Chapitre 33, partie 1 :

7 minutes de lecture

Angelo DeNil :

Le regard rivé sur le ciel, j'observe les nuages qui dansent sur une étendue d'un bleu semblable aux yeux de l'amour de ma vie. Il fut un temps, cette pensée m'aurait donné la nausée, désormais, je la chéris. Je me sens léger ce matin et me moque bien de ce que les gens peuvent penser en me voyant allongé sur l'herbe dans le parc d'un hôpital psychiatrique. Je détaille les formes cotonneuses et cite les choses auxquelles elles me font penser. L'un des nuages ressemble à un lapin, un autre – plus ou moins – à une balancelle et en l'observant, j'admire avec lui les bribes d'un moment passé avec Will. J'entends son rire et le mien qui n'en forment qu'un alors qu'il me pousse sur la balançoire de l'aire de jeu abandonnée. Je vois sa joie et son amour qui brillent dans ses yeux avant que ne reviennent les doutes et la peur. Mon imagination m'aide un peu, en fixant plusieurs secondes ce voile blanc, je réalise qu'il n'a absolument pas l'aspect de ce jeu pour enfants, à moins peut-être que la forme se soit déjà totalement dissipée.

Ça fait maintenant deux semaines que les paroles de mon oncle tournent en boucle dans mon esprit. Il m'a déposé l'avenir de Will entre les mains et j'ignore quoi en faire. La faveur qu'il m'a demandé n'est pas si atroce mais je ne sais pas si je serais capable d'accepter. Il joue avec mes sentiments, il sait parfaitement que si je refuse, mon amour pourra tirer un trait sur l'université, et que si j'accepte, c'est lui qui aura la satisfaction d'avoir atteint son but.

Je ne sais pas.

Je ne sais plus...

Depuis que Will est allé le trouver pour qu'il s'immisce dans nos vies, Rodrigue fait tout pour nous aider sans même l'ombre d'une hésitation. Je pense qu'il ne joue pas et qu'il souhaite réellement renouer des liens, mais comment passer au-dessus de tant d'années de silence et d'ignorance ?

Une ombre se propage au-dessus de ma tête. Je plisse les yeux pour voir qui vient chasser mon soleil. Davis est là, un sourire espiègle sur ses lèvres étonnamment rouges. Il m'observe, un sourcil haussé. J'aimerais lui dire de partir pour qu'il me laisse en paix avec mes pensées, mais même s'il est étrange, j'ai appris à l'apprécier. Nous sommes tous un peu dérangés dans ce centre, je ne suis personne pour juger.

— Qu'est-ce que tu fous allongé par terre ?

— Je rassemble mes idées pour être en phase avec moi-même.

Il incline la tête tandis que je force sur ma nuque pour le regarder. Ses pieds sont de chaque côté de mon crâne, même s'il est plus petit que moi, je me sens insignifiant lorsqu'il me surplombe ainsi.

— Dans le langage courant, ça veut dire quoi ?

— Je parle au ciel et j'attends qu'il me réponde, pouffé-je.

— T'es trop bizarre, toi. Je peux t'accompagner ?

L'ombre disparaît alors que Davis prend place à mes côtés avant que je ne lui donne mon approbation. J'attends qu'il s'étende pour analyser son profil. Si ses traits sont fins et presque féminins, son nez légèrement bossu durcit son visage et crée un contraste étonnant.

— Comment tu fais ? C'est horrible de fixer le soleil, se plaint-il en cachant ses yeux de son bras.

— Je regarde les nuages, crétin !

— Où est le plaisir là-dedans ?

— Je trouve ça apaisant. Parfois, ils me font penser à des moments que j'ai passé avec mon copain. Ça allège le poids de son absence.

— Euh... la seule chose que je remarque, moi, c'est un tas de gros trucs blancs qui gigotent.

— Tu ne sais pas te servir de ton imagination, je trouve ça désespérant, soupiré-je.

— Il te répond ?

— Qui ?

— Le ciel. Quand tu lui parles, il te répond ?

Je réfléchis à sa question en suivant des yeux un nuage qui prend l'apparence d'une voiture, enfin à peu près.

— Étant donné que j'ai déjà Ombre et Lumière qui discutent parfois dans ma tête, je ne sais pas trop si le ciel se met à me parler.

Je sens son regard gris se poser sur moi. Du coin de l'œil, je peux remarquer ses sourcils parfaitement épilés se froncer.

— Tu dis ça à tous les gens que tu croises ?

— Non, mais ici nous sommes tous égaux. Je t'ai vu te mettre des coups sur la tête parce que la chemise de Jacob était légèrement froissée, donc je pense que je ne suis pas le plus dérangé dans cet hôpital.

— C'est pas ma faute, geint-il, ça me rend malade. C'est plus fort que moi, je ne contrôle plus rien. C'est comme si mon cerveau disjonctait.

— Je sais bien, ce n'était pas une critique. Tu penses que je suis normal, moi ? J'ai frappé mon copain en étant en crise.

— Comment il a réagi ?

— Bien, et ça m'a rendu encore plus fou. Il ne m'a jamais reproché de lui faire du mal, enfin, pas physiquement en tout cas. Parfois, j'aimerais qu'il me dise que je suis un gros con et que je ne dois plus l'approcher.

— C'est ce que tu veux ?

— Pas du tout, j'en crèverais s'il le faisait. J'ai besoin de lui pour savoir respirer. Être ici m'apprend à le faire en étant loin de lui.

— Tu y arrives ?

— Pourquoi tu me poses tant de questions ? m'agacé-je.

— Comme ça, t'es pas forcé d'y répondre.

Je soupire en passant les doigts entre mes boucles emmêlées.

— Oui, je crois que j'y parviens. Je ne suis pas encore mort alors, même si c'est très dur et qu'il me manque atrocement, ça signifie sûrement que je peux respirer quand il n'est pas là.

Je hausse un sourcil, les lèvres entrouvertes. Mon cœur s'emballe puis s'apaise. J'ai enfin réussi.

Les interrogations de Davis m'ont fait réaliser une chose que je refusais inconsciemment de m'avouer. J'aime Will plus que tout au monde et même si être loin de lui me fait beaucoup souffrir, je n'ai pas cherché à me faire de mal depuis plus de deux mois. Au début de mon internement, j'étais ingérable. Je me faisais saigner en me cognant la tête contre les murs de ma chambre, en me griffant, ou alors, j'utilisais les livres que j'empruntais à la bibliothèque comme une arme pour me faire des bleus partout sur le corps. Penser à Will sans pouvoir le voir ni le toucher me rendait hors de contrôle, désormais lorsque son visage apparaît dans mon esprit, je me sens calme et serein. Cela signifie-t-il que j'ai évolué ? Probablement, oui. Je suis même parvenu à contrôler une crise de panique grâce aux exercices de respiration qu'on m'a appris lors des séances de sophrologie, pas plus tard qu'il y a trois jours. Will était super fier lorsque je l'ai appelé pour lui annoncer. De son côté, il me semble un peu plus léger également. Il lui arrive parfois de dormir chez moi, il affirme que ça le réconforte lorsque le manque se fait oppressant, mais à côté de ça, il rit plus souvent. Il passe du temps avec ses amis. Ils jouent au foot dans l'immense jardin de Pietro, puis ils passent leurs soirées devant un jeu vidéo et cela arrive assez fréquemment. Loli reste parfois avec eux et lorsqu'elle me rend visite, elle me raconte qu'elle perd chaque partie de Mario Kart. Elle se plaint que Pietro est un mauvais joueur, que Judas est imbattable et que Will aime l'embêter pour qu'elle finisse dernière de la course.

— T'es guéri du coup ? s'enquiert Davis, coupant court à mes pensées.

— Je pense que oui, enfin seulement en ce qui le concerne. Je suis en paix avec ce que je ressens pour lui. Je n'ai plus envie de le quitter par peur de le blesser. Je crois être capable de faire en sorte que ça n'arrive plus et j'ai réalisé que Will est suffisamment courageux pour vivre ça avec moi. Il me l'a prouvé un nombre incalculable de fois mais j'étais trop con pour l'admettre.

— L'amour me donne envie de me jeter du haut d'un toit, grimace-t-il.

— Je pensais comme toi, mais seulement parce que je n'avais pas encore rencontré la personne qui m'apporte le bonheur.

— Alors t'es heureux ?

— T'es vraiment chiant, pouffé-je, le cœur léger. Mais oui, je viens de le comprendre. La simple vue de son océan me rend heureux.

— J'ai rien compris, ricane Davis. Pourquoi tu me parles de flotte ?

— Ses yeux, ils sont si bleus, je m'y noie à chaque fois. C'est une douce torture, je ne sais plus respirer quand il me regarde mais c'est la meilleure des noyades.

— Bah merde ! C'est étonnant d'entendre un schizo sortir des choses pareilles.

— Je ne suis pas schizophrène ! me braqué-je. T'écoutes quand on te parle ou quoi ?

— Mec ! s'esclaffe-t-il. T'attends que le ciel te parle et tu entends au moins deux voix dans ta tête alors désolé, mais t'es un peu schizo sur les bords.

J'éclate de rire alors que mon poing s'abat contre son épaule.

— Va chier, connard !

Il rit bruyamment, sûrement trop fort pour que ce soit sincère, puis se lève d'un bond.

— Allez, je te laisse avec ton ciel, mes parents vont bientôt arriver.

— Ouais, salut, le toqué, m'amusé-je.

Il s'éloigne lentement alors que je prends appui sur mes coudes pour l'observer.

— La prochaine fois, s'exclame-t-il, quelques mètres plus loin, laisse Judith prier tranquillement si tu discutes avec les nuages, vieux.

Je lève mon majeur dans sa direction avant de m'étendre à nouveau sur l'herbe chaude. Je souris en visualisant le visage de Will sur cette étendue claire. Il m'admire avec tendresse, comme il le fait toujours.

— On va mieux, mon amour, murmuré-je comme s'il pouvait m'entendre. Dans trois semaines, je serai dans tes bras et mon cœur sera totalement en paix.

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0