La triste vérité
Votre arrière-grand-père ferma les yeux pour fuir cette réalité. Quand il les ouvrit à nouveau, il constata qu'il était revenu à Chenonceau. Le château était en liesse car un mariage allait avoir lieu. De loin, reconnaissant l'officier allemand, il s'approcha de lui. Celui-ci était en tenue de marié et il discutait avec une jeune femme de 25 ans en ce printemps 1952. L'intendant resta interdit devant cette dernière. Il avait devant lui Astrid, mariée et visiblement enceinte. Elle lui transmettait le fameux billet qu'Hélène lui avait confié. L'homme âgé de 34 ans le saisit en lui demandant pourquoi que maintenant. Elle lui avoua ne pas l'avoir fait avant par désir de vengeance. Elle l'avait considéré aussi coupable que son père dans le sort de sa sœur aînée. Elle était venue à son mariage pour lui apprendre la vérité et corriger une injustice avant qu'il ne soit trop tard. Elle le savait encore amoureux d'Hélène. Bouleversé par cet aveu, le futur marié lut le mot de sa dulcinée : Là où nous faisions qu'un. Comprenant l'allusion, il se précipita vers le lieu indiqué, suivi par votre arrière-grand-père.
Arrivé devant les Cariatides, l'amant de sa fille fouilla chaque recoin de l'édifice. Y trouvant une faille cachée par les branches de lierre, il y glissa la main et en sortit un journal intime. Lisant la couverture, il reconnut celui d'Hélène. S'installant sur une marche, il se mit à lire. Au fil de sa lecture, il tremblait d'émotions qui se transformèrent vite en fureur. Se levant, il courut vers la salle des Gardes du château, pièce voisine de la Chapelle restaurée en 1951 et ayant anciennement abrité les hommes d'armes chargés de la protection royale. Il ne fit pas attention ni à la cheminée du 16ème siècle et aux coffrets gothiques et Renaissance, ni au plafond à solives apparentes portant deux C entrelacés. Il marcha sur la majolique, se plantant devant Sonia et les invités. Une colère noire dans le cœur, il se mit à vociférer :
« Vous étiez au courant, n'est-ce pas ?
— Que vous arrive-t-il, mon ami ? Demanda la jeune femme, soutenu par son frère.
— Ne faites pas l'étonnée. Vous saviez qu'Hélène était encore en vie. C'est vous qui l'avez dénoncée à son père sur notre relation plus qu'intime.
— Mais comment ?
— Hélène vous a entendue et l'a confié à ce journal que voici, lui montra-t-il. Maintenant, je comprends pourquoi vous avez autant insisté sur sa mort et pendant des années. Vous vouliez faire taire la voix qui me criait le contraire. L'alcool aidant, vous y êtes parvenus. Pourquoi ?
— Pour vous avoir. J'étais jalouse d'elle. Elle était tout ce que je ne suis pas alors je me suis vengée à ma manière.
— Sale... »
Le fiancé stoppa son insulte quand il vit Thomas s'interposer entre sa sœur et lui. Il avait un air suffisant :
« De toute manière, à l'heure d'aujourd'hui, cette pauvre chose doit être morte ou détruite alors qu'importe que vous soyez au courant maintenant. Personne ne voudra plus d'elle de toute manière.
— Je vous interdis d'insulter celle que j'aime toujours devant moi, explosa l'amant d'Hélène en le soulevant par le col.
— Sinon quoi ? De toute façon, qui pourrait aimer une fille de joie.
— Que dites-vous ? N'en revenait pas son interlocuteur à cette provocation.
— Et oui, Hélène est enfermée dans une maison close et doit bien divertir ces messieurs du gratin parisien. Je le sais car c'est moi qui l'ai livrée contre une belle somme d'argent il y a six ans. »
A cette information qui glaça toute l'assemblée, Thomas reçut le plus beau coup de poing de son existence. La force était telle qu'il atterrit au fond de la salle. Désireux d'aller secourir son aimée, le responsable fit volte face, abandonnant la future mariée devant l'autel. Stoppant un instant son avancé, il lui lança :
« Il va s'en dire que le mariage est annulé. Je refuse de m'unir à une créature malveillante comme vous ou même à votre misérable famille. Je ne vous ai jamais aimé de toute manière. Vous n'étiez que la remplaçante, une source de souvenirs et une pâle copie d'Hélène. »
Finalement, il reprit sa course alors que Sonia fut fusillée du regard par les invités dont sa famille qui venait de subir une humiliation aussi grande que cruelle et cela devant tous. Astrid la gifla avant de repartir au bras de François qui proposa son aide à l'infortuné avant de le voir s'éloigner dans sa voiture. Il voulait régler cette affaire seul.
Votre arrière-grand-père assista à la recherche de celui qui aurait pu être son gendre. Cela demanda des jours et beaucoup de sommes d'argent. Finalement, il trouva la maison où sa dulcinée endurait les pires tourments qu'une femme pouvait subir. Y entrant, il exigea de la voir. Arrivant devant une chambre, il souffla un bon coup pour se donner du courage et ouvrit doucement la porte. Il s'était préparé à tout mais pas à la vision devant lui. Bien qu'il l'ait reconnue, Hélène, âgée alors de 30 ans, était très pâle, des plus amaigries et semblait très faible. Elle était allongée sur un lit défait. Entendant la porte grincer, elle avait péniblement ouvert les yeux avant de les écarter devant l'homme devant elle. Honteuse, elle voulut se cacher sous les draps mais ses forces l'abandonnèrent. Elle n'eut que celle de prononcer son nom.
« Na... Nathan.
— Oh, Hélène, se précipita ce dernier à son chevet. Je vous retrouve enfin.
— Mon... amour... Pourquoi… Pourquoi m’avoir… oubliée ? Vous… m’avez… abandonnée…
— Jamais, lui assura Nathan en lui prenant la main. J’ai bien tenté de partir vous chercher, mais votre père et vos amis ont réussi à me convaincre de votre mort.
—…
—Je vous ai cru morte. Ce n'est que depuis quelques semaines que je fus mis au courant de tout. Pardonnez-moi. Je n’aurai jamais dû les croire.»
Comprenant que celui qu’elle avait toujours attendu, sans perdre ses sentiments qui l’habitait, et qu’elle était prête à haïr, avait été victime de leurs ennemis, son cœur s’allégea et réussit à trouver assez d’énergie pour lui offrir ses pensées :
« Il n'y a... rien à ... pardonner... La vie en... a décidé... ainsi... et... »
La jeune femme fut interrompue par une quinte de toux violente qui lui fit cracher du sang.
« Hélène, prit peur son amant. Je vais vous emmener avec moi et je vous soignerai. Vous verrez tout...
— C'est... inutile... Je me... meurs, l'interrompit-elle en douceur.
— Non ! Non ! Pas maintenant que nous sommes de nouveau réunis, sanglota Nathan. Je ne saurai vivre sans vous.
— Mon... amour... Avant de... mourir... promettez-moi... de le... sauver.
— Qui ?
— Notre... fils... je vous... en prie... Retrouvez-le... et sauvez-le, » lui pria Hélène en lui donnant un papier qu'elle serrait dans la main.
A cette nouvelle, Nathan écarquilla les yeux. Un fils, il avait un fils et il lui avait été enlevé. Voyant la lueur d'espoir de sa dulcinée, il promit. Soulagée, elle puisa assez de force pour lui caresser la joue et fermant les yeux, expira pour la toute dernière fois. Tout comme votre arrière-grand-père des années précédentes, Nathan pleura son désespoir alors qu'il avait maintenu ses doigts contre lui. Au bout de quelques minutes, il souleva le corps d'Hélène et l'amena dans un couvent. Là, les religieuses hésitèrent à faire entrer la débouille d'une femme de petite vie. Cependant, leur généreuse mère supérieure, qui avait choisi la voie de Dieu après son Appel, leur ordonna de céder le passage. Nathan leur raconta leur histoire. Il les supplia de prendre soin du corps d'Hélène pendant qu'il s'occupait de sa mise en terre. Il refusait qu'elle finisse dans la fosse commune. Touchées, les religieuses acceptèrent et la préparèrent alors que des prières furent chantées pour le repos de son âme.
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