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Le passage chez Philipps fut on ne peut plus rapide.

  James était comme à son habitude à son café, où il buvait un expresso très serré. Il venait généralement là pour réfléchir à lui et aux autres. Il n’aimait pas les Autres. Ils ne comprenaient rien à la vie. Lui avait compris, lui avait eu la révélation. Ce n’était pas une chance de vivre. Il fallait jouir de cette salope avant qu’elle ne vous bouffe complètement.

  Quand l’homme entra, James le remarqua tout de suite et son regard se posa sur lui comme s’il s’agissait d’une apparition. Et dans un sens, c’en était bien une. L’imperméable s’approcha de sa table, le confortant dans son idée. Oui c’était bien lui. James fixa ce début de visage et ses yeux rencontrèrent ceux de sa mort. Il commença de parler…

  « Je savais que vous viendriez. Je sais qui vous êtes et pourquoi vous êtes ici. Je sais aussi que je ne vous échapperai pas et ne chercherai donc pas à le faire. J’arrive en quelle place ? Quatrième ? Non. Cinquième position… Vous ne répondez pas ? Ce n’est pas la peine, j’ai lu les journaux : Alertés par une odeur de gaz, les voisins appellent la police. Bilan : deux cadavres mutilés, les enquêteurs pensent à un meurtre d’aliéné ; Accident routier : un automobiliste est retrouvé empalé à son dossier, le commissaire Valdez se refuse à tout commentaire.

  Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Parce que je vous ai tué ? Apprenez que je n’ai rien éprouvé pour vous lorsque je l’ai fait. Je n’éprouve jamais rien. Je fais. Vous ne me tuez pas tout de suite ? Ah, je vois, on savoure l’angoisse de sa victime. Sachez que je n’ai pas peur de vous. A force de donner la mort, on finit par la connaître plutôt intimement et je n’ai donc pas peur d’elle.

  Vous voulez savoir pourquoi je tuais ces personnes ? Vous êtes vous déjà demandé pourquoi vous viviez ? Moi oui. Certes je n’ai pas trouvé la réponse tout seul mais j’ai compris. Nous vivons pour mieux mourir. Un jour ou l’autre nous disparaitrons et ce jour-là nous nous rendrons compte du temps que nous avons perdu. Nous nous apercevrons que tout ce que nous avons fait ne rime à rien et que la Terre ne s’arrêtera pas de tourner pour autant. »

  Il s’arrêta et dévisagea de nouveau son interlocuteur. Celui-ci ne bronchait pas. Il le regardait d’une façon farouche et James sentit qu’il se contenait pour ne pas lui sauter à la gorge. Il avait parlé d’une voix douce et calme et il savait que malgré le brouhaha environnant, les Oreilles l’avaient écouté. Elles l’avaient même écouté avec attention. Oui, n’avait-il pas eu l’air d’être étonné d’entendre ce genre de discours ? Comme s’il ne s’était pas attendu à entendre des propos pareils, conforme à ce qu’il pensait. Pendant un instant, James se demanda s’ils n’avaient pas la même conception de la vie. Il décida d’en profiter :

  « Je voudrais poursuivre mon monologue dehors si vous le permettez ? On ne s’entend plus ici. »

Ils sortirent donc. L’Autre n’avait pas bougé pendant tout le laïus, ses yeux ne l’avaient pas quitté. Il ne comprenait pas comment cet homme pouvait lui résister. Tous sans exception, ils avaient plongé dans leur passé et lui non. Pourquoi ? Et qu’était donc cette confession qu’il lui avait tenue ? Certains mortels connaîtraient-ils la Vérité ? Serait-ce ce qui l’aurait sauvé de son voyage ? Il ne comprenait pas et soudain il eut peur. Peur pour lui. Et s’il n’était pas seul, s’il n’était pas un Dieu ? Et si… S’il était mortel lui aussi, comme tous ceux qui le dégoûtaient ? Et s’il n’existait pas ?

  Le bruit du café fit place à celui de la rue, et bien que les passants et les divers véhicules qui circulaient fissent un vacarme plus important, les deux personnes furent submerger par une vague de silence. Tant et si bien que James eut le sentiment qu’ils étaient seuls, et il reprit la conversation.

  « Donc je disais que certains s’en rendent compte et d’autres moins. Ces derniers ne s’en rendent pas compte puisqu’ils ne savent pas ce que profiter de la vie signifie. Profiter de la vie, c’est ne plus vivre en Aveugle. Vivre en Aveugle, c’est ne pas savoir que la vie n’a pas de sens. Donc profiter de la vie c’est savoir que la vie n’a pas de sens et donc continuer de vivre en tentant d’en tirer le maximum de bénéfices en sachant que cela ne rime à rien. Comme ils ne savent pas en profiter, j’ai eu l’idée de les éliminer. Les uns après les autres. Comme ils ne comprenaient rien, ils ne méritaient pas que l’on se soucie d’eux. Je n’ai donc jamais rien éprouvé, ni regretté un meurtre. Vous savez, quand je tue je suis dans un état second. Ce n’est pas moi qui tue, c’est mon Ca – mes instincts. Mon Moi – ma conscience – n’est pas marqué du sceau rouge des cadavres. Quand j’étais petit, je tuais les bêtes. Car les bêtes sont les premiers êtres vivants qui ne comprennent rien. Je les faisais souffrir pour qu’elles saisissent bien la chance qu’elles avaient laissée passer. »

  Il parlait sans interruption, ne se rendant pas bien compte ni du chemin parcouru, ni du fait que son compagnon l’emmenait dans des ruelles de plus en plus sombres. Et James continua de parler. Quand il commença de s’apercevoir de la tournure que prenaient les événements, il s’arrêta.

  « Alors c’est maintenant que vous avez décidé d’en finir avec moi ? Je suppose que je dois vous laissez faire… Eh bien allez-y ! Il fallait bien que mon tour arrive un jour ou l’autre. Faîtes je suis prêt. »

  L’être tendit la main puis resta interdit. Décidément, Phillips le dérangeait. Il ne remontait pas le cours de ses souvenirs, il lui présentait les mêmes idées que lui et il l’invitait à le tuer sans crainte. Mais qui était-il donc ? Il en vint même à se demander s’il méritait de mourir ?

  C’est alors que, comme en réponse à sa question, sa main descendit et saisit le nez de sa victime. Il pinça tant qu’il put et commença de tourner comme on tourne le robinet d’une gazinière. Une voix intérieure tenta de le retenir mais il ne s’en soucia pas. Il entendit le cartilage craquer et la chair se déchirer. Et bientôt apparut un trou béant, sanguinolent, qui ressemblait à une cascade. Il installa ce nouvel organe sur son visage. Et après qu’il eut fini, il empoigna vigoureusement l’homme et le projeta contre l’un des murs de la ruelle. Il entendit la boîte crânienne s’enfoncer. Un peu de cervelle jaillit par les oreilles de l’homme qui s’écroula mort.

  L’être eut un dernier regard pour sa proie qui n’avait pas hurler, juste une expiration un peu forte lorsqu’elle rencontra le mur. Mais rien d’autre.

  Et, des deux yeux morts, coula une larme tandis qu’il s’éloignait.

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