Chapitre 27 :
Angelo DeNil :
— Pardon ? siffle Will en faisant les cent pas dans sa chambre.
Le dos contre la tête de lit, je le regarde aller et venir. Un léger sourire flotte sur mes lèvres tandis qu'il passe les doigts entre ses épaisses mèches brunes. Sa réaction fait battre mon cœur même si j'ai parfaitement conscience qu'il n'accepte pas. La colère et la tristesse se battent en duel dans son regard cristallin.
— Tu as fait quoi ? continue-t-il avec hargne comme si j'avais prononcé des mots absurdes.
J'avance à quatre pattes sur le matelas et me dresse sur les genoux pour agripper son pull. Je le tire brusquement, passe une main sur sa nuque pour l'inciter à se mettre à ma hauteur. Mes lèvres s'écrasent contre les siennes, je l'embrasse avec ardeur, jusqu'à perdre mon souffle dans notre baiser. Je peux mourir étouffé si c'est en me perdant dans une étreinte brûlante avec le soleil de mes nuits. Je m'amuse avec lui, mords sa langue et ses lèvres et me laisse choir sur le lit en l'attirant dans ma chute. Ses mains glissent sous mon vêtement, empoignant fermemant mes hanches. Il presse son entrejambe contre le mien. Son corps réagit au contact du mien, nous sommes haletants et quémandeurs de plus de caresses. Je gémis lorsqu'il se met à onduler. Mes doigts se perdent dans ses cheveux, je suis au bord d'un précipice, près à m'enflammer mais ce n'est que de courte durée puisqu'il s'éloigne en râlant. Je soupire de désespoir alors qu'il se relève et me jette un regard obscur.
— Arrête ça tout de suite !
— Quoi ?
— Tu joues avec ton corps pour me faire baisser ma garde, gronde-t-il.
— Ça avait l'air de plutôt bien fonctionner.
— Ferme-la.
Je roule des yeux en souriant. Il n'est pas très content mon amour.
— Sérieusement, Angelo, pourquoi tu as fait ça ? se lamente-t-il.
— On en a besoin. Tu en as besoin, précisé-je.
— Comment tu peux...
— Tais-toi ! le coupé-je en secouant la tête. Ne t'égares pas sur ce chemin avec moi alors que tu as décidé pour mon bien d'entrer en contact avec mon oncle sans même daigner m'en parler !
Il fronce les sourcils, inspire lentement puis expire en se laissant tomber sur le matelas.
— C'est différent, se défend-il. Tu avais réellement besoin d'aide et Rodrigue était le seul capable de t'en donner. Mais ça...
Il clôt les paupières, passe une main lasse sur son visage avant de croiser mon regard.
— ... ça ne va pas m'aider.
— Bien sûr que si, Soleil, dis-je en rampant vers lui. Et puis, c'était ton idée.
— Absolument pas ! Mon idée était de se concentrer un peu sur soi-même, pas de nous quitter aussi brutalement.
— Nous quitter ? Mais qui t'a mis une idée aussi stupide dans la tête ?
— Bon sang, Angelo ! C'est exactement ce que tu fais.
— Mais... pas du tout, mon amour. Tu ne comprends pas.
Je place un genou de chaque côté de ses cuisses et presse mon torse contre le sien.
— Non, en effet, je ne comprends pas...
— Je ne te quitte pas, je ne le veux pas. Plus jamais ça n'arrivera, d'accord ? Fais-moi un peu plus confiance, Will.
— Alors, quel est le but de cette fichue démarche ?
— Je t'empêche seulement de faire une bêtise. Je ne te laisse pas l'opportunité de faire un choix insensé. Tu ne devrais pas choisir entre moi et le foot alors j'ai agi avant que tu le fasses.
— Je ne comprends rien ! se plaint-il en secouant la tête.
— T'es un vrai crétin, par moments.
— Merci du compliment.
Je lui souris et embrasse doucement ses lèvres. Ses mains remontent mon dos, sous le tee-shirt que je lui ai emprunté et ma peau s'échauffe à son toucher.
— Écoute, Will, ce que tu m'as dit l'autre soir m'a fait réfléchir et je ne veux pas que tu loupes le championnat de fin d'études parce que je ne peux pas être avec toi. La seule solution que j'ai trouvée pour que tu puisses y participer sans t'inquiéter pour moi, c'est celle-ci.
— Combien de temps ?
— Quatre mois...
— Quoi ? explose-t-il en ancrant douloureusement ses doigts dans ma chair. Mais ça ne va pas bien la tête ?
Je me retiens de rire, sa question est purement rhétorique. Non, absolument rien ne va dans ma tête.
— Le tournoi n'en dure que deux ! Pourquoi autant ?
— Parce que ! Will, arrête de faire le sourd comme ça. On a besoin de ça. Tu le sais, pourtant.
— Comment tu as fait ? Tu es mineur et ta mère n'est pas en état de signer des papiers aussi importants, ni même de prendre une quelconque décision.
Ma réponse ne va clairement pas lui plaire, elle ne me plaît pas à moi non plus.
— J'ai demandé, enfin non... j'ai obligé Rodrigue à donner son accord. On porte le même nom et étant donné que maman est en cure, le centre a accepté qu'il devienne mon tuteur le temps de son internement.
Il me soulève et me jette sur le matelas pour se mettre une fois de plus debout. Il est fou de rage et je le comprends parfaitement.
— Non, mais là, attends... laisse-moi digérer. En fait, non ! Franchement, tu te fous de ma gueule. N'est-ce pas ? peste-t-il en pointant un doigt accusateur dans ma direction.
Il m'agace. Cette conversation m'épuise mais elle est pourtant importante alors, je prends sur moi.
— Ne m'en veux pas de cette façon, Will, soupiré-je. On ne se quitte pas, jamais. On pourra s'écrire et s'appeler, j'ai le droit de garder mon téléphone.
— Mais tu refuses que je vienne te voir !
— Parce que ça ne nous aidera pas si tu viens tous les jours ! Si les Lions sont qualifiés pour le championnat, tu ne seras même pas dans le coin, ça ne changera rien pour toi.
— Bien sûr que si ! Si on ne gagne pas, tu y as pensé ? Si on perd, je ne quitterai pas Chicago et ton plan sera inutile.
— Ce sera nécessaire dans tous les cas. On va se recentrer sur soi et ça ne me fera pas de mal d'être interné, Will. Lolita sera chez Simona, toi, tu vas te concentrer sur le foot, retrouver tes amis et une vie à peu près normale. Quant à moi, je vais tenter de trouver le moyen de gérer mes crises pour en faire le moins possible. Je serai bien encadré et je ne risquerai rien. C'est un hôpital psychiatrique, les médecins seront là pour veiller à ma sécurité et m'aider à me canaliser.
— Mais, trésor... quatre mois, c'est beaucoup, soupire-t-il un sanglot dans la voix.
— Ce n'est pas grand-chose sur une vie entière.
Ses yeux se ferment et mon cœur se broie lorsque je vois les premières larmes rouler sur ses joues. C'est difficile pour moi aussi, j'espère qu'il le sait. Le temps va être affreusement long et pénible mais ensuite, nous irons mieux. Je quitte le lit et m'approche pour encercler son visage de mes paumes. Mes pouces passent sur ses paupières pour recueillir les perles salées de sa tristesse.
— Angelo, couine-t-il, tu y rentres quand ?
Je récupère sa main et le guide jusqu'au matelas. Il s'étend sur mon corps, la tête dans le creux de mon cou. Il est lourd, mon souffle disparaît sous son poids mais ça m'est égal. Je veux sentir sa présence jusqu'à ce que mon sang s'enflamme. Je désire le rassurer en l'enfermant dans mes bras, pour apaiser son âme lésée et fatiguée. Il se retient sur les coudes et continue de pleurer. Ses sanglots rendent ses yeux plus clairs que d'habitude. Il est beau, blessé et désespéré mais magnifique. Le voir ainsi me fait énormément de peine. J'ai affreusement mal au cœur mais je ne dois pas lui montrer.
— La semaine prochaine, après l'anniversaire de Loli et avant le match de qualification.
— Si tôt, s'étrangle-t-il.
— Mon amour, soufflé-je contre son visage, réfléchis, si j'attends encore, le tournoi aura commencé. C'est évident que je dois partir avant, sinon, ça ne t'aidera pas à t'éloigner d'ici l'esprit tranquille.
Il hésite un long moment puis finit par hocher la tête.
— D'accord, chuchote-t-il d'une voix tremblante, je comprends maintenant.
— C'est vrai ?
— Je ne veux pas être séparé de toi si longtemps, ça va me briser le coeur. Mais oui, je comprends. Si tu sors de cet hôpital et que tu vas mieux, alors oui, il faut que tu le fasses.
— Merci, mon soleil.
Je resserre mon étreinte dans son dos alors qu'il pose son front contre mes lèvres.
— Tu me promets qu'après cette nouvelle épreuve, plus rien ne se mettra en travers de notre chemin ?
— Normalement, oui.
— Normalement, répète-t-il amèrement.
— William, soupiré-je, je ne peux pas savoir ce qu'il se passera dans l'avenir. J'espère de tout mon cœur que non, rien ne nous arrêtera plus, mais je ne peux pas te faire cette promesse, et toi non plus tu ne peux pas en être certain.
— Serre-moi contre toi, me supplie-t-il.
— C'est déjà ce que je fais.
— Fais-le plus fort.
J'obéis, bien que ce soit compliqué. Je resserre ma prise jusqu'à m'en faire mal aux épaules et dépose des baisers partout où mes lèvres peuvent avoir accès. Aujourd'hui, face à moi, il ressemble à un enfant coincé dans un être disproportionné. Un esprit en peine, mort de chagrin. Un petit garçon effrayé, c'est un contraste déstabilisant. Mon amour est taillé dans le marbre, son corps est puissant et solide, mais son cœur est fragile. Chacune de ses larmes, qui s'échoue sur mon cou, affaiblie mon âme. Mais je me dois d'être plus fort que ça, je dois être fort pour lui lorsqu'il n'y parvient pas.
— Arrête de pleurer, soleil. Un grand garçon comme toi ne devrait pas être si triste.
— Sauf que ce grand garçon est tombé amoureux, souffle-t-il en enfonçant davantage son visage dans le creux de mon cou.
Bien que meurtri, je souris. Mon cœur l'aime si fort que chacun de ses battements est une déclaration d'amour qui lui est entièrement destinée.
Je fais en sorte de maintenir un équilibre entre nous. Nous avons passé bien trop de temps à jouer les équilibristes sur un fil acéré. Lorsque je suis sorti du coma, je ne pouvais pas envisager d'être interné quinze jours. Désormais, c'est moi qui prend l'initiative d'être hospitalisé pendant des mois. Adorer Will me fait tout remettre en questions. Je l'ai trop fait souffrir, il a déjà trop encaissé, trop supporté, et a surmonté des épreuves douloureuses et sanguinolentes. J'ai échoué lorsque j'ai tenté de l'éloigner pour sa sécurité, aujourd'hui, c'est moi qui pars pour l'aimer sereinement.
— À la claire fontaine m'en allant promener..., fredonné-je en repensant aux mots qu'il m'a prononcés il y a fort longtemps.
C'est la berceuse que Kristen lui chantait lorsque, étant enfant, il avait besoin d'un moment de paix.
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