Chapitre 24 : Le colosse aux pieds d’argile

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Lorsqu’ils ont fini de s’enlacer tendrement, Erwann propose de prendre le volant pour soulager sa compagne d’un second trajet. Depuis qu’il sait que Gwendoline est enceinte, il souhaite la préserver, et maintenant qu’il est dehors, il va enfin pouvoir s’occuper d’elle. Elle accepte de bon cœur, ravie de s’épargner de nouveaux efforts.

Il la conduit jusqu’à la voiture, impatient de quitter les lieux. Puis l’aide à grimper sur le siège passager, après lui avoir ouvert la portière. Il l’embrasse une dernière fois avant de la refermer. Gentleman un jour, gentleman toujours... Il fait le tour du SUV, dont il admire la carrosserie impeccable et les jantes chromées, brillantes de propreté. En s’installant au volant, il demande :

— Tu viens de laver la bagnole ou quoi ? On dirait qu’elle est neuve.

— Je l’ai emmenée chez CarWash, répond-elle sans se démonter. J’ai demandé à ce qu’il la lave, la brique, l’astique et surtout, surtout, qu’il la désinfecte du sol au plafond, sièges compris.

Erwann fait la grimace, comprenant à quoi elle fait référence. Savoir qu’il avait démonté des nanas dans sa voiture avait littéralement fait vomir sa compagne. Pourtant, cette dernière lui fait un clin d’œil mutin et affiche une moue taquine.

— C’est bon, mon amour, tout est digéré depuis.

— Sûr ? demande Erwann en se tournant vers elle, l’air préoccupé. Tu m’en veux ?

— Bien sûr que non. Je t’aime, je prends le package. Je n’oublie pas que lorsqu’on s’est rencontrés, tu m’as acceptée alors que je me prostituais. Je n’ai pas de leçon à te donner. On peut passer à autre chose désormais, je t’assure. Tu es dehors et j’ai envie qu’on profite de cette chance que l’on a de pouvoir recommencer là où on s’est arrêté.

— Amen ! Et au cas où je ne te l’aurais pas assez répété, je suis désolé, mon amour. Vraiment désolé.

— Je le sais, dit-elle en posant une main sur sa cuisse. Maintenant, allons prendre un repas digne de ce nom, toi qui n’as rien mangé de potable depuis une éternité.

— Tu me proposes quoi, un remake du dernier repas d’un condamné ?

— Non, le premier repas d’un homme libre.

— Que Dieu t’entende, mon amour.

— Il m’entend toujours, mon chéri.

Sur ces entrefaites pleines de spiritualité, ils décollent, heureux et légers pour la première fois depuis longtemps. Dès lors qu’ils s’éloignent du parking de la maison d’arrêt de Rennes-Vézin, Gwendoline ne quitte plus son homme des yeux. Au volant de son BMW, elle l’observe reprendre ses marques. Ses Ray-Ban noires posées sur le nez, il paraît heureux de pouvoir conduire à nouveau. Elle sait que le moindre petit geste du quotidien dont il a été privé a d’ores et déjà une intense saveur de liberté.

Erwann trace droit devant, regardant s’éloigner derrière lui les lieux de son incarcération. Dans le rétroviseur, la silhouette de l’établissement pénitencier devient plus petite, disparaissant peu à peu dans le décor brumeux de l’automne, emportant avec lui les pénibles souvenirs de ces dernières semaines. Il sourit, une main posée sur la cuisse de sa compagne, les doigts entrelacés aux siens. Gwendoline continue de le scruter. Même si elle porte ses lunettes de soleil, il sent son regard insistant sur lui.

— Pourquoi me fixes-tu ainsi mon amour ?

— Je te trouve beau.

Gêné par ce compliment inattendu, Erwann se met à rire. Gwendoline le voit rougir, déstabilisé par la remarque, avant de se redresser sur son siège pour se concentrer sur la route. Son sourire affiché dévoile deux belles rangées de dents blanches mais cache une blessure moins visible. Bien que son physique athlétique dégage une impression de force, elle sait son compagnon ébranlé par les derniers évènements. Quelque chose en lui est brisé. Par amour pour lui, elle compte s’atteler à restaurer cette confiance en la vie qui semble l’avoir quitté. Il ne fait aucun doute pour elle qu’Erwann est solide, seules ses peurs l’amenuisent. Elle a conscience de cela. Son homme est un colosse aux pieds d’argile, mais c’est aussi cela qui la fait fondre. Elle aime sa force tranquille, derrière laquelle se terrent ses fragilités. Ce sont ses paradoxes et ses ambiguïtés qui la séduisent et la font vibrer.

C’est ainsi qu’elle le retrouve aujourd’hui, drapé d’un calme apparent sous lequel dort son caractère trempé. Au volant de son bolide, il reprend courageusement les commandes de sa vie qui a volé en éclats. Elle observe longuement son profil grec, son front large, son nez droit et son menton bien aligné. Puis ses yeux se délectent du mouvement de sa pomme d’Adam, bien visible sous la barbe taillée, qui monte et descend à chaque fois qu’il déglutit. Elle détaille ensuite ses mains, grandes et soignées. Des mains d’artiste, peu habituées à être utilisées pour les tâches subalternes. Erwann lui a souvent confié qu’il était nul en bricolage, en jardinage et que la mécanique ne l’intéressait pas. Pas manuel pour deux sous, ses mains lui servent avant tout à créer des images... ou à d’autres activités. Elle les admire, se souvenant de leur agilité, de leur douceur, des caresses qu’il lui a prodiguées avec. Posées sur le volant, elles dansent sur le cuir noir, prestes et habiles.

Lorsqu’ils arrivent sur un rond-point, un acte d’une grande banalité la fait frissonner. De sa paume droite, doigts écartés en l’air, Erwann fait tourner le volant presque intégralement sur lui-même, d’un rapide mouvement circulaire du bras, avant de le relâcher pour qu’il reprenne sa place, aidé de la direction assistée. Ce simple geste, tout en souplesse et fluidité, la retourne, sans qu’elle sache vraiment pourquoi. Quelque chose de viril émerge de cette assurance, de cette capacité à dominer la machine. Erwann dirige les opérations avec sérénité. Il est maître de la situation, dégageant cette énergie mâle qui la rassure et la fait craquer.

Sentant ses yeux inquisiteurs toujours posés sur lui, il reprend :

— Ça me rappelle le trajet que l’on a fait pour aller au phare. Tu me dévisageais de la même façon. Ce jour-là, tu m’as dit que tu trouvais un homme au volant très sexy.

— C’est toujours le cas. Non, rectification, c’est encore plus d’actualité. Parce que c’est toi.

Ne comprenant pas avec certitude où elle veut en venir, Erwann lui jette un coup d’œil furtif. Puis repose ses yeux sur la route, interloqué. Est-elle en train de suggérer de... ? Dans le doute, il la regarde de nouveau. Son air espiègle en dit long sur le désir qu’elle ressent. La main d’Erwann remonte un peu plus haut sur la cuisse de sa compagne, glissant sur le voile noir de ses collants. La chaleur de son entrejambe réchauffe sa main, avant d’échauffer son corps tout entier. Hésitant un instant, il demande :

— Tu veux ? Vraiment ?

Gwendoline sourit, démasquée. Elle hoche la tête, agrippant davantage ses doigts à ceux de son compagnon. Il n’en faut pas plus à Erwann pour donner un coup de volant et prendre la première sortie qui se présente. Après cette embardée in extremis, l’obligeant à mordre sur le marquage au sol, il prend la direction d’un chemin de terre. Éloignés des voies les plus empruntées, il gare la voiture dans une voie sans issue. Puis descend le premier et vient lui ouvrir la portière pour l’aider à en faire autant. Sans mot dire, il l’a conduit à l’arrière en jetant un œil circulaire autour d’eux. Personne à l’horizon, ils sont seuls au monde. Parfait. Elle entre la première, suivie de près par son compagnon. Lorsque le véhicule est verrouillé, il l’attrape par la taille en riant et l’allonge sur le dos.

Voilà ce qu’elle aime chez lui. Erwann est un homme d’action qui n’hésite jamais à prendre les choses en main.

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