Chapitre 32 :

16 minutes de lecture

Angelo DeNil :

— Je m'appelle Angelo DeNil, j'ai dix-huit ans, je suis bipolaire, énuméré-je en observant le cercle de personnes autour de moi. Sérieusement, je suis obligé de dire ça à chaque fois ?

L'attention de Jacob, le psychologue, se pose sur moi, un rictus hypocrite se dessine sur ses lèvres gercées tandis qu'il hoche la tête. Je suis debout au milieu de la salle, tous les regards sont braqués sur moi, je déteste ça.

— Ça fait partie du processus d'acceptation. Il faut le répéter régulièrement pour que cela devienne un sujet sans tabou.

— Ça fait presque trois mois qu'on assiste tous les jours à ces réunions débiles, bougonné-je en reprenant place sur ma chaise.

— J'en connais un qui ne s'est pas levé du bon pied ce matin, s'amuse Davis en tournant la tête dans ma direction.

— C'est de la merde ce truc ! Tout le monde ici sait que je suis bipolaire, que tu as des T.O.C. et qu'elle là-bas, elle est suicidaire.

— Angelo, s'offusque le psy, ce ne sont pas des manières ! Ton insolence n'a pas sa place ici.

— Ah oui ? ricané-je. Pourtant c'est l'une des conséquences de ma maladie. Renseignez-vous, ou retournez en école de médecine, doc.

J'ignore le regard noir qui me transperce lorsque je remarque que la fille que j'ai désigné est en train de pleurer. Je n'éprouve aucune peine pour elle. On a tous nos problèmes et être ici en est une preuve incontestable.

Le centre ne me déplaît pas vraiment, c'est un bon établissement mais ces réunions m'emmerdent à un point inimaginable. On passe des heures à parler de nos troubles, à les expliquer pour tenter de les comprendre. Comme si j'avais besoin de ça pour savoir que ça ne tourne pas toujours rond dans ma tête. Depuis ce début de semaine, le temps semble s'être suspendu. Toutes mes pensées sont dirigées vers Will et rien n'arrive à alléger mon manque de sa présence.

— Notre père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, psalmodie une rouquine en se balançant d'avant en arrière sur sa chaise.

— Bordel, maintenant elle se met à prier ! halluciné-je.

— Notre père, qui es aux cieux, que ton nom soit...

— On aura tout vu, tout entendu ! s'exclame Davis en ricanant.

— Eh, sœur Judith, tu ne veux pas aller invoquer le Tout-Puissant ailleurs ? Tu risques d'être déçue en comprenant qu'il n'existe que dans ta tête.

— Blasphème ! crie-t-elle en sautant sur ses pieds. Notre père, qui es aux cieux...

Je suis partagé entre l'envie de lui hurler dessus ou d'éclater de rire. Malgré les apparences, je ne dénigre pas ses croyances, si prier l'apaise grand bien lui fasse mais ce n'est pas l'endroit pour une telle pratique. Comment peut-elle réciter des paroles pieuses devant un type qui ne sait plus qui il est quand il est en crise, un autre qui devient fou à la simple vision d'un crayon posé de travers sur une table ou encore un pyromane ? La religion n'a pas vraiment sa place ici. D'ailleurs, je suis tenté de demander au taré du briquet s'il a déjà foutu le feu à une église, juste par provocation, mais ce serait trop déplacé, même venant de moi. Jacob rejoint Judith et pose une main sur son épaule. Les yeux verts de la rouquine rencontrent ceux du psy et son visage s'adoucit comme si sa simple présence la calmait.

— On va t'isoler pour que tu puisses finir ta prière. Suis-moi.

Sans demander son reste, Judith sort de la pièce avec le médecin qui pense m'intimider en me toisant lorsqu'il passe près de moi. Un silence à veiller les morts s'installe dans la salle, je détaille chaque personne présente en retenant un soupir.

— Tu y es allé fort, s'amuse Davis.

— Ça te pose problème ?

— Pas du tout, vieux, détends-toi.

Il ricane et se laisse choir contre le dossier de sa chaise pour se relever très vite, les traits tirés et le corps tendu. Je l'observe tandis qu'il se dépêche de replacer correctement le siège vide de Judith en secouant la tête violemment et murmurant des propos incompréhensibles.

— Vraiment tous fêlés, soupiré-je pour moi-même.

Je pose la main sur la poche de mon jean, là où se cache mon téléphone dont j'ai l'interdiction de me servir lors des réunions. L'envie d'appeler Will me submerge, ça fait une semaine que je n'ai pas entendu le timbre chaud de sa voix. Parfois, je rêve de lui lorsque je trouve enfin le sommeil, ça me fait un bien fou. La porte s'ouvre sur Jacob qui arbore une mine renfrognée. Il doit en avoir ras le bol de nous et je le comprends, moi-même je ne me supporte pas toujours. Il s'immobilise face à moi, sourcils froncés et poings sur les hanches.

— Tu peux sortir, tu as de la visite, m'informe-t-il, avant de rejoindre Davis qui continue de geindre pour une chaise déplacée d'un centimètre.

Je quitte la salle d'un pas rapide en espérant que Will m'attende dans la chambre. Chaque fois qu'on m'informe d'une visite, c'est lui que je désire retrouver mais ce n'est évidemment jamais le cas. C'est moi qui refuse sa venue, et je m'en mords les doigts en sachant pourtant que c'est ce qu'il y a de mieux pour nous. Dans les couloirs, je m'autorise enfin à lire le dernier message qu'il m'a envoyé.

Sms de WillLeMagnifique à Angel :

Les gars sont revenus de Milwaukee, on a passé la soirée chez Mona avec Loli. J'espère que tu ne m'en voudras pas mais j'ai piqué les clés de chez toi pour dormir dans ton lit.

Je souris à l'écran en refoulant la douleur qui assaille mon cœur en manque. Je suis soulagé que ma sœur et lui se voient régulièrement. Loli doit se sentir moins seule quand il est là, même si je suis certain que Simona s'occupe parfaitement d'elle.

J'entre dans la chambre qui m'a été attribuée au début de mon séjour, et m'interroge en la découvrant vide. Je m'assois sur le lit et fixe le mur qui me fait face. Ils ont tenté de mettre de la couleur dans les chambres, sûrement pour ne pas qu'on se sente comme des criminels en cellule mais c'est loupé. Deux pans sont verts tandis que les deux autres sont oranges, c'est absolument immonde.

Je m'étends sur le matelas en soupirant. Les minutes passent et je me demande si je ne devrais pas me rendre dans la salle commune où se déroulent habituellement certaines visites. La porte qui s'ouvre enfin met fin à mes interrogations. Je me redresse lentement, mon cœur s'emballe atrocement lorsque je croise le regard bleu posé sur moi. Ma gorge se noue, l'envie de pleurer me brûle les yeux. Mes doigts tremblent, ma vision se trouble, je peine subitement à respirer. Je devrais me lever et m'approcher pour me perdre dans une étreinte trop serrée mais je suis paralysé.

Maman.

— Bonjour... Je suis heureuse de te voir.

Je reste muet, tentant vainement de dompter les sentiments qui s'entrechoquent brutalement en moi. Elle prend place sur le matelas et instinctivement, je lève la main pour caresser sa joue.

— Maman..., murmuré-je la voix brisée, ne sachant plus retenir mes larmes. Que fais-tu là ?

Elle sourit et attrape mes doigts qu'elle entremêle aux siens.

— On m'a accordé une permission à condition que Rodrigue et un infirmier m'accompagnent.

J'acquiesce, étant dans l'incapacité de parler.

— Ils attendent dans le couloir, je voulais te voir sans qu'on nous écoute discuter.

J'opine une seconde fois et détaille son visage de mes yeux larmoyants. Les photos que j'aie vues d'elle ne sont pas la copie conforme de ce que je vois dans l'instant. Elle a meilleure mine que sur l'écran du téléphone de Rodrigue. Sa peau n'est plus aussi pâle que dans mes souvenirs. Ses joues ont de jolies couleurs, ses iris semblent avoir retrouvé l'éclat de vie qu'elle avait égaré pendant un long moment, et si je ne m'abuse, elle a également repris du poids. Ses longs cheveux blonds sont lisses et regroupés en une queue-de-cheval sur le dessus de sa tête, elle paraît rajeunie de quelques années.

— Tu es très jolie, maman, vraiment très belle.

Elle serre davantage mes doigts et incline la tête.

— J'ai droit à un câlin ? s'enquiert-elle en souriant.

Je la serre fort contre moi tout en pleurant à chaudes larmes. Mon cœur a visiblement retrouvé un semblant de paix puisqu'il bat convenablement et mes sanglots ne sont pas des pleurs de tristesse ni de chagrin, juste un surplus d'émotions mêlant soulagement, joie et tranquillité. Elle m'enlace avec beaucoup de force également, sa tête nichée dans le creux de mon cou. Elle sent bon, une odeur de fleurs que je ne saurais définir. C'est doux et agréable.

Lorsqu'elle s'éloigne, je peux remarquer l'humidité sur sa peau et je comprends que mes sentiments sont réciproques.

— Je suis terriblement désolée, mon Lolo, chuchote-t-elle en baissant la tête. J'ai tellement honte pour tout ce que je vous ai fait endurer. Je suis une si mauvaise mère.

Je récupère son visage entre mes mains pour ancrer mon regard au sien. Elle me fait beaucoup de peine. Je lui en veux énormément, mais la voir ainsi me fait mal au cœur.

— Tu n'es pas une mauvaise mère, enfin, tu ne l'as pas toujours été. On a tous souffert après la mort de papa, mais ce n'était pas à moi d'assumer tes erreurs ni les conséquences de sa disparition, articulé-je calmement, sans la moindre agressivité dans la voix.

— Il me manque si fort, sanglote-t-elle. Depuis qu'il n'est plus là, je suis perdue et je me sens si seule. J'oubliais son absence quand j'étais... droguée et la douleur était moins entêtante.

Je ferme les paupières pour digérer les mots meurtris qu'elle prononce. J'avais déjà parfaitement conscience de cette vérité mais l'entendre est douloureux.

— Tu as été très courageux, mon chéri, je suis fière de toi, continue-t-elle.

Mon corps se tend et j'ouvre brusquement les yeux. Si la souffrance me tiraille encore, cette dernière remarque me fait trembler de colère. Je suis soulagé de la voir mais je la déteste pour tout ce qu'elle nous a fait vivre.

— Je n'aurais pas dû, ce n'était pas mon rôle. Que tu sois fière ou désolée ne change rien à la situation. Moi aussi j'avais mal. J'ai mal. Et pourtant, je n'ai pas eu le choix que de me débrouiller seul. Je n'ai pas pu faire le deuil de papa parce que je devais m'occuper de toi et de Lolita. Tu n'avais pas le droit de me faire ça ! Tu as été odieuse et m'en as foutu plein la gueule pendant des années alors que j'ai toujours fait mon possible pour gérer une famille bancale en étant moi-même encore plus bancal !

— Je le sais, renifle-t-elle, pardonne-moi.

— Tu vas mieux maintenant ?

— Je crois, oui.

— Tu as encore envie de te piquer ? m'enquiers-je en grimaçant de dégoût.

Son visage se ferme. Elle a un mouvement de recul face à ma véhémence puis fronce les sourcils, visiblement hésitante.

— J'en ressens encore le besoin, mais cette fois, je vais résister. Je te le promets, pour Loli et toi.

— Pourquoi devrais-je te croire ?

— Laisse-moi faire mes preuves. Je comprends ta colère, mais je vais me rattraper.

Je me redresse et m'éloigne du lit jusqu'à m'adosser contre le mur, un regard sévère rivé dans sa direction.

— Tu ne peux pas rattraper les cinq années passées, encore moins me les faire oublier, m'emporté-je. J'ai absolument tout fait ! J'ai bordé Loli avant qu'elle s'endorme, je l'ai éduquée en m'éduquant encore. J'ai fait la bouffe, les lessives, les vaisselles, j'ai nettoyé ton bordel, ta gerbe, parfois même tes excréments et urines. J'ai passé des heures à gérer les devoirs de Lolita pour ensuite faire les miens en pleine nuit parce que j'étais trop occupé en sortant des cours. J'ai fait les courses, géré l'argent de la maison, tout en me battant pour ne pas complètement sombrer et le pire c'est que je l'ai fait plus d'une fois. J'ai subi et j'ai encaissé, je me suis débrouillé pour mes médicaments et j'ai fait la misère à ma poupée à chacune de mes crises. Je me suis fait du mal et j'ai failli crever. J'ai voulu crever ! Je suis resté deux semaines à l'hôpital, dix jours dans le coma et t'étais pas là, maman ! Loli était là, Rose aussi, Mona ne m'a jamais laissé tomber et mon soleil non plus. Il était à mon chevet jours et nuits. Mon Willy était là, et tu sais quoi ? Ses parents aussi, ses amis, et toi non ! Ma mère n'était pas là !

Je termine à bout de souffle, le cœur dans un étau mais je ne pleure pas. Je suis trop en colère pour verser une larme de plus. Bérénice me fixe d'un regard morne, le visage livide et désolé.

— Je me souviens de lui, je l'ai vu dans mes rêves ou alors peut-être qu'il est apparu entre mes divagations. Je me souviens l'avoir vu, il était debout devant moi et il me parlait.

Je hausse un sourcil interrogatif, je ne comprends pas ce qu'elle tente de me dire.

— Qui ?

Ton soleil...

— C'est Will, rectifié-je d'une voix grave. Tu as fait une crise quand tu l'as vu à la maison la première fois, ensuite tu n'as plus jamais fait attention à lui ! Il mérite qu'on lui porte de l'intérêt, il mérite que ma mère l'apprécie parce qu'il est ce qui m'est arrivé de mieux, tu comprends ? William est ce qu'il y a de plus doux dans ma putain de vie !

— Je suis épris de lui, comme s'il grouillait partout sous ma peau. Il m'a ensorcelé, je crois. Je suis fasciné par sa personne, accro à son odeur. Si vous êtes dépendante à l'héroïne, il est ma plus grande obsession. Est-ce normal, d'après vous, d'aimer au point de ne plus savoir penser ? murmure-t-elle comme si elle récitait un texte.

— Quoi ?

— Will, c'est ce qu'il me disait cette nuit là... ça a résonné pendant des jours dans ma tête au point de ne plus l'oublier.

Oh, mon amour, quand as-tu eu l'occasion de lui dire tout ça ?

— Si tu te souviens mot pour mot de ce que Will a dit, alors tu te souviens probablement de tout ce que t'as fait ? pesté-je. Les cendriers et assiettes balancés dans le salon ? Les coups que je me suis pris dans la gueule et la foutue bouteille que tu m'as explosée au visage le jour de ton départ pour la cure. Tu t'en souviens de toute cette merde ou ça, tu as préféré l'oublier ?

— Je me rappelle de certaines choses, bredouille-t-elle lamentablement. Et j'en suis sincèrement désolée. Je sais que je vous ai causé énormément de torts et je le regrette. J'ai été horrible avec vous, surtout avec toi.

Un ruissellement de larmes dévale ses joues et mon cœur se serre. Je me sens mal à l'idée de la rendre triste mais un défilement de mauvais souvenirs se dessine sous mes yeux, tel un film sans couleur sur une cassette usée par la détresse de nos sentiments. Je revis chaque minute de mon enfer, au point de ne plus savoir penser convenablement. Les images se suivent et se ressemblent, suis-je en sécurité ou une fois de plus, enfermé dans cette boucle infernale ?

— Comment tu l'as rencontré ?

Sa voix me fait sursauter et pour la première fois depuis des années, elle m'extirpe de ma léthargie. Je soupire et passe une main lasse sur mon visage pour effacer les bribes de mon désespoir. D'un pas traînant, je repars m'asseoir près d'elle. Sa paume se pose sur ma cuisse, je récupère sa main pour entrelacer ses doigts.

— On est dans le même lycée mais c'est un accident de car qui nous a fait nous côtoyer. On est resté perdu en forêt pendant presque deux semaines, j'étais persuadé que nous allions mourir mais Will était là et même si au début je le haïssais, il m'a donné la force de ne pas abandonner. C'était compliqué et ça l'est encore, mais désormais, je l'aime plus que ma propre vie, avoué-je en fixant nos mains liées.

— Je me souviens de ma réaction quand tu es rentré à la maison. Je n'avais pas compris que tu n'étais pas là à cause de ça, je pensais que tu nous avais abandonnées.

— Je m'en rappelle, cinglé-je, mon cerveau défaille mais ma mémoire va parfaitement bien.

Elle lève la tête, son regard me brûle la peau. De sa main libre, elle vient caresser ma joue.

— Ton père et moi avons fait un très beau garçon, et je suis certaine que Loli est magnifique.

— Elle l'est, plus encore, c'est une des merveilles de ce monde.

— Je n'ai pas encore le droit de la voir, souffle-t-elle avec déception. Ils ont accepté que je te rende visite puisque tu as atteint la majorité.

— Je vois... Pour quand est prévue ta sortie ?

— Je ne sais pas encore, mais pas avant plusieurs mois, je pense.

— On pourra venir te voir ?

— Je suppose que oui, mais il me faut faire davantage d'efforts pour qu'ils acceptent.

— J'imagine.

Quelques coups sont frappés contre la porte qui s'ouvre sur mon oncle et son éternel costume gris anthracite. Il me sourit, je lui réponds par un simple mouvement de tête.

— Tu vas devoir y aller, Berry, déclare-t-il en posant une main amicale sur l'épaule de ma mère.

Elle soupire et acquiesce en se redressant. Sa main tendue vers moi m'invite à la rejoindre. Ses paumes englobent mon visage, elle dépose un énorme baiser près de la commissure de mes lèvres.

— Prends soin de toi, mon ange, souffle-t-elle en retenant ses larmes.

— Je ne risque rien ici, je n'ai même pas de couteau pour manger.

Elle sourit mais son regard est troublé d'un voile de tristesse.

— Je t'aime, murmure-t-elle en apposant son front contre le mien.

Je déglutis, ferme les paupières un instant pour retenir mes larmes.

— Moi aussi, maman, réponds-je la gorge nouée.

Après une étreinte et un dernier baiser elle quitte la chambre à regret. Je l'observe s'éloigner et une fois la porte refermée derrière elle, je m'autorise à pleurer en me laissant choir sur le lit. Je couvre mon visage de mes paumes et tente de ne pas me préoccuper de Rodrigue. Le matelas s'affaisse, je sens sa présence à mes côtés. Son regard me transperce, je le ressens sans oser le défier.

— Comment te sens-tu ?

— J'en sais rien, lâché-je en découvrant mon visage, les yeux rivés au plafond.

— Elle va mieux.

— C'est vrai, mais rien n'est gagné.

— Elle a fait de gros progrès, c'est un énorme pas en avant.

— Je le sais et je suis heureux pour elle, mais ça n'efface rien du tout.

— Évidemment, mais il est temps de laisser à hier ce qui appartient à hier. Vous êtes en bonne voie pour repartir sur de bonnes bases.

Un lourd silence s'installe, comme souvent, lorsqu'on se retrouve seuls dans la même pièce. Je ne sais jamais quoi dire et lui ignore comment se comporter. Je clos les paupières et tente de sentir la présence de Will. J'aimerais pouvoir me cacher dans ses bras pour me laisser aller à ma douleur. Ses câlins sont l'unique chose qui m'apaise quand je suis si déboussolé. Il n'y a que contre lui que je n'ai pas honte de pleurer, il est le seul à pouvoir m'apporter la paix. Dans mon esprit parfois défaillant, je me suis façonné un monde où il n'existe que nous et notre amour inconditionnel. Il joue au foot et je l'admire sans jamais m'en lasser. Je contemple son corps aux muscles bandés, sa peau luisante de transpiration et j'écoute sa respiration saccadée par l'effort comme une mélodie divine. Si souvent cela me calme, aujourd'hui, mon cœur s'emballe d'une étrange façon. Mon amour ne jouera pas l'année prochaine, il a laissé passer sa chance et je m'en veux énormément. Si je n'étais pas entré dans sa vie, son avenir serait intact et il serait voué à briller tel le soleil qu'il a toujours été. J'aimerais pouvoir changer le cours des événements, lui offrir l'opportunité de réparer nos erreurs. J'aurais voulu l'aimer dans d'autres circonstances, avec moins de douleurs et d'ennuis, mais finalement, c'est tout ce que nous avons parcourus, main dans la main, qui fait que notre amour est si grand, si fort et indestructible. Si parfois il m'arrive de regretter les derniers mois qui se sont écoulés, je finis par réaliser que chaque épreuve traversée était écrite pour que nous puissions nous adorer sans aucune limite.

— Rodrigue, lâché-je après un long silence, j'ai une question à te poser.

Je ne suis pas certain de ce que je suis en train de faire, mais j'aimerais tout de même tenter ma chance. Je méprise mon oncle pour ce qu'il a fait, mais désormais, il s'évertue à vouloir faire partie de nos vies alors peut-être qu'il serait capable de me rendre un dernier service.

— Je t'écoute, fiston.

Fiston. Un frisson désagréable me parcourt mais je parviens à l'ignorer.

— Penses-tu que l'avenir de Will est fichu ?

Je m'installe contre la tête de lit pour pouvoir l'observer. Il semble réfléchir un moment, se gratte le menton puis le front.

— En passant par le lycée, ça risque d'être ardu. Il pourra probablement terminer son année avec une lettre de recommandation mais pas avec une bourse d'études, pas après tous les soucis qu'il a eus ces derniers temps.

Il fait une pause durant laquelle il m'examine d'un air indéchiffrable.

— Mais, reprend-il, sa place à l'université est toujours vacante. C'est encore envisageable s'il trouve les fonds pour les frais d'inscriptions et le premier semestre. Ça nous laissera le temps d'aviser pour la suite.

— Il n'a pas cet argent. Ses parents vivent convenablement mais n'ont pas suffisamment de moyens pour regrouper une telle somme, et on est d'accord que de mon côté, je ne peux pas l'aider même si l'envie de le faire ne me quitte pas. Je ne veux pas qu'il tire un trait sur sa carrière parce qu'il a fait la bêtise de m'aimer, me plains-je en serrant douloureusement les paupières.

— J'ai la solution, dit-il de but en blanc. Je peux résoudre son problème et c'est avec plaisir que je le ferais, mais seulement si tu m'accordes une faveur...

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