1
Dans l’obscurité de son appartement, Jim Harrison se servit un verre de son cocktail préféré : alcool de noix de coco et ananas. Il n’allait vraiment pas bien : il ne buvait en principe qu’en cas de grave problème. De toute façon, cela faisait environ deux mois que plus rien n’allait.
Deux mois de cauchemar. Le seul problème étant que ce cauchemar avait été réel. Pourtant, Jim se demandait s’il ne l’avait pas tout bonnement imaginé. Mais non, les cicatrices dues au lames de rasoir étaient bien là, trop évidentes à son goût.
Le simple fait de penser à elles raviva la douleur et Jim hurla. Il hurla comme hurlerait un être qui aurait vu la mort en face. On dit que lorsque l’on meurt, on voit le film de sa vie. Cela devait être vrai puisqu’il revoyait ces deux mois comme autant d’éclairs qui mettent en lumière les pires scènes au détriment des bonnes, et qu’il avait la sensation de mourir. Il se mit à transpirer et à trembler tant et si bien qu’il s’assit dans un fauteuil. Il observa la nuit qui commençait de tomber sur sa ville. Cela allait-il recommencer ? Jim ne pouvait être catégorique. Deux mots lui vinrent alors à l’esprit : peut-être. Peut-être, c’était toujours ce que répondait Amy lorsqu’il lui posait une question embarassante.
Amy. Ils s’étaient rencontrés dans un café – la vague de crimes avait déjà commencée – et s’étaient liés d’amitié. Puis elle accepta d’habiter avec lui et ils partagèrent l’appartement. « En ce moment, il vaut mieux que tu ne restes pas seule. Tu seras en sécurité chez moi. » En sécurité ! Un jour qu’il s’était absenté pendant trois heures, il l’avait retrouvée morte, les lèvres cousues et la langue arrachée et collée sur son sexe.
Jim revoyait parfaitement la chose. Et, comme la première fois, la respiration lui manqua et il se précipita dans les toilettes. Il vomit tout ce qu’il put. La chasse tirée, il se recroquevilla dans un coin et se mit à trembler. Amy ! Son Amy ! Calmé, il réintégra son fauteuil.
Depuis combien de temps n’avait-il pas dormi ? Quinze jours ? Peut-être un peu plus. Il devait s’être tout au plus reposé, mais jamais endormi. Quand on dort, cela dure longtemps, et il ne devait pas avoir excédé les six heures, tout repos comptabilisé ; ensuite on a l’esprit en paix, mais pas lui. C’était bien simple, il n’osait pas dormir de peur de faire ressurgir les souvenirs. Puis, petit à petit, il n’eut plus peur de rien, l’alcool sans doute, et laissa les souvenirs refaire surface, hors de cette mer de sang.
Annotations
Versions