Chapitre 13 : Un monde de dualité
Gwendoline se relève d’un bond, attrape son sac à main et se précipite vers la sortie. Manuella la suit et bloque la porte avant que son amie n’ait pu l’ouvrir.
— Mais qu’est-ce qui te prends, s’écrit Gwendoline, apeurée.
— Gwen, excuse-moi... j’ai dépassé les bornes, je le reconnais. Mais j’ai peur pour toi. Tout ça me fait peur. On dirait une escalade vers le malheur et ça ne te ressemble pas d’accepter ça. Toi qui as toujours choisi d’aller vers lumière, pourquoi les ombres d’Erwann t’attirent-elles autant ?
Son ton radouci étonne Gwendoline, autant que la question qui vient de lui être posée. Bien qu’elle se tienne toujours sur ses gardes, elle lui répond honnêtement.
— Parce qu’il n’y pas de lumière sans obscurité, Manuella. Pas de haut sans bas. Pas d’amour sans haine, pas de souffrance sans joie, pas de douleur sans apaisement, pas de paix sans guerre, pas de défauts sans qualités.
— Oui, j’ai compris l’idée. Rien n’existe sans son contraire. Donc, tu vas faire quoi ? Ramener Erwann vers la lumière ?
— Ce n’est pas à moi de le faire. C’est à lui et il le fait déjà. Mais il a besoin d’aide, comme tout à chacun. J’ai une thérapeute qui m’aide, et la naissance d’Emma y a grandement contribué aussi. Et toi, et tous ceux dont j’ai croisé le chemin. Je n’ai pas quitté mon monde d’ombres du jour au lendemain. Mais j’y suis arrivée par ma volonté et parce que l’on m’y a accompagnée. Erwann est prêt à faire ce voyage, je le sais. Mais il ne pourra pas le faire seul. J’espérais te rallier à notre cause en venant ici, mais j’ai dû me tromper.
Manuella baisse les yeux, confuse et silencieuse. Les questions se bousculent dans sa tête. Elle comprend que pour elle, c’est sa dernière chance de garder son amie, qui a déjà fait son choix. Elle se sent si indécise qu’elle décide de prendre le risque d’ouvrir son cœur pour une fois. Parler de ses sentiments n’est pas son fort, mais elle a l’impression que c’est sa seule option pour toucher le cœur de Gwendoline. Elle reprend :
— Tu sais que je n’ai pas la même façon de penser que toi... mais ces derniers temps, j’ai beaucoup réfléchi à tout ce que tu as essayé de m’enseigner ces dernières années... Je me suis dit que tu avais peut-être raison.
Elle fait une pause, cherchant les bons mots pour ne pas froisser son amie.
— Et puis... tu reviens en m’annonçant ça et j’ai l’impression à nouveau de perdre pied. Je ne suis pas aussi forte que toi, prête à déplacer des montagnes. Quand quelque chose m’atteint, j’ai toujours le sentiment que je n’arriverai pas à le surmonter. Et là, j’ai peur, vraiment. Je suis inquiète. Il s’est passé tellement de choses depuis que tu es avec lui. Je n’arrive plus à suivre. Mais c’est parce que je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. Il faut que tu me croies.
La voix suppliante de son amie laisse la visiteuse pantoise. Depuis son arrivée, elle est plongée dans un monde parallèle. Manuella a constamment l’air d’osciller entre deux pôles extrêmes, n’arrivant pas à délibérer avec elle-même sur l’attitude à adopter. On dirait un pendule en recherche d’équilibre. Voyant sa meilleure amie si troublée, Gwendoline a envie de lui offrir une nouvelle chance.
— Tu ne le connais pas, Manuella, dit-elle le plus calmement possible malgré la tension qui l’habite. Mais comme tu ne me laisses pas l’occasion de t’expliquer les choses, je ne peux pas t’aider à y voir plus clair. Erwann n’est pas celui qui tu imagines.
— Bien. Reviens t’asseoir, s’il te plaît. Cette fois, je suis prête à t’écouter jusqu’au bout.
Toujours un peu sur la réserve, Gwendoline se réinstalle face à son amie et se met à lui expliquer toute l’histoire d’Erwann depuis le jour de son arrestation. Elle lui raconte les parloirs difficiles, la séparation d’avec ses enfants, ainsi que l’arrivée d’Anthony, qu’elle ne manque pas de mentionner. Tant qu’à narrer les derniers évènements, elle n’omet pas les étapes intermédiaires, y compris certaines du passé, en évoquant l’abandon paternel, la trahison de Solvène et l’infidélité d’Alice.
Son récit éloquent est débité à la hache, tronçon de vie par tronçon de vie, jusqu’à ce qu’elle ait épuisé son stock d’informations.
— Il va falloir que tu choisisses ton camp, Manuella, car avec les accusations qui l’accablent, Erwann est dans la merde. Moi, je suis derrière lui, et Richard aussi. On lui a trouvé un avocat béton et il a de grandes chances de s’en tirer. Mais s’il y a un procès, ce sera vraiment compliqué. Notamment à cause de cette ambiance imbuvable à la « me too ». Une ambiance dans laquelle, dès qu’il s’agit de la gent masculine, tout le monde sort son tomahawk.
— Une ambiance imbuvable à la « me too » ? répète Manuella, interloquée.
Gwendoline a toujours été féministe. La remarque la fait tiquer.
— Exactement.
— Tu trouves qu’elles ont tort toutes ces femmes ?
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