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Lorsque tout arriva, Ricardo Ojo était allongé sur la moquette de sa salle de sport. Il regardait fixement le plafond, les mains derrière la nuque, les jambes croisées, comme il les croiserait s’il était assis en tailleur. Les yeux étaient immobiles, ne cillaient pas et si quelqu’un l’avait vu à cet instant, il aurait très certainement tendu la main pour refermer ses paupières. Ricardo avait en effet la capacité de ne pas ciller et de ne pas reprendre d’air après une expiration complète, pendant presque trois minutes. Pendant ce laps de temps, il passait véritablement pour mort. Il était torse nu et sur sa poitrine cuivrée reposait une croix catholique. Ojo était particulièrement croyant bien qu’il ne pratiqua que peu. Ses muscles, encore qu’ils n’étaient pas bandés, montraient un homme particulièrement fort et en bonne santé. Il ne pensait pas. Du moins ne réfléchissait-il pas au lendemain. Il méditait sur son engagement dans la clique de Konsberg et le groupe en général.

  Oui je crois que j’ai bien fait d’accepter le boulot de Kronsberg. C’est risqué mais on touche bien. Quoi qu’en pensent certains, il est vachement bien organisé. Nous sommes cinq – sans compter ni lui, ni feu Carson – à la tête de cinq branches et nous dirigeons cent hommes de main chacun. Ce qui est considérable. Addams en tant que Secrétaire Personnel d’Anthony Kronsberg. Secrétaire Personnel de mon cul oui ! S’il faisait partie d’une secte il placerait Anthony comme gourou. Secrétaire Personnel tu parles ! Il s’appellerai Lèche-Bottes, les gens ne feraient pas la différence. Et monsieur Kronsberg par-ci, et monsieur Kronsberg par-là, et que je le suive ici, et que je le suive là. C’est à se demander s’il ne frotte pas le dos du patron quand celui-ci prend sa douche. Ensuite, il y a Dufour. Ah ! Simon ! Un maître-chanteur de premier ordre. Il trouve constamment quelque chose de nouveau, et quand il ne trouve rien : il invente ! C’est quand même le seul gars que je connaisse qui vous crée une liaison avec votre belle-sœur et qui vous montre des photographies en bonne et due forme – pour appuyer ses dires – de rendez-vous qui n’ont jamais eu lieu, sans parler des lettres et autres. Il faut avouer qu’il est drôlement fort tout de même. Après vient Cameron… T’inquiète pas qu’il doit toucher aussi celui-là. Entre la Neige, l’héro, l’opium… La pluie elle tombe pas en gouttes chez lui, elle tombe en coupures de cinq cents dollars. Sinon, il est gentil Henry. Pas un mot plus haut que l’autre, il ne parle que lorsque c’est vraiment nécessaire. Il fera son chemin ce petit. Ce nain ! Ca revient au même. Avec son mètre cinquante-cinq la seule chose qu’il arrive à dominer c’est sa maîtresse… Et encore, uniquement quand elle est à l’horizontale. Et comment s’appelle-t-il le bonhomme rondouillard ? Berthmin… Berthman ! David berthman, c’est ça. Il a un bon boulot lui aussi. Prostitution… Ca doit être dur pour lui… Choisir les filles, les… tester… Ca doit être épuisant. A mon avis c’est pas une maison qu’il a c’est un harem. Enfin il y a Philipps. Lui son trip ce sont les meurtres en séries. Il tue pour son plaisir. D’ailleurs ses copains l’ont appelé « Sniper ». Il paraît que tout petit il s’amusait à faire souffrir les animaux et qu’il les observait durant leur agonie. De tous, ce doit être celui qui m’effraie le plus. Il n’exprime rien. Je l’ai vu à l’œuvre un jour : il expliquait à sa victime en la pointant avec son Schnellfeuer pourquoi il allait la tuer et soudain, sans prévenir, à la fin d’une phrase, la balle est partie.Le coup amorti par le silencieux. La femme s’est écroulée. Le sang s’est écoulé sur le tapis et sur le visage de la femme. Ses yeux étaient fermés à l’exception du troisième… J’avais envie de la recouvrir… De l’allonger… Et me retournant pour lui en parler, je le vois qui m’attendait pour partir. Son arme était rangée, une cigarette brûlait au bout de ses lèvres, sous son chapeau, un regard froid, inexpressif et noir… Tellement noir… Le même regard que lorsqu’il tua Carson. La pupille remplissait tout l’espace et l’on n’y lisait rien. Pauvre Carson… J’aurais bien fait quelque chose mais il n’aurait pas été le seul à nager la brasse dans la cuve… Qu’est-ce que c’est ?


  La porte d’en bas venait de s’ouvrir. Il ne l’aurait pas entendue dans d’autres circonstances mais dans ce calme, le bruit de la clenche paraissait décuplé. D’un bond il se mit debout. Le silence devenait de plus en plus lourd. La porte venait de se refermer. Instinctivement sa main saisit un Smith et Wesson qu’il pointa sur une cible invisible. De son front ruisselait l’anxiété. Il avança lentement vers la porte, épiant le moindre bruit.

  Toutes les pièces étaient assombries par les persiennes. Après le brouillard de la veille, suivi de la pluie diluvienne, avait succédé un temps similaire au temps estival et dans certaines maisons la température atteignait trente-cinq degrés à l’ombre. Seules des rais de lumière permettaient de distinguer de façon grossière les contours des choses avoisinantes. Il reconnut ainsi le haut de l’escalier et s’appuya de la main sur la rambarde.

  Des poussières voletaient dans le filet de lumière et Ojo avait le sentiment d’être dans l’espace. Non pas qu’il trouvât cela beau mais elles exerçaient une sorte de fascination sur lui. Il avait le sentiment d’être dans l’espace au milieu des étoiles. Les étoiles disparurent – un nuage devant le Soleil sans doute – et Ricardo reprit contact avec la réalité. Il finit de descendre les dernières marches. Ses yeux accoutumés à l’obscurité, fouillèrent la noirceur du hall. Comme il ne voyait rien il se dirigea vers la porte d’entrée. Rien d’anormal. Le verrou était tiré et la clef était toujours dans la serrure. Rien n’avait bougé. Tranquillisé, il remonta vers sa salle de sport.

  Etonnant qu’il n’y ait rien. Pas mon genre d’halluciner. Ce doit être chez le voisin. Ou un volet. Je suis trop tendu. Un jour ou l’autre ça me sera fatal. Un bon bain chaud avec une bière et de la lecture et ça ira mieux.


  Il ne lui restait plus que quelques marches et soudain le pressentiment revint. La main se cramponna sur la crosse. Au poids de l’arme il savait qu’elle était chargée et ceci le rassura un peu. Il avança sans bruit. Son coeur se mit à battre plus vite. Il n’en doutait plus : quelqu’un était en haut, quelqu’un qui était chargé de l’abattre. Pour la première fois de sa vie, il eut peur pour lui. Il avança malgré tout. Comme un oiseau hypnotisé par un python et qui refuse d’échapper à la mort. Il avança à la manière d’un automate, paupières immobiles, oreilles à l’affût du moindre bruit, index sur la gâchette, la crosse de son revolver à moitié brisée par la force avec laquelle il la tenait. Une marche encore. Il déboucha dans le couloir de l’étage. Il ouvrit violemment chaque porte qu’il rencontrait. Sa chambre, le bureau, la salle de bains… Il ne restait qu’une pièce : la salle de sport. D’un pas décidé, il pénétra dans la salle.

  La pièce était vaste et l’homme pouvait être partout. Il sonda la pièce du regard mais ne distingua rien. Puis il se sentit saisi au niveau de la taille par une force peu commune. Son arme tomba au sol et une balle en partit. Puis il tournoya, tournoya et s’envola vers le râtelier de barres et poids. Son dos nu s’écorcha sur les supports vides et commença de les rougir. Un poids chût sur sa jambe et il entendit un craquement sec. Il tourna la tête vers la direction de son décollage. Et il vit.

  Il vit une forme humaine, immobile, avec au sommet du corps une boule avec un unique œil et une unique arcade sourcilière. Et cet œil le fixait. Et lui-même fixait cet œil, comme il fixait les étoiles. D’ailleurs n’étaient-elles pas là, les étoiles, flottant autour de lui ? Et il se sentit auréolé de lumière.

  Puis il eut une autoscopie. Il se voyait entouré de mille feux dans une obscurité grandissante. Les étoiles valsaient autour de lui, valsaient, valsaient, de plus en plus vite. Vite, vite, vite. Et il était entraîné par elles dans une ronde sans fin. Il tournait, valsait, valsait… Ronde, valse, vite, ronde, valse, vite. Et cette obscurité qui engloutissait tout l’univers, de tous côtés, et ne laissait derrière elle que du vide. Ce vide tellement épais que si Ricardo avait tendu la main il aurait pu le palper. Puis la vision s’éteignit, les étoiles disparurent et il vit l’Oeil qui s’approchait de lui.

  Il voulut bouger mais sa jambe était cassée et un énorme hématome laissait suggérer l’hémorragie. Il se mit donc à ramper tant qu’il put, le simple fait de forcer sur son membre lui arrachait des cris. La chose qui n’était plus qu’à quelques mètres saisit une barre du râtelier et s’approcha encore plus de lui. Il était acculé à l’un des murs de la pièce et voyait son agresseur arriver lentement. Il savait qu’il était venu pour le tuer mais son cerveau ne s’en souciait pas, il regardait l’homme venir. Sa démarche lui rappelait quelqu’un… Soudain, il se souvint et sa main droite caressa la croix qui pendait à son cou tandis que, mentalement, il récitait une prière en espaňol.

  L’homme était maintenant en face de lui. Il l’observait en détail de son œil mort. La barre fut soulevée pendant un long moment, moment durant lequel l’assassin réfléchissait à son geste. Puis elle redescendit et finit de lui briser les os de ses jambes. Elle s’abattit une fois, deux fois, et la peau de la jambe s’aplatit n’étant plus soutenues par l’ossature. Par endroits la chair était entamée et du sang s’écoulait. A d’autres endroits, des tendons et des lambeaux de muscles saillaient. La barre s’envola de nouveau, le nargua de toute sa hauteur et il sentit brusquement une douleur intenable dans la poitrine. Un côte s’enfonça dans un de ses poumons. La tige lui écrasa ensuite le sternum. Puis elle retomba deux fois, deux ultimes fois. Chacune d’elle vit l’éclatement d’un poumon. Ricardo perçu une vive douleur au poumon droit. Il eut le sentiment qu’il explosait et il cracha un jet rouge qui vint ternir la blancheur du cadavre. Il bava encore une fois, quand l’autre poumon fut abîmé, et partit rejoindre les étoiles.

  Le meurtrier se pencha au-dessus de Ojo et il répéta les gestes qu’il avait déjà faits sur le corps épouvanté de Cameron. Il saisit l’oeil et s’aidant de l’autre main, déchira en deux le nerf. Puis il plaça l’oeil symétriquement à l’autre. Ces deux yeux cherchèrent le moyen de voler à Ricardo son arcade sourcilière droite et c’est à l’aide d’un crochet pour maintenir les poids sur les barres qu’il entama la peau. Il tapa jusques à ce que la boîte crânienne apparut. Puis comme sur l’autre, il arracha le tout et s’enfuit comme il était venu.

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