Chapitre 26, partie 2 :

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Angelo DeNil :

Son visage se transforme, son air désespéré disparaît pour laisser place à une colère pure et dure. Si elle pouvait me tuer, elle n'hésiterait pas à m'assassiner brutalement. D'un geste vif, elle récupère le cendrier sur la table basse et le jette dans ma direction. Will réagit instantanément. Il nous éloigne rapidement, l'objet frôle son épaule avant de s'écraser contre le sol en un bruit monstrueux. Mon corps se tend, elle va réellement me détester, même si finalement, je la soupçonne de le faire depuis un certain temps.

— Madame DeNil, il va falloir vous calmer, tonne l'un des hommes en blouse. Ne nous obligez pas à employer une méthode plus directe.

Will me maintient fermement, s'il ne le faisait pas je me serais déjà écroulé. Mes jambes sont molles, je me sens acculé par une fatigue soudaine et brutale.

Bérénice ignore les propos de l'infirmier et empoigne l'une des bouteilles de bière qui jonchent le sol. Cette fois, Will n'a pas le temps d'anticiper alors qu'elle m'atterrit en pleine figure. Le verre se brise et répand ses éclats dans le salon. Un cri de stupeur passe les lèvres de mon amour alors qu'une douleur épouvantable envahit mon nez et se propage jusqu'à mes tempes.

— Putain de merde ! gémis-je en plaquant mes paumes sur mon visage.

Je me déconnecte brutalement de ce qu'il se joue autour de moi, submergé par un mal atroce. Will me rattrape avant que je ne croule vers le sol comme un déchet et me plaque contre son torse. Son corps est pris de soubresauts tandis que je me noie dans ma douleur. Il me soulève avec une telle facilité que j'ai la sensation d'être aussi léger qu'une plume. Il nous guide vers la cuisine et me hisse sur la table bancale. Sa respiration est hachée, il panique mais semble tout faire pour ne pas perdre le contrôle. J'entends ma mère pestiférer et mon oncle qui s'évertue à tenter de la calmer. Mon cerveau n'assimile plus grand-chose, je perçois les voix comme si j'étais à l'autre bout de la maison alors que tout se déroule à quelques pas.

Will enroule ses doigts autour de mes poignets et tire doucement pour que je découvre mon visage. Je refuse en gémissant. Mes paumes sont trempées de mes larmes et du sang qui s'égoutte de mon nez.

— Mon cœur, enlève tes mains, me supplie-t-il. Je dois vérifier l'état de ton visage, ne reste pas comme ça...

Je secoue la tête alors qu'une souffrance horrible paraît me fracasser le crâne.

— Angelo ! hurle Bérénice. Ne les laisse pas m'emmener !

Mes ongles s'enfoncent dans ma peau, je me retiens de crier ma rage et ma peine.

— Tu vas me le payer, petite merde ! Attends que je rentre à la maison !

Ma mère se débat, je ne la vois pas mais l'entends piquer sa crise. Machinalement, je me berce d'avant en arrière pour détendre mes nerfs. Will me parle mais je ne comprends aucun des mots qu'il prononce, puis tout à coup la porte d'entrée se ferme et le calme réapparait autour de moi.

Bérénice est partie.

Mon être entier se révulse alors qu'une main se pose sur mon épaule.

— Dégage ! hurlé-je en repoussant violemment mon oncle. Ne me touche pas !

Je le fixe durement, ma vision est troublée par mes larmes et quelques gouttes rougeâtres. Ses yeux s'écarquillent et son souffle se coupe alors qu'il détaille mon visage avec horreur. Un silence de mort hante la pièce jusqu'à ce que Will tire mon menton dans sa direction.

— Bordel de merde, souffle-t-il, tétanisé.

Je glisse sur la table jusqu'à ce que mes pieds touchent le sol et m'éloigne en reniflant. Ma tête tourne et une nausée me secoue violemment. Will me rabat contre son torse en agrippant mon bras. Un haut-le-cœur me fait trembler, je n'ai pas le temps de réagir avant que ne jaillissent mes régurgitations. Mes vomissures s'étalent sur les vêtements de mon soleil et dégoulinent jusqu'au carrelage. Il ne s'en préoccupe absolument pas et m'enlace dans une puissante étreinte. Ses mains sont glacées alors qu'il les glisse sous mon pull dans le bas de mon dos.

— Angelo, trésor, on doit nettoyer ton visage. Je dois m'assurer que les plaies ne sont pas profondes et qu'aucun bout de verre n'est planté dans ta peau.

Avec une force sortie de je ne sais où, je le repousse en écrasant mes paumes sur mon torse. Il fait quelques pas en arrière et vacille jusqu'à se stabiliser.

— Ne t'approche pas ! le préviens-je en reculant lentement.

Il s'incline, lève la main dans ma direction et tente de s'avancer.

— Petit, commence Rodrigue, laisse-le faire. Tu as sûrement besoin d'aller à l'hôpital.

— Si tu t'approches, je te jure que...

Ma phrase reste en suspens lorsque Loli refait surface dans le salon. Elle est suivie de près par Pietro et Judas qui se figent en apercevant mon visage ensanglanté.

— Bon sang, Angelo, murmure Lolita, est-ce que...

— Ne viens pas ! la coupé-je en criant. Ne m'approchez pas, ne me touchez pas ! Putain !

Je me précipite dans la salle de bain en prenant sur moi pour ne pas m'écrouler. La porte verrouillée, je me laisse crouler vers le sol. Je m'autorise enfin à relâcher la pression. Un hurlement de rage me déchire la gorge, des sanglots amers me secouent. Ma tête cogne fortement contre la surface plane derrière moi, ravivant la douleur et les pointes de chaleur qui submergent mon crâne. Mes oreilles bourdonnent, mes tempes battent au même rythme chaotique qu'a emprunté mon cœur. Je suis en colère, une tristesse immense et une foutue culpabilité me retournent l'estomac. Je suis mitigé, j'ignore si je dois être fier d'avoir envoyé ma mère se soigner ou si je dois me haïr pour l'avoir si lâchement trahie. Des voix viennent envahir mon brouillard, j'écoute, sans le désirer, la conversation qui s'élève dans la pièce d'à coté.

— Laisse-le respirer, déclare Pietro.

— Mais il risque de se faire du mal, se lamente mon amour.

— Si tu le brusques, il va se braquer...

— Loli a raison, affirme Bloom. Il ne va rien lui arriver. On est tous présents, s'il tente quoique ce soit on sera là pour l'en empêcher.

— Et comment on peut le deviner ? Jusqu'à preuve du contraire on ne peut pas voir à travers les murs, s'agace Will. Il s'est enfermé dans la salle de bain ! Vous êtes tous aveugles ?

— Calme-toi gamin, je vais...

— Une foutue salle de bain ! crie-t-il en coupant la parole à Rodrigue. Il y a des putains de rasoirs dans l'armoire ! Un miroir ! Des médocs ! Et un tas d'autres choses qu'il pourrait utiliser pour se blesser !

Ses mots me brisent le cœur. Il ne me fait visiblement pas suffisamment confiance. C'est vrai que l'idée de m'ouvrir la peau fait chauffer le sang dans mes veines, pourtant je ne succomberai pas. Je lui ai fais la promesse de ne plus agir ainsi.

— Il m'a repoussé ! Je veux juste être là pour le soutenir, se plaint-il, un sanglot dans le voix.

J'expire et remets de l'ordre dans mes pensées. J'ai rejeté mon amour et en le faisant, je l'ai blessé une nouvelle fois.

Laisse-le venir à toi, me conseille Lumière, ne lui claque pas la porte au nez.

" T'es idiote ou tu n'as vraiment pas remarqué que c'est déjà fait ? "

Rouvre cette porte et brise les barrières. Tu ne lui feras aucun mal.

" Je n'en sais rien. "

Ne te sous-estime pas. Tu ne le blesseras pas, tu n'en as pas envie.

Je soupire en passant une main lasse sur mon visage. Mes larmes et le sang s'égouttent sur mon pantalon. Je déverrouille la porte et m'en éloigne de quelques centimètres.

Soleil, l'appelé-je, viens, s'il te plaît.

Il lui suffit d'une seconde pour entrer dans la pièce et soupirer de soulagement. Il s'assoit en tailleur face à moi et m'observe attentivement. Son océan est inondé d'une tristesse qui fait souffrir mon cœur. Il lève la main et effleure mes joues abîmées. J'ignore l'image que je lui renvoie, je n'ai pas trouver la force de me détailler dans le petit miroir qui surplombe le lavabo. La douleur est si diffuse que je ne parviens pas à déterminer d'où elle provient.

— Tu es tout éraflé, grimace-t-il en passant son index sur ma lèvre inférieure. Tu me laisses mettre de l'ordre dans tout ça ? Je dois m'assurer que tu n'as pas besoin d'aller à l'hôpital.

Je hoche la tête en laissant tomber l'idée de me rebeller. Il se redresse et fouille dans les placards. Il dépose des soins et une pince à épiler sur le sol et m'attire à lui.

— Excuse-moi, je ne voulais pas t'envoyer promener, marmonné-je en fixant un point par-dessus son épaule.

— Ce n'est rien, trésor. J'ai eu peur, c'est vrai, mais tu m'as fait revenir et tu ne t'es pas fait de mal alors tout va bien, d'accord ?

Je hoche la tête, honteux de m'être emporté contre lui. Avec attention et délicatesse, il nettoie le sang sur ma peau, désinfecte les quelques éraflures qu'a causé le verre et avec la pince il retire deux petits éclats. L'un logé dans ma joue et le second sur mon nez. Mon visage est brûlant et douloureux.

— Tu as un sacré bleu sur le nez, grimace-t-il en l'effleurant de la pulpe de ses doigts. Je ne pense pas qu'il soit cassé mais c'est pas beau à regarder.

Je hausse les épaules avec désinvolture. La souffrance m'apaise et il en a pleinement conscience. En silence, je me redresse et grimpe sur ses cuisses pour l'enlacer. Son souffle chaud vient caresser ma peau et me fait frissonner.

— Tu pues...

— Tu m'as vomi dessus.

— Ça ne te gêne pas ?

— C'est le dernier de mes soucis, Angelo. Et je n'ai pas de vêtements pour me changer.

— Enlève ta veste au moins. Sérieux, elle empeste.

Il rit doucement et s'éloigne légèrement pour l'ôter, je retire mon pull également. L'odeur s'est imprégnée dessus lorsque je l'ai serré contre moi. Il récupère les vêtements afin de les balancer dans la cabine de douche puis se blottit contre moi.

— C'est mieux ?

— Un peu.

Il lève les yeux au ciel en souriant puis dépose en baiser sur ma joue. On reste ainsi, à se câliner en silence pendant un temps. Tout est chamboulé dans mon esprit, les paroles que Pietro a prononcées dans ma chambre réapparaissent dans ma tête, se mêlent à celles de Will. Elles résonnent, bourdonnent puis s'alignent enfin et je finis par comprendre. Tout. Ce que je dois dire, penser ou faire.

Ce n'est pas sain.

On doit s'aimer moins douloureusement.

Will a besoin de toi.

Bats-toi, fais-toi confiance.

Je récupère son visage entre mes paumes, le caresse d'un regard doux. Ses lèvres s'ourlent d'un tendre sourire.

— Rentre chez toi, Will, soufflé-je contre sa bouche.

— Quoi ? s'étonne-t-il en fronçant les sourcils.

Je continue de le câliner pour le rassurer. Je ne le repousse pas, je veux l'adorer sans souffrir et l'aimer plus fort encore.

— Tu devrais rentrer.

— Pourquoi ? Non, je veux rester avec toi, me contredit-il en recouvrant mes mains des siennes.

— Il faut que tu dormes. Mon amour, tu es magnifique mais bien trop cerné.

— Je peux le faire avec toi.

Je secoue la tête et embrasse brièvement ses lèvres.

— Qu'on soit bien clair, Willy, je ne te rejette pas. Je te demande juste de rentrer chez toi pour te reposer. Cette nuit, tu as dit qu'on ne devait plus se négliger. Pense à ton bien-être, c'est tout.

Il incline la tête et me scrute avec insistance.

— Nous n'avons pas beaucoup dormi, tu es épuisé, je le suis aussi, alors va te reposer et on se verra plus tard.

— Je peux dormir avec toi, insiste-t-il.

— Non, tu ne te reposeras pas si tu restes ici. Je te connais, tu vas m'observer pendant des heures pour être certain que je ne déraille pas.

— Mais, je...

— Tais-toi, le réprimandé-je, je ne te demande pas la lune, mon soleil. Je vais bien, ok ? Je ne serai pas seul, Loli est là et je t'ai promis de ne plus te décevoir. C'est toi qui a suggéré qu'on pense à soi.

Il me dévisage un moment puis finit par soupirer. Ses épaules se relâchent et il baisse la tête.

— J'ai vraiment des idées à chier par moments, râle-t-il.

Je pouffe de rire et dépose un baiser sur son front.

— Tu ne me repousses pas, hein ?

— Non, mon amour.

— Tu promets de ne pas te faire de mal ?

— Oui, mon amour.

Il m'analyse durant quelques secondes avant de hocher la tête. Il m'aide à me redresser en enlaçant nos doigts et m'attire dans ses bras pour une longue étreinte ponctuée de quelques baisers.

— On s'appelle dans la journée ?

— Bien sûr, quand tu auras dormi un peu.

— Très bien, concède-t-il, alors à plus tard.

— Je t'aime, Willy.

— Plus encore, trésor.

Il semble déçu et je le suis également mais s'il reste ici, il sera encore plus fatigué. Je ne veux pas qu'il reste focalisé sur mon état mental, souvent instable, et qu'il s'oublie encore une fois. Je souhaite qu'il respire un peu, il en a besoin. J'ai vécu un choc émotionnel aujourd'hui, j'ai oscillé entre la rage et la détresse, la douleur et la démence et je désire me perdre dans ses bras mais l'épuisement est bien trop lissible dans ses billes océanes. Après un dernier baiser, il quitte la maison accompagné de ses amis qui nous rappellent une dernière fois qu'ils sont également présents si nous désirons de l'aide ou une oreille attentive. Lorsque le calme réapparait, j'abandonne ma sœur et mon oncle pour rendre visite à Simona.

— Mon chaton, qu'as-tu fais à ton visage ?

— C'est Bérénice, elle vient de partir en cure. Tu peux me rendre un service ?

— Bien sûr, répond-elle sans chercher davantage d'explications, que puis-je faire pour toi ?

— Est-ce que tu peux veiller sur Loli pour moi ? Pendant quelques semaines, non, quelques mois...

Elle ouvre de grands yeux et acquiesce sans me priver d'un tas de questions qu'elle débite à une vitesse folle. C'est à mon tour de prendre les choses en main et je suis enfin décidé à avancer. Je vais réparer mes erreurs, celles de ma mère et je vais apaiser mon Willy qui, en m'aimant trop, se rend malade. Je vais changer nos habitudes, bousculer tous mes principes, mais c'est dans notre intérêt à tous les deux. Je le désire à m'époumoner, l'aime à m'en aliéner...

Je dois me faire confiance.

Je me fais confiance !

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