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Une nuit de pleine Lune. Une Lotus Esprit file sur une route dégagée aux abords d’une ville. Des nuages assombrissent de temps à autre l’éclairage blafard du satellite. Au volant de sa voiture, l’homme, malgré la lumière éblouissante des phares, peine à distinguer le bas-côté.
La blancheur éclatante de sa peau lui donne un aspect vampirique en comparaison du volant sombre de son véhicule. Il distingue, vaguement, au loin, un virage à gauche et la pupille, cherchant la lumière, se dilate comme se dilate une fleur lorsque le jour nait. Il roule. Seul. Mais la solitude ne le dérange pas. Roadhouse Blues des Doors résonne dans sa tête. Puis petit à petit, la chanson s’estompe et l’homme ne pense plus qu’au coup de téléphone qu’il a reçu dans la soirée.
Rassure-toi Nicky. Ils ne t’ont pas invité pour fêter ton anniversaire. Non. Pas vraiment leur style. A mon avis cela a plutôt un lien avec un certain marché que tu as passé sans un certain accord. Oh ! Qu’y a-t-il à craindre ? Ils vont juste te gourmander un peu… Un peu violemment surtout ! Ils ne vont pas te tuer… D’accord. Ils n’avaient pas l’air très ravi au téléphone mais ils ne vont pas se débarrasser de toi. Surtout que, sans toi, qui va distiller la poudre ou la tester ? … Non ils vont te demander de ne pas recommencer, tu vas présenter tes excuses. Tu repartiras peut-être avec le nez en sang et méconnaissable pendant deux semaines mais tu seras vivant. De toute façon, nous allons savoir de quoi il retourne. Nous voilà arrivés.
En effet, le sombre bâtiment découpe sa masse noirâtre dans la nuit comme la bouche d’un ogre où la route serait langue. Celui qui répond au prénom de Nick ne peut s’empêcher de frissonner. Il s’engage dans la dernière ligne droite et bien qu’il ne lui reste plus qu’un kilomètre environ, arrête sa voiture et se met à l’observer. Une vieille usine désaffectée de retraitement des déchets, qui ne tourne plus qu’occasionnellement quand les autres sont saturées. Elle est immense mais son aspect abandonné lui donne un air de zombie. Puis, lentement, il relance le moteur de sa voiture et roule sur cette langue prêt à être englouti.
L’homme seul s’approche de l’entrée principale. L’éclairage en été de marche est visible depuis l’extérieur.
Bon. Ils sont honnêtes, il y a de la lumière. Ils doivent être là… Et la porte est ouverte. Formidable !
Il tend la main vers la poignée. La porte s’ouvre avec un grincement. Derrière, cinq hommes en tenue de soirée et feutres l’attendent, cigarettes aux lèvres. L’homme entre et jette un coup d’oeil rapide mais observateur sur son comité d’accueil. En face, les cinq hommes doivent sûrement être équipés pour se défendre.
Equipés d’un Colt Pocket .25 ou d’un Smith et Wesson. Ce n’est pas terrible mais il ne faut pas forcément une arme exceptionnelle pour vous faire le petit trou de trop. Surtout si l’arme est entre leurs mains.
Il finit de faire le tour du hangar des yeux et distingue en haut d’une balustrade un homme un peu bedonnant habillé d’un costume blanc et accompagné d’un autre plus grand que lui, vêtu de noir et portant gants et lunettes de Soleil.
Ah ! Les voilà. Kronsberg et son fidèle toutou Addams. Il n’est sans doute pas venu les mains dans les poches celui-là non plus. Et s’il est fidèle à ses habitudes c’est un Ruger T-512.
- Tiens ! Vous ici ? C’est gentil chez vous. Ca fait longtemps que vous habitez le quartier ?
- Carson !
- C’est moi.
- Ecoute-moi bien espèce de fils de pute ! Tu t’es foutu de moi mais on n’a pas Kronsberg aussi facilement et impunément. Alors pour te faire passer l’envie de me supplanter une seconde fois… Simon ! David ! Dit-il en claquant des doigts.
Deux des cinq hommes se dirigent alors vers Nick et l’empoignent solidement par le bras.
- Qu’allez-vous me faire ? Des chatouilles ? Bon allez les babouins on me lâche. J’ai dit… On-me-lâche !
Il secoue violemment les bras, infructueusement, les gorilles le tiennent bien serré.
- Ecoute bien Carson ! Ceci sont les derniers mots que tu entends. Je venais ici quand j’étais gamin. J’adorais venir jouer avec mes copains dans ce grand hangar, au milieu de toutes ces soupes chimiques. On imaginait qu’il y avait des sorcières géantes qui venaient faire leurs potions. Alors tu vois, je connais tout ici. Et ce grand récipient blanc là, est une cuve d’acide chlorydrique. Je ne vais pas apprendre à un chimiste ce que ça veut dire… Tu vas y faire trempette et on retrouvera tes restes – si restes il y a – dans la rivière proche. Dommage. On aurait pu former une bonne équipe. T’aurais même pu diriger le marché avec moi. En son temps. L’idée d’étendre le marché était bonne mais traiter avec les Japs sans moi… Ca non ! D’autant que j’ai faille y laisser la peau. Alors tu payes ! Allez ! Balancez-moi ce petit con !
Les hommes entraînent Nick près d’une sorte de grue dirigée par un autre des cinq hommes. Ils l’attachent solidement et accrochent le mousqueton à ses chaînes. L’homme aux commandes met la machine en route et Nick commence de s’élever.
- Non ! Fais pas ça Kronsberg ! Tu le regretteras ! Tu vas crever !
- Tu n’es pas en posture de me faire des menaces. Répond Kronsberg en riant.
- Repose-moi et arrête tes conneries ! D’accord ! Je reconnais avoir fait n’importe quoi mais ça arrive à tout le monde de faire des erreurs. J’ai compris la leçon et m’a passé l’envie de récidiver. Tu peux me reposer maintenant. Allez ! Arrête ça ! Tiens on partage : quatre-vingt dix pour toi, dix pour moi ! Entendu ? Ou mieux je te donne tout !
Carson devient hystérique.
- Ta gueule Carson ! C’est trop tard. Sniper actionne la poulie.
- Non Snip ! Tu ne vois pas que c’est un meurtre ce que tu fais ? Rappelle-toi nos escapades, hein ? Nos chasses et… Arrête cette poulie ! Arrête-la bordel !… Non ! Je vous crèverai tous…
- Bon. Nettoyez-moi le terrain et qu’il ne reste aucune trace de ce petit incident.
Un être d’un blanc éclatant, étendu sur l’herbe près d’une rivière, lui dans la nuit éclairée par la Lune. A la surface de l’eau, entraînée par le courant, flotte une mue d’homme. Sur l’herbe, l’être s’anime.
Oh ! Les enfoirés… Ils m’y ont jeté… Mais que m’est-il arrivé ? Mes mains… Blanches… Blanches et lisses… Mon visage… Oh mon dieu ! Tout a disparu… Mes cheveux, ma peau, mes yeux… Tout ! … Etonnant, je vois, jentends, mais je n’éprouve pas le besoin de respirer, alors que tout a disparu. Enfin, quoi qu’il en soit, je suis toujours en vie. Ils vont voir maintenant… Ils peuvent commencer de choisir entre chêne et sapin...
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