Chapitre 33, partie 2 :
Angelo DeNil :
J'étale toutes mes affaires sur le lit, le sac vide à mes pieds. Dans quelques heures, je serai sorti d'ici, avec un esprit moins défaillant et un cœur plus léger. D'ici peu, je serai devant Will et je pourrai le serrer dans mes bras de toutes mes forces. Le pire sera derrière nous et on pourra enfin vivre pleinement notre amour.
J'ai réussi à canaliser mes démons durant ces quatre derniers mois. C'était difficile. J'ai souffert, je me suis ramassé plusieurs fois, j'ai voulu tout abandonner mais finalement, j'ai pris sur moi. J'ai joué le jeu pendant les réunions, ce qui a ravi Jacob. J'ai pris plaisir pendant les activités proposées dans le centre. J'ai fait les exercices qu'on m'a donnés, aussi chiants soient-ils, et je suis parvenu à gérer mes baisses de moral et freiner mes angoisses.
Désormais, je suis plus qu'enthousiaste à l'idée d'annoncer à Will que son problème avec l'université est réglé. J'ai passé plusieurs semaines à réfléchir à la proposition de mon oncle et j'ai fini par prendre ma décision. J'accepte qu'il fasse partie de ma vie et celle de Loli. Je suis d'accord avec le fait qu'il nous présente ses enfants et sa femme, dont il semble fier. Je suis également pour le fait qu'il nous aide financièrement comme maman l'a voulu. Elle est revenue me voir à plusieurs reprises et nous avons longuement discuté. Elle m'a assuré que papa serait heureux de constater que son petit frère tente de se repentir. J'étais sceptique au départ puis, comme un signe divin, j'ai rêvé de mon père lors d'une nuit pluvieuse. Il m'a dit que la meilleure chose à faire pour embellir nos vies est d'accepter les mains qu'on nous tend, même si parfois elles nous effraient ou nous agacent. À mon réveil, ce matin là, j'ai envoyé un message à Rodrigue en lui disant que j'acceptais sa demande. J'ai décidé de supporter sa présence plus longtemps, j'ai permis à Will d'avoir sa place à la fac et j'ai offert la possibilité à Loli d'avoir un quotidien plus doux. Peut-être qu'avec le temps, je parviendrais à apprécier mon oncle.
La porte de la chambre s'ouvre sur Davis qui arbore une mine contrariée. Nous sommes devenus amis. Après quatre mois en sa compagnie, c'était sûrement inévitable.
— Alors ça y est, tu te barres ? râle-t-il.
— Je vais retrouver ma famille, mon homme, ma maison, aussi insalubre soit-elle, acquiescé-je sans me défaire de mon sourire béat.
— Je vais passer mon temps avec qui, maintenant ?
Il se laisse tomber sur le lit, ignorant complètement mes vêtements éparpillés sur le matelas. Dans l'instant, sa contrariété doit probablement monopoliser son attention plus que ses déviances.
— Il te reste combien de temps ?
— Je sors dans un mois, si mes parents ne signent pas pour six de plus.
Je lui jette un regard désolé. Il était là avant mon arrivée et sera encore là après mon départ.
— Appelle-moi quand tu seras de sortie, on pourra déblatérer sur la forme des nuages, lui proposé-je en espérant lui donner un peu de baume au cœur.
Habituellement, je m'en serais foutu complètement mais ça fait partie des choses que j'ai apprises ici. Me sociabiliser m'aide à ne pas replonger dans mes troubles obsessionnels concernant celui que j'aime. C'est l'une des étapes de l'acceptation, et la voie vers la guérison. Ainsi, je ne me renferme plus dans l'obscurité qui encombre mon esprit malade.
— Ta moitié ne verra pas ça d'un mauvais œil ?
— Will me fait confiance et désormais, j'ai également confiance en lui.
— Tu en doutais ? s'étonne-t-il, un sourcil haussé. Après tout ce que tu m'as raconté à son sujet, je ne comprends pas pourquoi tu ne le pensais pas sincère.
— Les gens m'ont fait me poser des questions et je ne me sentais pas digne de lui, alors oui, je pensais qu'il aurait fini par vouloir quelqu'un d'autre. Nous venons de deux mondes diamétralement opposés, ça m'a effrayé pendant longtemps.
— Ce n'est plus le cas ?
— Non, réponds-je avec assurance. Personne ne pourra nous séparer, pas même les démons qui chuchotent dans ma tête.
— C'est vrai ! s'esclaffe-t-il. J'avais oublié que t'étais pas seul là-haut.
Je lui balance au visage le premier pull que je trouve alors qu'il se plaint en s'installant contre la tête de lit.
— Il doit être super heureux que tu sortes, pas comme moi.
— Il ne le sait pas ! Il pense que ma sortie est prévue pour la semaine prochaine. Et arrête de te plaindre, je t'ai dit qu'on regarderai le ciel ensemble quand tu sortiras d'ici.
— Une surprise, donc. Cool ! Tu me raconteras ?
— Je ferai ça, approuvé-je en désignant mon téléphone. Entre ton numéro, ce sera plus facile pour t'expliquer.
Il attrape l'appareil qui traine sur la table de chevet, le fixe un moment puis tourne l'écran dans ma direction.
— C'est lui ton mec ? s'exclame-t-il, les yeux ronds.
— Absolument, appouvé-je fièrement en admirant l'image de l'écran d'accueil.
C'est une photo prise par Will. Ma tête est nichée dans le creux de son cou, on ne voit que mes boucles en pagaille, mais le visage de mon amour est bien visible. Il sourit, les yeux brillants alors que quelques mèches brunes retombent sur son front.
— Si j'étais gay, il serait sûrement l'objet de bien mes fantasmes.
— Ça me rassure que tu ne le sois pas, grondé-je. Il est à moi !
— Je te le laisse, je n'aime pas les queues.
— T'as déjà essayé ?
— Ouais, avec mon meilleur ami. On avait trop bu et on a dérapé mais j'en garde de très mauvais souvenirs. Je préfère les filles et les paires de seins.
— Vous êtes encore proches ?
— Plus vraiment, on se voit de temps en temps mais c'est bizarre entre nous, grimace-t-il.
— Je comprends, c'est pour ça aussi qu'il faut pas boire autant.
— Comment tu sais que tu ne voudras pas tenter d'autres expériences ?
— Comment ça ?
— Ton mec, explique-t-il, comment tu peux être certain que c'est avec lui que tu veux rester ?
— Je l'aime, tout simplement. C'est lui qui m'a appris à ressentir ça. Le simple fait de m'imaginer avec quelqu'un d'autre me donne la nausée.
Il hoche la tête, muet, le regard désormais perdu sur le mur orange que je suis heureux de ne bientôt plus voir.
— Bon, tu l'as enregistré ton foutu numéro ?
— Euh, non. T'avais raison, les yeux de ce type sont perturbants, du coup, j'ai oublié.
— Fais-le et arrête de baver sur ma propriété.
Il pouffe de rire et laisse retomber le téléphone sur le matelas, une fois sa tache terminée.
— J'espère ne plus recroiser ta route dans cet hosto.
— Je vais tout faire pour que ça n'arrive pas, assuré-je. Et j'espère que tes parents ne te laisseront pas moisir ici.
— Ça, c'est moins sûr. J'ai que seize ans, j'ai encore trop d'années devant moi pour pouvoir décider à leur place.
— Ne désespère pas, ça viendra.
— C'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui a choisi d'être ici, avoue-t-il.
— C'est normal, je ne suis pas comme les autres.
— T'avais pas besoin de le dire pour qu'on le sache tous. Ça se voit sur ta gueule, le rouquin !
— Rou... quoi ? m'étranglé-je. T'es malade ?
— T'as la tronche pleine de tâches de rousseurs, se justifie-t-il.
— Désespérant !
J'attrape mon téléphone qui vibre sur le lit.
— Ouais ? beuglé-je, l'engin à l'oreille.
— Tu es prêt, fiston ? m'interroge mon oncle. Je serai là dans une demi-heure.
Mon cœur s'emballe. C'est plus tôt que ce que j'avais imaginé. J'en suis à la fois heureux et stressé. Le temps qui me sépare de Will est plus court de deux heures et j'angoisse à l'idée de le revoir. Je ne sais absolument pas pourquoi puisque je désire le retrouver depuis quatre long mois.
— Je dois tout enfoncer dans mon sac mais oui, je suis plus que prêt !
— Tu as vingt-huit minutes, à très vite.
Il raccroche et je soupire en avisant mon bordel étalé sur le matelas et sous les fesses de Davis.
— Il faut que je m'active ! Les portes s'ouvriront bientôt face à moi.
— Hum... grogne-t-il en se relevant. Je vais te laisser, je suis certain que tu vas me déclencher une crise en fourrant tes trucs dans ton sac.
— C'est justement ce que j'allais te suggérer. Dans l'instant, je ne suis pas apte à plier tout ça avec minutie.
Il s'approche de moi et m'étreint rapidement. Mes muscles se crispent alors qu'il tape amicalement dans mon dos. Je ne suis pas devenu tactile par un miracle quelconque. Que j'aille mieux n'a rien changé de ce côté. J'exècre toujours le contact humain, mais je lui accorde cet au revoir en l'étreignant brièvement. Je lui dois bien ce simple geste, il a comblé ma solitude durant de longues semaines. Il se détache et quitte la chambre sans se retourner. Plus théâtral, nous n'aurions pas pu.
Les vingt minutes restantes me servent à ranger mes affaires et les cinq suivantes à imaginer la réaction de Will lorsque je serai enfin devant lui.
En expirant lentement, je récupère mon bardage et me rends dans le hall de l'hôpital où Rodrigue m'attend patiemment. Je me dirige vers lui d'un pas lent alors qu'il me sourit avec sincérité.
— Tu es d'attaque à affronter le monde réel ? m'interroge-t-il en me débarrassant de mes affaires.
— Plus que jamais !
— J'ai déjà rempli toute la paperasse et récupérer tes ordonnances.
— Parfait, merci !
Ça me coûte d'être si détendu en sa présence, mais c'est un mal pour un bien. C'est nécessaire pour le bon fonctionnement de mes plans. J'envisage enfin l'avenir avec le cœur léger plutôt que l'esprit embrumé, je compte en profiter.
— On fait halte à la pharmacie, ensuite je te ramène chez les Marx, j'en profiterai pour boire un verre avec mes vieux amis. Loli y est depuis hier matin.
— Elle a tenu sa langue, n'est-ce pas ? Will n'est pas au courant ?
— Elle n'a rien dit, même si je la soupçonne de vouloir le hurler à tout le monde tellement elle est heureuse.
— Ça ne m'étonne pas, ma poupée est incorrigible !
Mon corps est légèrement tendu. Mes doigts tremblent d'impatience alors que Rodrigue tient le volant d'une main et l'autre tapote son genou au rythme de la musique qui s'élève faiblement dans l'habitacle. Les kilomètres qui me séparent de mon soleil me semblent interminables.
— On y est presque. Détends-toi, tu ressembles à une boule de nerfs.
— Je suis pressé, mais j'ai peur... tu crois qu'il veut encore de moi ?
— Cette question n'a aucun sens.
Son éclat de rire apaise mon cœur. Même mon oncle sait parfaitement que rien ne peut nous empêcher de nous aimer. Je sais que Will réagira de la meilleure des façons. Nous attendons ce moment depuis des mois, avec la même force et la même ardeur. J'apprécie simplement me torturer l'esprit. Parfois, même avec toute la volonté du monde, il y a des choses qui ne changeront jamais. Rodrigue gare la voiture près de la maison alors que ma patience atteint ses limites. Les dix minutes passées à la pharmacie n'ont rien arrangé. Je sors de l'habitacle avant qu'il coupe le moteur, claque la portière avec vigueur et cours sur le perron. Ma main est secouée de spasmes lorsque je frappe contre la porte.
— Quelqu'un peut ouvrir ? demande Kristen d'une voix étouffée. Mes gâteaux vont brûler.
Un sourire étire mes lèvres tandis que j'observe la poignée se baisser. Mon regard se relève progressivement vers la personne face à moi. Mon cœur cesse de battre, mon souffle se coupe et des larmes investissent déjà mes yeux.
Putain de merde !
Ce qui s'offre à moi est d'une splendeur sans pareille. Un océan, une étendue d'eau cristalline dans laquelle je plonge sans l'ombre d'une hésitation. Un visage d'une beauté éblouissante qui réanime mon cœur en manque d'amour. Je fais un pas en arrière, laissant de l'espace afin que Will puisse respirer. Il ne semble pas de cet avis et enroule ses longs doigts autour de mon poignet. Son torse qui se presse contre le mien me coupe le souffle.
— Bon sang, souffle-t-il en me serrant puissamment entre ses bras. Mon trésor !
— Je suis là, murmuré-je en me dressant sur la pointe des pieds, avide de retrouver la douceur de ses baisers.
Comme s'il lisait dans mes pensées, il dépose ses lèvres sur les miennes avec une infinie délicatesse. Une déflagration s'élève en moi. Un feu ardent se propage dans le bas de mon ventre alors que mon sang crépite de soulagement. Son contact est tel un réveil après un long sommeil empli de cauchemars. C'est comme sortir la tête de l'eau après une apnée douloureuse. Ses mains s'agrippent à mes cheveux qu'il tire doucement, son souffle s'échoue sur ma peau alors que son baiser s'enflamme. Sa bouche me dévore tandis que mes doigts s'accrochent désespérément à son tee-shirt.
— Surprise, susurré-je, sans me détacher de ses lèvres.
Son océan m'immerge complètement, la lueur qui brille dans son regard me fait tomber amoureux de lui pour la millième fois. Nos larmes de bonheur se mêlent sur nos peaux brûlantes. Une humidité salée se répand sur nos lèvres qu'on se refuse à quitter. Plus rien n'a de sens, nous nous sommes égarés dans cette bulle d'amour que nous avons mis un temps fou à construire. Je suis si heureux de sentir sa peau effleurer la mienne que j'ignore complètement les éclats de voix qui résonnent autour de nous.
Bienvenu chez toi, Angelo ! se réjouit Lumière, celle qui est restée muette durant mon hospitalisation et qui réapparaît maintenant que mon véritable soleil est avec moi.
Je suis rentré, après un long et pénible périple. J'ai retrouvé ma maison ; mon chez-moi se trouvera toujours dans ses bras.
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