L'amour interdit
En effet, depuis l'épisode de la galerie, les deux jeunes gens avaient repris une certaine amitié, préférant rester ainsi plutôt que loin l'un de l'autre. C'était par moment une véritable torture. Cependant, l'espoir de voir se terminer la guerre et peut-être enfin vivre leur amour enflammait toutes leurs espérances. Épuisée par sa course, Hélène s'adossa à un petit édifice d'osier vivant qui trônait au centre du labyrinthe sur une gloriette surélevée. A son côté, la statue d'une nymphe portant Bacchus enfant se dressait au sommet d'un tronc de cèdre. Frantz fit rapidement son apparition, expirant quelque peu suite à son effort. Le vent fit voler des pétales de fleur entourant Hélène d'un tourbillon magique. La trouvant irrésistible, il ne put résister d'avantage. S'approchant doucement de celle qui, fermant les yeux, reprenait son souffle, il déposa sur ses lèvres vermeilles un léger baiser. Surprise, la jeune femme ouvrit soudainement les paupières :
« Frantz, je...
— Je vous en prie. Je vous aime d'un amour incommensurable, la supplia-t-il tendrement, un doigt posé sur sa bouche pour la faire taire. Juste pour un instant, oublions que vous êtes française et moi allemand. Ne soyons qu'une femme et un homme...
— Je... je vous aime aussi, » lui avoua Hélène, consentant à sa prière.
Laissant un instant la guerre de côté, heureux, les aimés échangèrent un baiser passionné sous la complicité d'une Vénus qui surplombait l'édifice les protégeant des regards indiscrets. Leur échange n'échappa pourtant pas à la vue de votre arrière-grand-père qui n'en loupa pas une seule seconde. Depuis ce jour, les tourtereaux entretinrent une relation secrète. Durant celle-ci, Frantz améliora le rationnement d'Hélène. Ne voulant pas en abuser comme certaine amante d'officier Nazi, elle préféra subir la faim comme la majorité des français, offrant les faveurs de son aimé aux plus faibles. Ceux-ci se doutant un peu de leur provenance préféraient taire leurs doutes, trop heureux de pouvoir donner un peu de viandes ou de légumes supplémentaires à leurs enfants affamés.
Ce fut la rage au cœur mais tout de même troublé que votre arrière-grand-père entreprit un nouveau saut dans le temps. Il était maintenant en juillet 1944. Les Alliés étaient entrain de bombarder Chenonceau détruisant les vitraux de la chapelle. L'intendant surprit Frantz à piéger la batterie allemande qui explosa. N'y comprenant plus rien, il le suivit dans sa fuite avant de le voir disparaître alors que le fantôme du Passé fit défiler une nouvelle fois le temps. Fin mars 1945, Hélène, l'âme en peine, déambulait dans la forêt adjacente au château. Elle serrait contre son cœur le pendentif que Frantz lui avait offert et qu'elle ne quittait jamais, Au bout de quelques minutes, une silhouette vêtue de vêtements civils abîmés et sales sortit de dessous des arbres. La reconnaissant, la jeune femme se précipita et lui sauta dans les bras avant de l'embrasser :
« Vous êtes revenus, souffla-t-elle heureuse avant de paniquer en s'écartant un peu de lui. C'est trop dangereux si on venait à vous découvrir. Vous risquez d'être fusillé. Je ne le supporterai pas. Vous devez fuir.
— Il fallait que je revienne, que je vous vois avant de me faire de nouveau reconnaître. »
Ne lui laissant pas l'occasion de parler et des questions plein la tête, il la serra dans ses bras en humant son parfum avant de lui faire une demande très particulière :
« Epousez-moi.
— Pardon ? N'en revenait pas Hélène.
— Il me faut m'en aller mais avant, j'aimerai que nous nous promettions de nous marier à la fin de cette guerre, quelque soit son issue et mon destin. »
Emue plus que de raison, oubliant son père, son devoir filial et jusqu'à son pays, sa dulcinée accepta. Lui prenant la main, Frantz la conduisit jusqu'à la chapelle de Chenonceau. Les suivant de plus en plus intrigué, votre arrière-grand-père fut déstabilisé par la vision devant lui. A l'intérieur, le châtelain était debout devant l'autel parlant avec le prêtre de la paroisse. Hélène fut aussi surprise que son père et regarda son aimé, des interrogations plein les yeux. Le comprenant, celui-ci consentit à la satisfaire sans aucun accent dans la voix :
« Hélène, je vous dois un aveu. »
Curieux de savoir de quoi il en retournait, le régisseur prêta l'oreille mais le fantôme du Passé accéléra le temps, rendant les protagonistes muets. Ainsi, tous deux virent la jeune femme pleurer de joie et de soulagement alors qu'elle se jetait au cou de l'officier allemand. Interrompant leur étreinte, monsieur Menier les ramena à la réalité. Le prêtre bénit leurs fiançailles, puis une promesse de mariage fut signée par tous les acteurs de cette cérémonie secrète. Ce papier fut caché dans une fissure du mur. L'image se troubla. Les nouveaux fiancés réapparurent une fois encore dans le labyrinthe. Sachant qu'ils devaient bientôt se séparer, Hélène marcha jusqu'aux cariatides qui se dressaient majestueux derrière les cercles de verdure. Conscient de ses peines, le jeune homme la rejoignit et essaya de la réconforter :
« Je ne vivrai que pour vous retrouvez et vous épouser.
— Je veux vous accompagner, le supplia sa fiancée.
— Impossible. C'est beaucoup trop dangereux. Je suis aux yeux du monde un allemand et les combats font encore rage... Restez sous la protection de votre famille.
— J'ai si peur qu'il vous arrive malheur et de vous perdre, » pleura-t-elle.
Sachant pertinemment que rien ne pourrait la soulager de ses craintes, son fiancé la prit dans ses bras et la laissa déverser toutes ses peurs sur lui. Suivant son inclination, Hélène posa ses mains sur les joues de son aimé et se dressant sur la pointe des pieds, l'embrassa. Le baiser devint plus affamé de seconde en seconde jusqu'à ce que l'air leur manqua. Le regardant d'une lueur sensuelle, sa dulcinée se détacha de lui et fit glisser de ses épaules sa robe de mousseline. Subjugué par ce spectacle, son futur amant s'approcha d'elle en tremblant tellement la tension érotique était palpable. Silencieusement, il s'assura de son consentement total et entier. La jeune femme lui captura de nouveau les lèvres lui signifiant ainsi qu'elle l'était. Rassuré, l'officier intensifia le baiser en l'allongeant sur un carré d'herbe. Sous les yeux de Pallas, de Cybèle, d'Hercule et d'Apollon qui habillaient l'édifice, Hélène se sacrifia à Vénus en lui offrant son innocence sous le coucher de l'astre du jour.
Les poings serrés par ce qu'il considérait comme une trahison envers sa patrie et envers lui, votre arrière-grand-père fut projeté chez lui au mois d'avril 1945. Là, il se revit dresser de toute sa stature devant sa fille, aussi furieux qu'un volcan en fusion ;
« Vous m'avez déshonoré. En plus de vous amouracher d'un allemand sous mes yeux, je viens d'apprendre que vous avez forniqué avec lui et... Je ne peux le prononcer sans honte.
— Père, je vous en prie... Permettez-moi de vous expliquer. Il m'a promis de m'épouser.
— Et vous l'avez cru, naïve que vous êtes.
— Il n'est pas ce que vous croyez. J'ai confiance en lui. Monsieur Menier peut témoigner de tout et...
— Silence, cria son père. Je vous rappelle que monsieur Menier est inconscient du fait du dernier bombardement et ne peut vous êtes d'aucun secours. Et quand bien même, votre état est inacceptable... Je ne tolérerai plus votre présence sous ce toit... Vous êtes comme morte pour moi. »
Après cette affirmation, votre arrière-grand-père se souvint l'avoir enfermée dans sa chambre pendant qu'une servante préparait sa valise. Astrid, considérant sa sœur comme une seconde mère, vint la rejoindre et la serra aussi fort qu'elle le pouvait. Elle la suppliait de rester auprès d'elle. Hélène en fut désolée, ne pouvant pas s'opposer à la volonté de leur père. Celui-ci avait droit de vie et de mort sur elles. La jeune fiancée tendit à sa cadette un feuillet et lui fit promettre de le lui remettre. Une heure plus tard, elle roulait dans une voiture vers sa nouvelle destinée sous le regard haineux d'Astrid envers son géniteur. Le fantôme du Passé montra ensuite au voyageur la ville de Cadillac où des religieuses régissaient un centre de réhabilitation. Il se vit y abandonner sa fille en larmes, indifférent à son sort. Réalisant que le véhicule fonçait sur lui et oubliant son état fantomatique, il ferma les yeux, attendant l'impact.
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