Hôte étrange
Parcourant en courant les couloirs ennivrants, odorants, les sens en avant, le nez pendant, les compagnons d'infortune, forts du succès précédent mais prudents se dirigent au jugé dans l'immense bâtiment. Lard et poulardes, pâtés, et pâtons, fruits de saisons et assaisonnements, menthes et épices, boissons colorées et fromages variés, l'abondance et la bombance appellent les ventres.
Curieux mais pas imprudent Serris s'approche doucement. Les senteurs enivrantes s'emparent de lui, et lentement il s'assoie à la table. Arpal, fatigué ne pense pas à penser, ni parler, ni poser de questions, et pose son pesant séant sur le siège capitoné. Reste Lorcal, impulsif, non pensif, plus réactif que son ami, qui s'installe et se sert un cuisseau braisé. Les mains avides des trois charmés chantent une symphonie de cliquetis fourchetteux, et de déglutitions à l'unisson. Tierces aux pains tranchés, harmonie aérée des crèmes fromagères, et vivier auditif d'octaves de viandes vivement dévorées, s'enchaînent sans peine la lumière amène de la pièce.
L'hôte est là, il observe, et se délecte de leur délice, ne daignant pas les démunir d'une dégustation solitaire. Pourtant sa présence finit par se remarquer, et tranquillement il avance de l'ombre à la lumière. Effroi ! Horreur ! Quelle est cette chose si morose aux joues roses, à l'oeil torve, au nez si morveux ? Tout n'est que désordre en lui, les angles des bras impossibles, les pieds si arqués, si tordu, si malvenus. Sa tête tombe au torse, et semble en fuite, qui n'est pas fou devant lui se serait enfui. S'il n'était que laid, les tristes ladres choqués seraient moins circonspects, mais il n'a d'humain que ses mains, encore qu'elles semblent sans fin, si longues et tordues. Et pourtant, malgré cet aspect malin et farfelu, les membres au désarroi, comme un roi en son palais, il semble sourire, et déclare d'une voix erraillée, enrayée, qui n'a pas parlé depuis des années : "Bienvenue".
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