La prière d'une mère
Courant, il se prit un mur qui se dressait devant lui. Reculant en se tenant le nez, il réalisa qu'il était de retour dans la chambre de Louise de Lorraine ce 25 décembre 1945. Abasourdi, il sentit tout de même qu'on l'observait. Se tournant vers la source, il en découvrit les responsables. Les trois fantômes se dressaient devant lui. Celui du Passé, désespéré, se présenta abaissant sa capuche :
« Tu m'avais promis de prendre soin de mes filles. Pourquoi nous avoir déshonoré ainsi et être l'instigateur de tant de souffrance ? »
Estomaqué, l'intendant l'identifia tout de suite. Son épouse lui lançait les plus vives reproches.
« Hélène vous ressemblait tellement, essaya-t-il de s'expliquer. Sa vue me rappelait tous les jours ma propre douleur... J'ai enfin réalisé que je lui faisais payer votre absence... Je sais que ce n'est pas une raison valable à vos yeux... Pardonnez-moi. »
La mère de ses filles resta silencieuse alors que le spectre du Présent prit la parole :
« Cet officier n'était-il pas un homme d'honneur, même si c'était un ennemi à vos yeux ? Il l'a pourtant mille fois protégée. Pourquoi ne pas avoir fait confiance à l'amour de ses deux jeunes gens comme vous avez su le faire pour vous-même ? Votre orgueil et votre fierté vous as fait perdre votre famille et jusqu'à votre âme, mon frère. »
Effectivement, son aîné, mort en juin 1940, se dressait à son tour devant lui. Le troisième fantôme se présenta à sa suite mais contrairement aux deux autres, il se précipita à ses pieds en position de supplication :
« Père, je vous en supplie, sauvez mon fils. Je suis prête à subir mon triste destin si c'est ce que vous souhaitez, mais pour l'amour de Dieu, sauvez mon fils et rendez-le à son père.
— Hélène, est-ce vous ?
— Je vous en prie, père."
Désireux d'en avoir le cœur net, il l'empoigna et le releva doucement. Prenant le bord de la capuche, il la fit descendre. Devant lui, sa fille aînée était présente, aussi belle que le jour où elle rencontra ce Frantz ou Nathan. Il ne savait plus comment l'appeler. D'ailleurs pourquoi l'avait-elle nommé par ce deuxième prénom ? Repoussant cette question pour l'instant, il caressa sa joue tendrement. Quand soudain, elle se plia en deux.
« Hélène, que se passe-t-il ?
— Les douleurs de l'enfantement reprennent, lui répondit-elle. Père si vous m'aimez un t'en soit peu, accordez-moi ma requête. »
Il allait lui répondre quand la forme spectrale d'Hélène disparut le laissant seul avec les deux autres. Son épouse lui apprit que l'esprit de Louise de Lorraine ne pouvait plus maintenir celui de leur fille ainsi à cause de la souffrance de l'accouchement. Il en fut tout retourné. Sa fille allait accoucher du fils qu'il aurait aimé avoir. Votre arrière-grand-père fit les cent pas dans la chambre se mémorisant tout son périple. Au début son cœur était aussi froid que de la glace. Cependant, au fil du temps, une chaleur l'avait de nouveau envahi. Quand les supplices d'Hélène lui furent connus, il en avait eu la nausée et l'envie de meurtre avait grondé en lui. Au moment de la maison close, il aurait sans hésité tuer tous ces hommes. A sa mort, son âme avait crié de douleur à un tel point qu'il avait cru qu'elle allait le quitter. Cependant, ce Nathan ou qu'importe comment il s'appelait, n'était-il pas un ennemi ? Conscient de ses pensées, son frère lui demanda avant de disparaître à son tour :
« Est-ce si important qu'il ait été allemand ? Il aime Hélène d'un amour inimaginable. La paix est maintenant instaurée. Beaucoup de chose est encore à entreprendre et ce n'est pas en restant dans le passé que vous pourrez vivre avec sérénité. Réfléchissez à cela, mon frère. »
Celui-ci regarda son épouse, la dernière à être présente. Elle était si belle. Elle le sortit de ses pensées :
« Mon aimé, je sais que ma mort a arraché en vous toute humanité et votre âme, les emmenant avec moi sans le savoir. Cependant, il n'est pas trop tard, vous pouvez les refaire vôtre. Nos filles vous aiment mais vous leur avez tournées le dos. Rappelez-vous comment vous vous êtes battu contre votre famille pour m'épouser, moi qui ne venait pas du même rang social que vous. Nous avons été heureux. Hélène et Nathan, ne méritent-ils pas le même bonheur ? »
Durant son monologue, son époux constata qu'elle disparaissait inexorablement. Voulant la sentir une dernière fois, il lui caressa la joue, les yeux baignés de larmes. Touchée par cette image, sa douce aimée lui offrit un chaste baisé en signe d'adieu, puis s'évapora dans les airs. Resté seul, votre arrière-grand-père se redressa et prenant une décision, s'habilla. Son frère avait raison. Même si cet homme était un allemand, il avait montré plus d'honneur qu'aucun autre et surtout plus que Thomas. Il avait trahi sa patrie en faisant exploser la batterie et avait préféré se tuer plutôt que de vivre sans Hélène. Il s'avoua que les premiers pleurs de son petit-fils et son trépas l'avaient chamboulé au point qu'il aurait voulu l'arracher des bras de la religieuse et de la mort.
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