Un intrus au château

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Ne ressentant rien, votre arrière-grand-père rouvrit doucement les yeux et constata qu'il était de retour dans sa chambre au sein du château de Chenonceau, le 25 décembre 1945. Il effectua un tour d'horizon. Il était seul. Il se mit alors à réfléchir à ce périple. Il n'avait pas à rougir de sa décision. Il avait tout donné à ses filles, des biens, la meilleure éducation possible, et pourtant... Hélène avait fait preuve de trahison. Elle avait mérité son sort, alors pourquoi cela sonnait faux en son esprit. Il se souvint des années passées ensemble. Il se surprit à se sentir en manque du tempérament doux et attentionné ainsi que du rire de son aînée. L'avoir entendue et vue de nouveau vivante, le lui avait fait réaliser.

La rage de savoir que c'était grâce à cet allemand l'envahit. Cependant, il s'interrogea sur cet homme. Pourquoi ne pas avoir dénoncé Hélène ? Son amour était-il aussi puissant ? Pourquoi monsieur Menier semblait au courant de la situation ? Cette promesse existait-elle vraiment ? Thomas avait-il réellement tenté de la violer ? Ses réflexions furent interrompues par un nouveau son d'horloge. Elle sonnait une heure du matin. votre arrière-grand-père scruta chaque ombre quand il vit une nouvelle forme humaine encapuchonnée traverser la porte :

« Je suis le fantôme du Présent. Vous savez pourquoi je suis là, alors venez, » ordonna le spectre en lui présentant l'endroit d'où il était venu.

Le voyageur franchit alors l'entrée de sa chambre. Des couloirs de Chenonceau, il constata que les autres résidents du château venaient de rentrer de la messe de minuit. Ils partageaient une collation au sein de la grande galerie, en se souhaitant un bon Noël. Arrivé en retard, un nouvel invité inattendu fit son apparition. Reconnaissant Frantz, Astrid en eut le souffle coupé, surtout quand monsieur Menier le saluer chaleureusement. Sa surprise fut encore plus grande quand François lui serra fraternellement la main comme si c'était un frère d'armes. Ce fut sans voix qu'elle l'entendit s'adresser à leur hôte :

« Je ne vois pas Hélène. N'était-elle pas invitée ?

— Hélène ?! Et bien... tenta de répondre le châtelain qui visiblement ne savait pas comment aborder le sujet.

— Elle est morte, » lui répondit une voix.

Astrid se tourna vers le responsable et vit Sonia faire front devant le nouveau venu.

« Morte ?!... C'est impossible... Vous mentez !? Cria celui-ci, abasourdi et les jambes tremblantes.

— Et pourtant, c'est vrai, insista-t-elle. Dans leur fuite vers l'Allemagne, des Nazis sont passés par ici. Ils l'ont tuée une balle dans le cœur après l'avoir violée. »

A ce qu'il savait être un mensonge, votre arrière-grand-père observa la réaction de celui qui avait détourné son aînée de son devoir. Il avait la tête baissée, les yeux exorbités et le souffle court. Il transpirait le désespoir le plus total, serrant les poings à s'en faire saigner :

« C'est impossible... Je ... je veux voir sa tombe, exigea le désespéré.

— Il n'y a pas de tombe, renchérit Thomas d'un ton sadique. Tes complices ont mis le feu à son corps. Il ne reste plus rien... De toute façon que fais-tu ici, sale boche ? Ta présence en ces lieux est une honte. »

La victime de tant de mesquinerie ne l'écoutait plus. Il eut la nausée et voulant fuir cette réalité, se mit à courir en direction de la sortie. Dehors, s'appuyant sur le bord d'une douve, il vomit avant de s'affaler au sol, en pleurs. Il ne cessait de répéter le nom d'Hélène avant de l'hurler avec force dans la nuit étoilée. Votre arrière-grand-père, qui assistait à cette scène, se surprit à ressentir de la compassion. Soudainement, sans prévenir, le décor changea. De retour à sa chambre, il y vit entrer Astrid, furieuse et désespérée, réveillant son double. Sa plus jeune fille le réprimandait, l'accusant d'avoir fait le malheur d'Hélène et le sien. Elle le menaçait de scandale, prête à révéler à tous la vérité, s'il ne lui signait pas une autorisation de se marier avant sa majorité. Sans voir une seule émotion sur son visage, l'intendant s'observa céder à ce chantage. Après cette scène des plus mortifiantes pour lui, conscient qu'il venait de perdre sa cadette, le fantôme du Présent le saisit et le précipita dans l'eau.

Sans être mouillé, il se retrouva à Cadillac. Il était dans un couloir de l'institut où il avait amené Hélène, plusieurs mois plus tôt. Là, une agitation était présente et des pleurs d'un nouveau-né se faisaient entendre. Leur intensité ne cacha cependant pas la sonnerie d'une horloge qui indiqua qu'il était dix heures du matin. En plus d'avoir fait un saut dans l'espace, il en avait fait un de plusieurs heures. Se concentrant sur la voix, l'intendant se dirigea vers la pièce d'où elle provenait :

« Non... Non, ne m'enlevez pas mon enfant... Rendez-le-moi !

— C'est un enfant du péché. Vous vous devez de l'abandonner et vous consacrer à votre rédemption.

— Non ! Mon fiancé va venir nous chercher... Rendez-moi mon enfant !

— Vous n'êtes qu'une menteuse. Maintenant, calmez-vous. »

Passant la tête, votre arrière-grand-père fut effaré de reconnaître Hélène, en sueur et malgré la fatigue de l'enfantement, se débattre contre les religieuses qui la maintenaient sur le lit. Pendant ce temps, une d'entre elles sortit de la salle, emmenant vers un avenir incertain son fardeau emmailloté d'où sortaient deux minuscules mains. Sa fille reçut une dose de tranquillisant et s'affala sur son oreiller, les larmes coulant sur ses joues. Laissant son petit-enfant s'éloigner loin de lui, le régisseur de Chenonceau vit la pièce tourner sur elle-même avant de se retrouver de nouveau dans sa chambre.

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