Chapitre 23 : Yin & Yang

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Pour la seconde fois, Gwendoline attend la sortie imminente de son homme. Aujourd’hui, elle n’est pas stationnée devant le commissariat de police comme précédemment, mais en face de la grande porte de la maison d’arrêt de Rennes. Le nouvel avocat d’Erwann, Maître Le Tonquédec, a tenu parole. Sa première mission est remplie. Il a mis fin à la détention provisoire de son client, comme il l’avait prédit à Gwendoline, lors de leur entretien au café. Un avocat qui tient ses promesses, voilà ce dont ils ont besoin pour retrouver foi en la justice.

Le portail en fer s’ouvre dans un lancinant bruit de gonds rouillés. Le son de la liberté. Le surveillant de l’administration pénitentiaire apparaît en premier. Gwendoline relève la tête et l’observe de loin. Le maton est reconnaissable à son costume bleu nuit barré de rouge et à son trousseau de clefs qui cliquettent à sa ceinture. Une musique que ne supporte plus d’entendre Erwann, qui se présente juste derrière lui. Pour lui, elle symbolise son incarcération, une des périodes les plus sombres de sa vie.

Il est neuf heures tapantes quand l’ex-détenu met le pied dehors pour la première fois depuis des semaines. Aussitôt, la sensation d’oppression qui l’habitait jusque-là disparaît, comme emportée par la légère brise de cette fin d’automne. Le regard d’Erwann scanne la rue et tombe sur la silhouette de sa compagne. Elle se tient debout de l’autre côté de la chaussée, adossée à sa portière de voiture, exactement comme lorsqu’elle est venue le chercher après sa première garde à vue. Elle est tout sourire lorsqu’il marche vers elle de son allure décontractée, col de manteau relevé et mains dans les poches. Sous son blouson aviateur, il porte un sweat noir et un pantalon gris, ainsi que des baskets blanches aux pieds. Simple mais efficace. Dans sa tenue sans cérémonie, Erwann fête sa libération. Son visage est rayonnant. Lorsqu’il avance vers elle, il est beau comme un prince, comme toujours.

— Ça va devenir une habitude ! s’exclame-t-elle, taquine, en l’accueillant à bras ouverts.

Erwann lui rend son sourire et l’embrasse tendrement. Leurs lèvres avides se rejoignent, se dévorent, bien en peine à contenir leurs désirs. Il la serre contre lui, le visage enfoui dans son cou. Puis s’enivre de l’arôme sucré de sa peau, de l’odeur gourmande de ses cheveux. Après l’avoir respirée goulûment comme un affamé, il lui reprend la bouche, insatiable. Puis laisse éclater sa joie en la portant dans ses bras pour la faire tournoyer autour de lui. Elle crie de surprise mais se laisse emporter par son enthousiasme. Dès qu’il la repose à terre, il recommence à l’embrasser, incapable de résister. Il l’encercle de ses bras, la presse fort contre lui, attentif à ne pas lui écraser le ventre. Puis pose sa main sur le petit renflement qui se dessine au niveau de son abdomen. Elle porte une robe noire courte, arrivant à mi-cuisses et assez prêt du corps. Cette tenue souligne l’avancement de sa grossesse, de plus en plus visible. Une fois qu’il a fini de la détailler d’un regard évocateur, il retrouve sa voix.

— Tu es tellement belle mon amour. Je suis si heureux de te retrouver.

— Moi aussi, murmure-t-elle. Tu m’as tellement manqué, mon chéri.

Ils s’embrassent de nouveau, les yeux pétillants de joie. C’est un grand jour pour tous les deux ; il signe la fin de la détention provisoire d’Erwann. Cependant, l’affaire criminelle dans laquelle il est toujours suspect est loin d’être réglée. Ils en ont conscience mais cette première étape est capitale et à marquer d’une pierre blanche. Et pour ce faire, Erwann a troqué sans regret sa privation de liberté entre quatre murs pour une simple surveillance aménagée. Gwendoline regarde vers sa cheville, qu’elle pointe du doigt :

— Montre-moi ton sésame de sortie ! ordonne-t-elle en riant.

Erwann soulève le bas de son pantalon en toile. Penchée en avant, elle découvre le bracelet électronique duquel son compagnon est tributaire, de jour comme de nuit, sept jours sur sept, pour les semaines et les mois à venir et ce, au moins jusqu’au procès, s’il y en a un. Une mesure préventive pour rassurer la justice mais, surtout, une excellente alternative pour celui qui rêve de retrouver sa famille.

— Ils auraient mieux fait de me mettre directement un boulet et des fers aux pieds, s’ils veulent me transformer en bagnard.

— Moi j’adore, je trouve ça hyper sexy, glousse-t-elle.

— Au phare, tu m’as confiée avoir eu une attirance pour les voyous quand tu étais plus jeune. Je te confirme que cette lubie ne t’est définitivement pas passée.

— J’avoue, je n’y peux rien. Que ce soit ta cicatrice ou cette... chose qui bipe à ton pied, je trouve ça hyper excitant. Ne me demande pas pourquoi, les goûts et les couleurs, tu sais... En tout cas, c’est très seyant. Tu es magnifique, mon amour.

— Ravi que cela te plaise. Heureusement qu’on arrive à la saison froide pour cacher cette horreur. J’aurais l’air de quoi avec un short de plage ?

— D’un ex-taulard à la plage ?

Erwann se met à rire en l’attrapant par la taille pour l’embrasser dans le cou.

— Je vois que tu prends plaisir à me vanner. Et je sens que Bud va s’en donner à cœur joie aussi.

— Ne dit-on pas : « qui aime bien, châtie bien » ?

— Comme si j’avais besoin de ça. Déjà que ma cicatrice faisait peur aux gens, mais alors là, je n’aurais plus aucune crédibilité dans mon travail. Je n’ai plus qu’à mettre la clef sous la porte et vivre de mes rentes.

— Un ex-taulard rentier ? N’est-ce pas là un oxymore ?

— Pas si tu t’appelles Bernard Tapie.

Elle éclate de rire à son tour, puis s’aperçoit qu’il est sorti de prison les mains vides. Elle l’interroge au sujet de ses affaires, de tout ce qu’il a dû cantiner* durant sa détention. Il élude le sujet, indiquant seulement que l’intégralité de ses possessions est restée dans la cellule qu’il partageait avec Amir, son codétenu. Que ce soit ses vêtements et affaires de toilette ; son MP3 et ses écouteurs qui lui avaient permis de s’immerger dans son monde secret en pensant à elle tous les soirs ; ou le poste radio CD qu’il s’était procuré, tout avait été confié à son camarade encore emprisonné. Seuls les livres que Gwendoline lui a apportés au cours de sa détention ont été distribués aux autres prisonniers, Amir n’aimant pas lire.

— J’ai juste pris mon courrier, ajoute Erwann en ouvrant un pan de son blouson aviateur.

Le courrier en question représente un gros paquet de lettres glissé dans la poche intérieure de son manteau.

Erwann ne souhaitait pas faire autrement. Malgré leur différence de caractère, d’âge et de style de vie, Amir et lui ont sympathisé dès le premier jour. Erwann sait que son compagnon d’infortune ne possède guère de moyens. Voilà pourquoi, avant d’être libéré, il a rempli les étagères de produits alimentaires et d’entretien. C’est avec un pincement au cœur qu’il l’a quitté aujourd’hui. En le saluant une dernière fois, il lui a promis de lui écrire, sans toutefois exiger de réponse de sa part. Il sait que le jeune homme n’a que peu d’attrait pour la correspondance. Amir l’a remercié en affirmant qu’il ferait des efforts.

— Juste une ligne ou deux, a-t-il ajouté en plaisantant, pour tu saches que je suis encore vivant.

Les deux hommes, très complices durant les dernières semaines, se sont quittés en se chambrant. Pourtant, derrière les éclats de rire, chacun était attristé par cette séparation. En sortant tout à l’heure, Erwann s’est senti coupé en deux, aussi heureux que coupable. Bien que reconnaissant de pouvoir retrouver les siens, son cœur s’est serré d’abandonner une personne qui l’avait tant aidé dernièrement.

Ces quelques souvenirs voilent son regard, ce que Gwendoline perçoit aussitôt.

— Tu as bien fait de tout laisser, dit-elle en l’étreignant. Pas la peine de conserver les reliques de cette triste période.

En réalité, même si elle ne le dit pas, elle est touchée par sa décision. Elle en devine les vraies raisons, connaissant la générosité de son compagnon. Erwann n’est pas de ceux qui se vantent. Il y a un dicton arabe qui résume bien cette bonté sans fanfare : « que ta main gauche ne sache pas ce que ta main droite a donné ». Une attitude qu’il cultive au quotidien. À l’esbrouffe, il préfère la discrétion. Elle aime cette simplicité, cette humilité, qui rend son geste encore plus fort, encore plus beau.

Si le bracelet électronique qu’il porte au pied est un rappel constant de son côté sombre, savoir qu’il a le cœur sur la main le rend lumineux. Erwann est comme tous les êtres humains, un mélange vibrant de Yin et Yang, de lumière et d’obscurité.

* Cantiner : acheter des produits alimentaires ou d'hygiène en prison par le biais d'une liste de produits proposés et souvent très chers.

Dédicace spéciale lecteur :

Une fois n'est pas coutume, je dédicace ce chapitre (et les suivants ^^) à Divgau, qui a manqué de faire une dépression à cause de la tournure que prenait mon récit ;-) Mais non, regarde, voilà , il est dehors ;-) et je t'assure que tu vas adorer la suite :-D

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