Entaille

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Lorsque la marche reprit le lendemain, Maria se distancia des troupes même si elle avançait au rythme et à la suite de l’armée. Elle avait cependant l’impression que le soleil la brûlait moins lorsqu’elle était seule. De plus, son coeur était moins serré qu’hier : les collines sur lesquelles ils arpentaient étaient parsemées de petites touffes d’herbe, et leur couleur verte éclatante lui rappelait Chypre et la possibilité d’une civilisation proche. Bien qu’à l’avant des troupes, Héraclius l’avait remarquée. Il essayait de ne pas la quitter des yeux, de peur qu’elle ne se blesse, mais la laissait faire. Il souhaitait lui laisser un peu de liberté. Il s’était rendu compte qu’elle n’avait fait que de le suivre ces dernières années. Autant qu’elle choisisse le chemin qui lui convienne pour continuer à le faire.

Saladin interpela Aegyptus.

« Une bonne partie de mes hommes sont malades, commença le sultan, survole les environs et trouve une source d’eau assez grande pour nous sustenter quelques jours ; je crains que nous devions nous arrêter.

  • Nous ne pouvons pas rester immobiles trop longtemps. Les Francs pourraient surgir de n’importe où. Leur roi n’est pas aussi stupide que les précédents, s’interposa Al-Mufazar.
  • Stupide, non ; c’est pourquoi il n’attaquera pas avec si peu de soldats, renchérit Saladin. Va, maintenant. »

Aegyptus sembla hésiter un court instant.« Votre Eminence, il est possible que les maux des hommes soient dûs au romain, murmura t-il assez bas pour ne pas se faire entendre. Absorber l’énergie vitale pour accroître sa puissance est son arme. Il est possible qu’il soit en train de se retourner contre vous.

  • Il n’est pas en train de me trahir. Je le dirige tout droit vers Renault de Châtillon.
  • Alors que fait-il ?
  • Il obéit à mes ordres, en prévision de l’attaque sur Jérusalem.
  • Vous lui avez demandé de fatiguer nos hommes pour le renforcer ? s’emporta Aegyptus, les yeux écarquillés.
  • Fais ce que je te demande. » trancha le sultan.

Une moitié d’heure passa, tout au plus. Le soleil était redevenu insupportable. Cachée derrière son châle noir, Maria s’apprêta à lever les yeux pour maudire à nouveau l’astre brûlant. En redressant la tête cependant, elle distingua un gros nuage de poussière à l’horizon. Il semblait se diriger vers le flanc gauche de l’armée de Saladin. La masse de poussière amenait avec elle des formes s’apparentant à une troupe de chevaux surplombés d’étendards. Le sol parut trembler sous ses pieds.

« Majesté, je vous soutiens que c’est du suicide ! Nous n’avons pas assez d’hommes ! s’exclama Baudoin d’Ibelin, seigneur de Ramla, monté sur son cheval.

  • Enfin, ne soyez pas pleutre, mon seigneur. C’est une occasion de laisser votre nom dans l’Histoire, pour peu qu’on souhaite vous y mentionner un jour. » le nargua Renault de Châtillon à ses côtés.

Devant eux et face aux collines que traversaient les troupes égyptiennes était posté le roi de Jérusalem en armure argentée, dressé sur une jument grise. Sur sa tête était posée la couronne que son père avait portée avant lui ; sur ses épaules et par dessus sa cuirasse, un manteau d’or. A sa gauche se tenait Balian d’Ibelin, celui qui lui avait enseigné le combat et la monte malgré son handicap. Il était un ami précieux et il ne voulait jamais s’en séparer. Balian, malgré les plaintes de son frère, l’avait soutenu dans son idée folle d’embuscade. Et même si le nombre de soldats musulmans était aberrant et tous le constataient à présent, il avait reconnu la possibilité d’une victoire : Saladin était alourdi par le pillage. Il n’était pas prêt pour le combat.

« Votre excellence, les Templiers sont prêts, annonça le grand maître de l’Ordre du Temple Eudes de Saint-Amand.

- Il en va de même pour les Hospitaliers. Vous avez tout notre appui, Monseigneur, renchérit Roger de Moulins, le supérieur de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

  • Je répète que c’est une idée absurde.
  • Personne ne vous a demandé votre avis, monseigneur de Ramla, trancha Renaud Granier. Vous allez suivre votre roi où il vous l’ordonne.
  • Pas si c’est pour mourir ici et laisser Jérusalem sans défense. Balian ! rétorqua Baudoin, appelant son frère à la recherche d’un soutien.
  • La décision est prise, et si vous avez quelque chose contre cela, je vous considère inapte de défendre notre ville au nom de votre roi. » le corrigea l’oncle du roi Josselin de Courtenay, qui l’avait rejoint la veille.

Cette remarque fit taire le seigneur de Ramla, soit d’indignation soit de honte. Quoi qu’il en fut, il talonna sa monture et se détacha légèrement du groupe des barons. Balian soupira.

« Pardonnez mon frère, votre Excellence. »

Le garçon se mit à organiser ses barons et leurs troupes. Il repéra les points les plus vulnérables de l’armée ayyubide et détermina lesquels seraient les plus favorables pour une attaque. Enfin, il se tourna vers le chevalier qui lui avait rapporté les évènements de Lydda, Leufroy, placé un peu à l’arrière du groupe.

« Savez-vous où nous pouvons nous attendre à confronter le sorcier nous vous avez parlé ? demanda Baudouin.

  • Il devrait être à l’avant de l’armée avec les émirs de Saladin. Sinon, avec la fille. Il y a autre chose : Saladin semble avoir un oiseau intelligent qui survole les environs. Je crois que c’est lui qui a dévoilé ma position au sorcier, répondit Leufroy.
  • Je ne vois aucun oiseau, déclara Josselin en haussant les épaules.
  • Peu importe. L’élément de surprise est ce qui compte ; il n’aura jamais le temps d’organiser ses troupes, même averti de notre présence, dit le roi.
  • Je ne crois pas à cette histoire de sorcier, douta Renaud Granier en secouant la tête.
  • Moi non plus, je dois admettre, acquiesça Balian. Et vous n’êtes pas du genre à croire à ce genre d’histoires, votre Excellence.
  • Non, il est vrai. Mais cette fois, c’est bien différent. »

Les barons se regardèrent entre eux, très sceptiques. Malgré les croyances que la chrétienté tenait en estime, ils prenaient tous Leufroy pour un fou ou un traumatisé. En tout cas, fou ou pas, ils le voyaient comme un lâche pour avoir abandonné Lydda. Baudouin, lui, le voyait comme un atout précieux puisqu’il avait apporté des informations cruciales pour l’assaut. C’était pour cela qu’il tenait une place d’honneur parmi les barons en ce jour.

« Qu’on m’apporte mon épée, ordonna finalement le roi.

  • Vous ne comptez pas vous battre, si ? » s’étonna Renault de Châtillon.

Un chevalier s’approcha du garçon à la couronne et accrocha l’arme ornée à sa main droite grâce aux bandages qui la recouvraient. Châtillon pouffa discrètement avant de reprendre.

« Votre Majesté, permettez moi de prendre votre place à la tête de l’armée. Vous devez conserver vos forces.

- Que comptez-vous faire ? demanda Josselin.

  • Descendez de cheval, monseigneur de Châtillon. »

Renault s’exécuta, étonné d’une telle demande. Il n’était pas au bout de ses surprises, cependant, puisque le roi le rejoignit au sol. Le seigneur d’Outre-Jourdain tenta une révérence maladroite.

« Vous allez prier avec moi pour la victoire, monseigneur, commença le garçon. Vous, cependant, allez en plus demander au Christ son pardon pour les atrocités que vous avez commises et votre arrogance. Espérons que vous le convainquiez. »

Baudouin ordonna qu’on apporte la Vraie Croix. Lorsque des prêtres, appuyés par des chevaliers, apportèrent cette relique authentique sur laquelle le fils de Dieu s’était sacrifié pour le reste des hommes, les regards se tournèrent. Tous les barons à cheval en descendirent et se prosternèrent devant elle. Imposante, elle atteignit le front de l’armée et fut plantée précautionneusement dans le sable. Baudouin s’agenouilla devant elle ; en s’aidant de sa main gauche il souleva son bras droit et se signa. Puis, il se mit à prier. Bientôt suivi par ses hommes, le corps de l’armée chrétienne fut joint en un seul et même coeur battant. Toutes les tensions, tous les doutes et toutes les peurs furent effacées lorsque le nom du Christ leur revint à l’esprit. Cette fois, un nouveau modèle emplissait la foi des croisés ; celle d’un garçon qui, affligé par un mal injuste des Enfers, continuait de remplir le rôle divin qui lui avait été confié. Confiants, les chevaliers prièrent un instant, et furent revigorés par leur foi.Le roi remonta à cheval.

« Monseigneur de Châtillon, vous allez m’accompagner, pas me remplacer. Et je vous conseillerai de faire profil bas. »

Le jeune roi tourna sa jument vers le reste de ses barons. Le temps était venu.

« Mes seigneurs ; vous êtes nés dans la foi chrétienne. Vous avez grandi pour défendre sa cause qui est noble et qui est juste. Vous êtes arrivés à Jérusalem parce que Dieu vous y as conduits. Vous avez été déçus de ses vieilles pierres, vous vous êtes aperçus qu’elle n’était rien des louanges qu’on vous en avait faites. Pourtant vous l’aimez, et vous l’aimerez toujours car elle est notre mère, notre maison, le siège de Dieu sur terre. Aujourd’hui vous avez l’opportunité de la défendre. Mettez-y toute votre âme et repoussez ceux qui veulent la prendre. Vous faites battre son coeur par votre foi ! Dieu nous regarde : montrez Lui que nous sommes fiers d’être chrétiens et que jamais nous ne L’abandonnerons ! » déclara t-il.

Et ainsi l’assaut fut ordonné. Les barons se précipitèrent en direction de l’armée de Saladin, leurs hommes à leurs trousses. Unis dans une cause commune, les chevaliers soulevèrent la poussière du Mons Gisardus en galopant sur les collines qui les séparaient des musulmans. Saladin se retourna lorsqu’il entendit la voix d’Al Mufazar l’appeler, suivi de cris lointains.

« Les francs attaquent ! s’écria t-il.

  • Impossible ! Aegyptus m’aurait averti !
  • Vous l’avez envoyé chercher un point d’eau. » rappela Héraclius.

Le visage de Saladin se décomposa. Ce n’est qu’en apercevant la levée de poussière lointaine qu’il se rendit compte de la situation. Des nuages de sable émergèrent les chevaliers et à leur tête, il reconnut immédiatement la silhouette couverte de blanc et d’or. Les francs enfourchèrent le flanc arrière musulman. « Sultan ! Il faut organiser l’armée, maintenant ! cria Al-Mufazar.

  • Ils attaquent avec un millier d’hommes ? Ils sont fous ! renchérit Ahmud.
  • Ils sont plus nombreux qu’à Ascalon. Les Templiers ont du les rejoindre. » remarqua un autre.

Les yeux rivés sur les chevaliers et réalisant l’erreur qu’il avait commise, Saladin n’entendait pas les supplications de ses généraux. Certains s’étaient déjà mis à mettre en place les quelques troupes en état de combattre.

« Sultan ! »

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