Chapitre 31, partie 1 :

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Will Marx :

Le front contre la vitre, j'observe le paysage défiler. Mon mal de tête ne s'est pas atténué et persiste depuis d'interminables jours. Mon père est silencieux depuis plus d'une heure. Les traits tirés, il tient le volant d'une main ferme. Je sens son regard se braquer sur moi chaque fois que la voiture ralentit. Il a envie de me remettre à ma place, de cracher ses reproches, je le sais, je le resens, pourtant il n'en fait rien et ça m'exaspère. Sa colère est légitime, je l'ai obligé à mettre fin à son déplacement professionnel pour venir me chercher dans un coin paumé du Wisconsin. J'ai fait n'importe quoi et même si j'en ai conscience, je n'arrive pas à être désolé. Pour le moment, je me moque d'être suspendu pour les derniers matchs du tournoi et d'avoir enfin remis Noah Carter à la place qu'il mérite. Je désire seulement rentrer le plus rapidement possible afin de me laisser tomber sur mon lit et de dormir. Je veux oublier ce que je ressens, ce qui me fait du mal. Je veux m'anesthésier de ma douleur, de ma fatigue et de mon envie irrépressible de retrouver Angelo.

La voiture freine légèrement, puis braque à gauche au lieu de suivre la route indiquée par le GPS. Je jette un regard incertain à mon père qui daigne enfin ouvrir la bouche.

— J'ai besoin d'un café, marmonne-t-il en se garant sur le parking d'une aire de repos.

Je soupire, ça ne m'enchante pas de perdre du temps. Il nous reste encore deux bonnes heures de route.

— Tu veux quelque chose ?

— Une boisson énergisante.

— Tu en as besoin, en effet. Tu as une tête de mort-vivant.

Je grogne des propos inintelligibles tandis qu'il quitte l'habitacle. Mon front retombe lourdement contre la vitre et je me concentre pour ne pas m'endormir. Mes paupières sont lourdes et mon corps trop tendu. Aujourd'hui est un jour spécial, c'est avec mon trésor que je devrais me trouver, pas au milieu de nulle part, seul et déprimé. J'observe les nuages sombres qui encombrent le ciel en me disant qu'il est là, pas bien loin de moi finalement et que nous voyons le même temps morose lorsqu'on lève la tête. La portière claque et me fait sursauter puis la main de mon père apparaît sous mes yeux. Je récupère la bouteille de Powerade qu'il me tend en marmonnant un merci approximatif alors qu'il rallume déjà le contact pour quitter le parking.

— Je peux savoir comment tu comptes t'y prendre maintenant que tu as perdu ta place dans l'équipe ? s'informe-t-il d'un ton faussement calme.

— Je ne l'ai pas perdue, j'ai été évincé du tournoi.

— Ne joue pas sur les mots ! Ce championnat était la dernière compétition de l'année.

— Ça change quoi ? Je n'ai pas de bourse et gagner ou non n'aurait rien solutionné.

— Tu te trompes ! gronde-t-il en serrant les doigts sur le volant. Le proviseur nous a informé ta mère et moi qu'un sélectionneur sera présent lors de la finale. Tu aurais pu avoir tes chances pour mieux que l'équipe universitaire.

Merde !

J'avale les paroles de mon père en même temps qu'une gorgée de ma boisson. J'ai définitivement tout fichu en l'air.

— Murray m'a interdit de jouer, tenté-je de me défendre.

— Évidemment ! Tu as tabassé l'un de tes coéquipiers. Bon sang, pourquoi tu as agi aussi inconsciemment ?

— C'est un connard, il le méritait.

— Probablement, mais est-ce que ça en valait vraiment la peine ?

— Pour moi, oui ! Et je le referais sans hésiter.

— Cesse d'être idiot ! tempête-t-il en tapant sa paume contre le volant. Tu n'as pas d'équipe ni de place à l'université, alors dis-moi, toi qui te crois plus malin que les autres, tu vas faire quoi l'année prochaine ?

— J'en sais rien ! me braqué-je en reprenant ma contemplation de la route. Je n'ai pas envie d'y penser pour le moment.

— Et bien il va falloir pourtant ! Il ne te reste plus énormément de temps devant toi pour savoir ce que tu vas faire de ton avenir.

— Je n'ai pas besoin de jouer, regarde-toi, tu étais dans l'équipe et pourtant tu es chef d'une entreprise de rénovations.

— C'est ce que je voulais ! Toi, tu rêves d'être footballeur depuis que tu sais marcher, Will. Arrête de faire le sourd de cette façon.

Je soupire mais reste muet, je n'ai rien à dire. Je sais qu'il a raison et que mes tentatives d'atténuer la situation resteront vaines. J'essaie simplement d'y penser le moins possible. J'allume l'autoradio et laisse s'élever la musique de la première station que je parviens à capter. Ainsi, il comprend bien que cette conversation est terminée et que je ne veux plus qu'on aborde le sujet pour l'instant. Ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour une telle discussion.

— Est-ce que la situation dans laquelle tu t'es mis à un rapport de près ou de loin avec Angelo ?

Je lui lance un regard noir qu'il ne distingue pas puisque son attention est fixée sur la route.

— Bien sûr ! m'emporté-je. C'est à cause de ce connard de Carter qu'il a failli mourir !

— Es-tu bien certain de ça ?

— Ça veut dire quoi ?

— Tu ne penses pas qu'il aurait fini par en arriver là avec ou sans les propos de Noah ?

J'y ai songé un nombre incalculable de fois et oui, c'est certain qu'il en aurait été capable avec toute la misère dont il a été victime mais Carter n'a fait qu'accélérer le processus. Il est coupable. Angelo a toujours été instable, mais sans les agissements de Noah, j'aurais pu déceler des signes ou peut-être anticiper cette situation et faire en sorte qu'elle ne se produise jamais. C'est ce dont j'essaie – tant bien que mal – de me persuader depuis des mois.

— Il était dans les toilettes avec lui et je l'ai retrouvé en sang et presque éteint sur un carrelage crasseux ! Savoir si oui ou non Angelo serait passé à l'acte ne changera rien pour moi, papa. Carter était là, il a agi comme un connard et tu connais la suite ! Il est responsable de ce qu'Angelo a fait ce jour là.

Il soupire et secoue la tête avant de me lancer un coup d'œil rapide.

— Écoute, Will, j'aime beaucoup Angelo et je suis peiné pour lui et sa petite sœur. Ils ont traversé des épreuves épouvantables pour leur âge et malheureusement, ils en verront sûrement d'autres, mais je pense que cette relation est néfaste pour toi.

La colère m'envahit. Elle commence d'abord par me titiller le bout des doigts jusqu'à se répandre à la vitesse de la lumière entre les parois de mon crâne. Je serre les poings sur le tissu en coton de mon jogging, à tel point que les plaies sur mes phalanges s'étirent et sanguinolent légèrement.

— Ça ne regarde que moi ! éructé-je. Je n'autorise personne à donner son avis sur mon couple, surtout si c'est pour le pourrir ! Angelo est malade et imprévisible, mais il est aussi ce qui compte le plus à mes yeux !

— Je n'ai pas prétendu le contraire, j'énonce simplement les faits. Cette histoire est problématique et Angelo te fait du mal, même si ce n'est pas toujours volontaire.

— C'est faux ! Il ne va pas bien et c'est ça qui me fait du mal ! N'émets pas un tel jugement, tu n'as pas le droit. Il fait ce qu'il peut ! Son père est mort, sa mère est héroïnomane et il est malade mental, alors tu t'attends à quoi ? Il s'est fait interner pour tenter d'aller mieux, et entre autre, essayer d'alléger les tensions entre nous. Il est fort et courageux, tu crois que tu serais plus docile à sa place ? Comment veux-tu qu'il soit en paix avec la vie qu'il a ? Je l'aime comme il est, et je me moque que notre relation soit problématique ou pas, et puis, c'est pas un peu fort comme mot ? Personne ne peut me dire quoi faire de tout façon ! Parce que je ne ferai que ce que mon cœur me dit, et mon cœur, c'est lui !

— Je ne t'ai pas dit quoi faire, soupire-t-il, je te donne mon avis, voilà tout.

— Je n'en veux pas ! conclus-je brusquement.

J'augmente le son de la radio, le corps crispé et les doigts tremblants. Je désire le calme, qu'on arrête de me prendre la tête. Quoique les gens pensent, Angelo restera ma priorité. Je sais que notre couple déplaît à certaines personnes et que d'autres le trouvent malsain et c'est vrai qu'il l'est parfois, on s'aime trop et sûrement mal, mais je me moque de ce qui peut se dire. Je refuse d'entendre les critiques ou jugements extérieurs et pour ça, je resterai buté. Ça ne concerne que lui et moi.

Le reste du trajet se fait silencieusement. Je soupire parfois en retenant les larmes qui me brûlent les yeux. Je fixe l'écran de mon téléphone assez régulièrement pour voir si un message m'attend, mais rien n'apparait et mon cœur se serre un peu plus à chaque constatation laborieuse. C'est son jour et je ne peux pas l'étreindre pour lui murmurer comme je l'adore.

Une fois à la maison, ma mère m'accueille en embrassant ma joue et ne fait aucun commentaire. Elle me sourit tendrement, je sais qu'elle me comprend. Elle l'a toujours fait. Souvent, je regrette de ne pas m'ouvrir davantage.

Je me débarrasse de mon sac de voyage dans l'entrée et pars directement dans ma chambre. Je ne veux pas m'attarder sous risque que mon père reprenne là où on s'est arrêté. Je me couvre le visage d'un bras en expirant de frustration après m'être jeté sur le lit. Mon téléphone reste muet. La journée est déjà bien avancée et je n'ai toujours aucune nouvelle d'Angelo. Les minutes sont longues et ma peine augmente à mesure qu'elles défilent. Je me tourne sur le matelas et enfouie la tête dans l'oreiller. Celui d'Angelo. Je tente de respirer son odeur mais elle a disparue. C'était prévisible, ça fait quarante-deux nuits qu'il n'a pas dormi dans ce lit. Être chez moi m'apaise un peu, je dois l'admettre. J'étais supposé rester avec les Lions jusqu'à la fin du championnat mais j'ai insisté pour que mon père vienne me chercher. Être sur place sans pouvoir jouer aurait été un supplice. Le temps se serait écoulé trop lentement et mon agacement n'aurait fait que se décupler. Murray n'était définitivement pas content et je vais avoir droit à un bon remontage de bretelles par le proviseur, mais ça aussi je m'en fiche. J'ai déjà tout fait foirer, rien ne pourrait être pire.

Ça me rassure d'être à nouveau près de l'hôpital psychiatrique bien que je n'ai pas l'autorisation d'y aller. Angelo m'en veut, il m'a hurlé dessus lors de notre dernier appel, après s'être assuré que j'allais bien. Et le fait qu'il ne me donne pas signe de vie depuis me prouve qu'il me déteste encore. Après tout, je le comprends. Il a pris la décision de son internement pour que je puisse participer au tournoi l'esprit tranquille et j'ai tout gâché. Je me rappelle ses propos et mon corps frissonne de désespoir. Je lui ai écrit plusieurs fois, trop sûrement, mais jamais je n'ai eu de réponse. Ne pas savoir s'il va bien me rend malade, mais je tente de me rassurer en me disant que si quelque chose n'allait pas, sa psychiatre aurait prévenu Simona et je serais au courant également. Pendant mon absence, j'ai eu plusieurs rendez-vous téléphoniques avec une psychologue. C'était une décision personnelle et je dois admettre que ça me fait du bien. Après nos échanges, je me sens plus léger, un peu plus calme et j'ai l'impression que mes pensées se remettent en ordre. Malheureusement, l'effet n'est pas assez long à mon goût, tout revient très vite et me donne de nouveau mal à la tête.

La porte de ma chambre s'ouvre, je ne prends pas la peine de me retourner. Le petit corps de Jude atterrit sur mon dos alors qu'il me saute dessus en poussant un cri de joie.

— Willy ! Enfin, tu es rentré, s'exclame-t-il en enroulant ses bras autour de moi.

— Salut, champion, soufflé-je en pivotant pour me retrouver dos au matelas.

Je le serre contre moi alors qu'il sourit pour me montrer qu'il a perdu une dent.

— Tu m'as manqué, murmuré-je en ébouriffant ses cheveux.

— Toi aussi, on va pouvoir jouer ensemble !

— On le fera mais pas maintenant. Je vais dormir un peu.

— Aux voitures ?

— On jouera à ce que tu veux.

— Pendant une heure ?

— Deux, même.

Ouiii, s'exclame-t-il en se relevant, un sourire merveilleux sur les lèvres.

Il sautille dans tous les sens et lève les bras en criant de bonheur. Il ne lui faut vraiment pas grand-chose pour être heureux. Parfois cette époque insouciante et légère me manque. Pour me satisfaire dans l'instant, il me faudrait les bras striés d'un beau blond aux iris sombres. Juste sentir son odeur ou entendre sa voix me suffirait. Admirer ses longs cils qui balaient ses pommettes quand ses yeux se ferment. Ressentir son souffle caresser mon visage, ses doigts trainer sur ma peau et les miens glisser entre ses boucles indomptables.

— Tu me raconteras tes matchs ?

Je cligne plusieurs fois des paupières pour me recentrer sur mon frère qui a enfin cessé de bondir aux quatre coins de la chambre. Je lui souris même si finalement j'ai envie de pleurer, hurler et me rouler en boule pour qu'on m'oublie.

— Oui, bien sûr.

Par moments, je me dis que je n'ai jamais tant versé de larmes que depuis qu'Angelo fait partie de ma vie. Je me trouve minable pour ça, mais comment soulager un cœur qui aime en souffrant ? Question existentielle, réponse inexistante. Mon téléphone vibre sur le lit et accapare désormais toute mon attention. Mon cœur bat trop fort, j'ai peur de regarder qui est l'émetteur de cet appel.

— File, Judy, je te rejoins plus tard pour jouer, articulé-je sans lâcher l'appareil des yeux.

Il râle et quitte la pièce en prenant le soin de fermer la porte. Un long soupir de soulagement quitte mes lèvres quand je tourne enfin le téléphone et que son visage apparaît sur l'écran.

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