la raison pour laquelle tu es ici et repars d'où tu viens. Moins je te vois, mieux je me porte.

— Fais un effort, murmure Will à mon oreille.

Je grogne pour que lui seul comprenne. Je n'ai aucune envie de faire d'efforts avec ce type. Ça me fait déjà suffisamment mal de savoir qu'il va s'occuper de ma mère.

— Bon... je pense qu'on devrait y aller, déclare Rodrigue en jetant un regard à Bérénice.

La seconde suivante, les deux hommes vêtus de blanc s'approchent d'elle alors que la femme quitte un instant la maison pour revenir avec un fauteuil roulant. Mon cœur se serre, je ne veux pas être témoin de cela, même si c'est mon devoir entant que fils. Je cache mon visage contre le buste de Will, et inspire profondément pour essayer de reprendre bonne figure. L'odeur de mon soleil s'infiltre dans mes narines alors qu'il m'enveloppe de ses bras.

La situation s'annonce difficile à supporter. L'absence de maman va se faire ressentir même si, en général, sa présence ne nous apporte pas grand‐chose à Loli et moi. J'entends remuer dans mon dos, les bras de Will se resserrent brusquement autour de moi. Au début, j'ignore pourquoi il m'enlace si puissamment jusqu'à ce que le lien s'établisse lorsque la voix de Bérénice, rauque et cassée, résonne dans le salon.

— Qui êtes-vous ? Lâchez-moi ! s'étrangle-t-elle. Lorenzo ? Oh mon Dieu, Lorenzo, c'est toi ?

Quelque chose se brise en moi lorsque le prénom de mon père s'élève. Elle pleure bruyamment, si je ne la vois, je l'entends et ses sanglots me déchirent les entrailles. Je lance un regard vers Lolita qui tremble à l'autre bout de la pièce.

— Bloom ! l'interpellé-je en couvant ma sœur des yeux. Fais-la sortir d'ici !

J'ai parlé sans réfléchir. Ça ne m'enchante pas qu'il gravite autour d'elle mais l'image qu'ils renvoyaient lorsque nous sommes rentrés Will et moi, m'est revenue en mémoire. Elle n'avait pas l'air mal à l'aise en sa présence et pour le moment, elle a besoin d'une personne suffisamment forte pour la soutenir. Judas se place devant elle, lui bloquant la vue désastreuse sur le salon en la surplombant. Il pose ses mains sur les épaules de Loli et la guide jusqu'à sa chambre.

— Non, Berry, répond mon oncle posément. Ce n'est pas Lorenzo mais Rodrigue.

— Rod... Rodrigue ? Qui sont ces gens ?

— Ils sont là pour t'aider. Tu vas aller te soigner, Berry, tout ira bien.

— Me soigner ? Mais... je ne suis pas malade !

Je m'agrippe à Will de toutes mes forces. J'ai besoin d'un point d'ancrage, j'ai peur de m'effondrer.

— Lolo ! s'égosille-t-elle entre deux crises de larmes. Dis à ton oncle que je vais bien.

J'étouffe, l'air se raréfie dans mes poumons. Même en étant dans les bras de mon amour, je ne parviens plus à respirer. Ses doigts glissent entre mes boucles mais n'apaisent en rien mon envie de hurler. Après un instant, je prends mon courage à deux mains et pivote vers le salon. Ma mère est assise sur le canapé, les paupières enflées et les cheveux en bataille. Elle est agitée, lance des regards hagards à toutes les personnes présentes dans la pièce.

— Lolo, allez, avoue-le.

Je ferme les yeux pour encaisser la douleur, ce pic brutal qui me transperce le cœur.

— Je suis... désolé, maman, déglutis-je.

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