Une perte insurmontable

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Se dirigeant vers le salon, il entendit la voix de sa mère. Elle priait une autre personne de se calmer. S'avançant prudemment, votre arrière-grand-père s'y vit âgé d'à peine la vingtaine, ne cessant pas de faire les cent pas. Il essaya de s'interposer mais fut traversé de part en part. Il tenta de toucher la femme qui lui donna le jour mais en vain. Il était été devenu transparent, intangible. Soudain, tous entendirent un nouveau-né pleuré. Le maître des lieux se précipita vers une chambre, suivi par son jumeau spectral et le fantôme. A l'intérieur, la nouvelle mère aux cheveux noirs et aux yeux bleus était affalée sur un lit, la sueur baignant son front. Elle tenait dans ses bras le fruit de leur amour, une petite fille. Attendri et heureux, le père se pencha sur son enfant et lui donna un baiser sur le front avant d'embrasser chastement celle qui venait de lui offrir ce magnifique présent de la vie.

A cela, votre arrière-grand-père sentit son cœur reprendre pendant quelques secondes ses droits alors qu'il était mort depuis tant d'année. Il voulut s'approcher à son tour pour effleurer, si ce n'est qu'un doigt, l'épouse qu'il avait tant aimée. Malheureusement, le Passé ne le lui permit pas, l'empoignant par l'épaule. A ce geste, la vision changea. L'infortuné n'eut juste le temps que d'entendre un prénom : Hélène. Il venait d'assister à la naissance de sa fille aînée, sa plus grande joie et sa plus grande déception. Les images défilèrent devant lui à une vitesse inimaginable. Il fut comme un témoin extérieur des cinq années de bonheurs, remplies de rires et de ces merveilleux moments partagés à trois. Un instant aussi rapide qu'une minute, le voyageur refréna ses larmes. Il aurait voulu rester en ces temps de joie où il était heureux.

L'image se stabilisant, il détourna les yeux, ne voulant pas revivre l'événement qu'elle reflétait. Le fantôme ne lui accorda pas cette faveur et le força à faire face à la réalité. Encore une fois, votre arrière-grand-père se suivit jusqu'à la chambre de votre arrière-grand-mère qui lui présenta un visage aussi pâle que la mort. Sa respiration était faible, signe qu'elle luttait pour une seule prise d'air. Elle leva la main en sa direction, invitant son époux à s'en saisir. Ce dernier ne se fit pas prier. Ce fut sous le regard de son reflet qu'il s'acquit de sa sollicitude. Il s'installa sur le matelas et caressa le visage de son aimée tendrement en prenant la parole :

« Vous allez vous rétablir, j'en suis sûr... Il vous faut vivre. Pensez à nos filles. Elles ont besoin de vous... J'ai besoin de vous.

— J'aimerai tant... satisfaire votre... prière, mon aimé... Malheureusement, je ne... le puis, lui répondit_elle avec peine d'une douce voix. Je sens... la vie me quitter... Dieu me rappelle... à lui.

— Je le refuse, affirma-t-il d'un ton qu'il voulait assuré mais qui laissait entrevoir des sanglots retenus.

— Pourriez-vous... faire quelque chose... pour moi, demanda votre arrière-grand-mère, compatissante face à la douleur qu'elle allait bientôt lui infliger.

— Que souhaitez-vous ?

— J'aimerai... embrasser une dernière... fois... Hélène et... Astrid, » lui pria-t-elle.

Y consentant, le père de famille alla chercher son engeance sous le regard remplie de fureur de celui qu'il deviendra. Votre arrière-grand-père enrageait d'être obligé de voir sa pire torture se réaliser une nouvelle fois devant lui. Il allait faire savoir à son accompagnateur ce qu'il passait de ses méthodes qu'il fut stoppé par le grincement de la porte. Celle-ci laissa le passage à sa petite Hélène, âgée de cinq ans. Elle possédait les cheveux de sa mère, aussi noir que la nuit, ainsi que la couleur des yeux d'un bleu aussi clair que celui de l'eau. Dans les bras de son père, Astrid, d'à peine quelques jours, se présentait. En effet, la naissance s'était très mal déroulée et avait pris à votre arrière-grand-mère toutes ses forces. La fièvre et les saignements l'avaient alors clouée au lit, l'entraînant vers son funeste destin malgré tous les soins. L'épouse aimée et aimante serra ses enfants contre elle de ses faibles bras et s'adressa à son aînée :

— Hélène,..., je te confie... ta sœur... et ton père... Sois courageuse ma chérie... Deviens une magnifique et aimable... jeune femme et... soit toujours un... soutien... pour ton... père... N'oublie jamais que... je t'aime... et que je te regarderai... du ciel.

— Oui, maman. Je vous aime aussi, » affirma de sa petite voix la fillette qui, bien qu'elle ne comprenne pas encore vraiment la signification de ces paroles, avait bien vu que sa mère était très malade.

Lui souriant et lui baisant tendrement le front, cette dernière lui pria de retourner auprès de sa nourrice alors que son époux confia sa cadette à la sienne avant de s'asseoir une nouvelle fois auprès d'elle. De plus en plus faible, elle lui fit part alors d'une dernière prière :

« Mon aimé... Je veillerai sur vous... et notre famille... Accordez-moi... une... dernière... faveur...

— Quelle est-elle ?

—Promettez-moi... de prendre... soin... de... nos... filles... Promettez-moi... de... les... protéger.

— Je... je vous le promets, affirma son époux cachant de moins en moins son envie de pleurer.

— Merci... Je... vous... aime, » souffla une dernière fois votre arrière-grand-mère.

Ce fut en prononçant ces paroles que la vie décida de la quitter. Ces yeux se fermèrent alors que sa main quitta celle de son aimé pour retomber sur son côté. Votre arrière-grand-père se vit alors s'effondrer et pleurer pour la dernière fois de toute son existence. Toute sa compassion et son empathie avaient fui son cœur ce soir-là. Il fut sorti de sa contemplation par le spectre du Passé qui fit de nouveau défiler sa mémoire. Il observa ainsi ses deux filles croître et plus particulièrement Hélène. Elle avait été une grande sœur formidable, prenant soin d'Astrid à l'image de sa mère. Elle faisait vivre son souvenir dans chacun de ses gestes. Elle avait hérité de sa beauté mais aussi de son tempérament doux, calme et attentionné malgré une timidité extrême. En réalité, Hélène avait assumé le rôle qui aurait dû être le sien. En effet, plongé dans son chagrin, il en avait négligé sa progéniture qui grandit pratiquement seule.

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