Une faveur royale

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Sur le point de se lever, une brume conquit son lieu de repos. Sous ses yeux effarés, une silhouette féminine à la chevelure coiffée d'un chignon apparut dans une robe blanche d'époque Henri III. Le père d'Astrid n'eut aucune difficulté à la reconnaître grâce au portrait décorant la chambre. Il avait devant lui son ancienne occupante : la reine Louise, qui vivat son deuil et son trépas à Chenonceau. Elle flottait vers un prie-Dieu et s'installa en prière. N'y croyant pas ses yeux, votre arrière-grand-père en resta paralyser, aucun son ne s'échappant de sa bouche. Une voix solennelle provenant d'outre-tombe le sortit de son ahurissement :

« Bonsoir, monseigneur. Que me vaut votre visite en ce soir de Noël ? »

Seul le silence lui répondit. Intriguée par ce mutisme, Louise de Lorraine le regarda et lui montra des pupilles vides de toute vie. Se levant, elle se dirigea vers lui comme au ralenti. Le régisseur se tendit quand un touché froid se propagea dans tout son être. D'un doigt sous le menton, l'ancienne reine l'obligea à lui montrer son visage. Ses yeux se plongèrent dans ceux de sa victime, l'aspirant dans la profondeur de ses abysses. Elle le fixait sans vraiment le voir. Il avait l'impression qu'elle lisait en lui. Il aurait voulu se dégager de son emprise mais il en était incapable, toutes ses forces l'ayant abandonné. Au bout de plusieurs secondes qui lui apparurent comme des heures, les paupières de Louise de Lorraine se fermèrent alors qu'elle le lâchait d'un geste souple. Elle se redressa et réfléchit avant de reprendre la parole, rouvrant doucement les yeux :

« Je sais quel type d'hommes vous êtes, monsieur l'Intendant. Je le vois dans votre âme. Vous êtes un triste sire aux multiples blessures qui fut l'instigateur de nombreuses souffrances. Votre douleur fut votre guide et votre fierté blessée est entrain de torturer un cœur pur... Non, je me trompe... Trois cœurs purs ont été et seront vos victimes si vous ne changez rien à votre vision du monde.

— Que...

— Silence, veuillez ne pas interrompre votre reine, le coupa-t-elle, d'un ton souverain. Je connais deux de ces âmes, témoin que j'ai été de leur vie en ce lieu. Elles étaient des lumières dans la noirceur de notre trépas, à nous les anciens suzerains de ce château. »

En effet, derrière elle, apparurent les silhouettes fantomatiques de tous les grands seigneurs et dames de Chenonceau. Ces apparitions soudaines laissèrent une nouvelle fois votre arrière-grand-père sans voix et immobile :

« Elles n'étaient que bonté, courage et amour, continua Louise de Lorraine. En cette fête de la Nativité, pour ces êtres de pureté, nous allons vous accorder une faveur royale. »

L'épouse d'Henri III leva sa paume ouverte vers le plafond. Elle l'approcha de sa bouche et souffla doucement dessus. Un nuage de cristaux aux multiples couleurs s'éleva dans les airs et formant des spirales, entoura leur destinataire qui ne put se détacher de ce spectacle. Ses improbables hôtes nocturnes disparaissant dans le néant un par un, Louise de Lorraine prononça ses dernières paroles :

« En cette nuit, vous allez recevoir la visite du Passé, du Présent et du Futur. Ces trois spectres de vérité vous montreront le chemin de votre destiné et celle de vos victimes. A vous, de prendre la décision que votre périple vous inspirera... Prouvez-nous que les enfants de France n'ont rien perdu de leur conscience et que leur sang n'ait pas été versé pour rien. »

Ayant fini, l'ancienne reine du royaume à la fleur de Lys suivit ses comparses et se laissa happer par le royaume de la Mort. Votre arrière-grand-père resta stupéfier. Il ne comprenait rien à ce qui venait de se dérouler devant ses yeux. Il les clôtura un instant. Les rouvrant, il constata que le calme et l'apparence de la chambre étaient revenus à la normale. Pensant avoir halluciné, il se rallongea et tomba dans les bras de Morphée. Pendant ce temps, les convives se rendirent à la messe de Noël sans se soucier de leur ami endormi, le sachant peu pratiquant. Astrid suivit le mouvement, au bras de François, sans se douter de l'étrange phénomène que venait de vivre son père.

Dans l'heure, un bruit sourd sortit doucement votre arrière-grand-père de son sommeil. Il se tourna dans son lit en grognant mais le son se réitéra. Réalisant que c'était les douze coups de minuit, ses yeux s'ouvrirent en grand. Cet étage ne possédait aucune horloge. L'ancien dormeur se redressa dans son lit et scruta la pièce. Soudain, il sentit un souffle sur lui et vit la fenêtre ouverte. Il s'y dirigea pour la clôturer, mais elle résistait à sa volonté. Débité, le père d'Hélène se résigna à quérir de l'aide. Il tomba alors sur une silhouette encapuchonnée lui cachant son visage. Il en sursauta tellement qu'il s'en tint le cœur, se collant sur le bord de la corniche. Reprenant ses esprits, il osa interpeller l'apparition.

« Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?

— Louise de Lorraine vous a pourtant prévenu de ma visite.

— C'est une plaisanterie, se souvint votre arrière-grand-père.

— Non, confirma son interlocuteur, je suis le fantôme du Passé et vous devez venir avec moi.

— Il n'en ait pas question ! Refusa-t-il avec rogne.

— Vous n'avez pas le choix, » termina le spectre.

S'avançant sur lui, celui-ci le précipita dans le vide. En hurlant, l'intendant sentit le sol se rapprocher dangereusement dans son dos. Alors qu'il allait s'écraser, il se surprit à flotter et à atterrir doucement sur le sol d'un jardin qu'il connaissait très bien. Se levant, il fit le tour de la propriété d'un coup d'œil. Il était de retour chez lui, une grande maison bourgeoise typique de Touraine. Quand il vit la silhouette du Passé, il exigea des explications. Gardant le silence, le fantôme disparut à travers la paroi, lui commandant de le suivre. Dubitatif, votre arrière-grand-père observa le mur sans amorcer le moindre mouvement. Brusquement, un bras lui saisit le haut de son vêtement et le tira vers la façade. Sans s'y assommer, il la franchit. A l'intérieur, il eut la confirmation qu'il était en sa demeure mais à une époque depuis longtemps révolue.

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