Chapitre 30 : Si tu savais...

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Tandis que les deux hommes font leur ronde d’inspection et qu’Erwann se force à sourire à toutes les idées farfelues que son meilleur ami a prévues, une pensée vient le troubler. Coupant Richard dans son élan, il demande :

— Quentin ?

— Toujours aux abonnés absents.

Erwann soupire, déçu. Il espérait avoir de ses nouvelles, étant donné qu’il a fait ce qui était en son pouvoir pour aider son ex-meilleur ami à sortir la tête de l’eau. Après sa semaine de remise en état chez Erwann, Quentin semblait pourtant aller mieux. Qu’était-il advenu pour qu’il décide de disparaître subitement et tout plaquer, sa maison et son studio de tatouage, ainsi que l’enfant dont il avait découvert la paternité ? Il ne comprend pas ce qui lui est passé par la tête. Certes, son ami d’enfance n’a jamais été connu pour être irréprochable, mais lors de leur dernière entrevue, enfin sobre, Quentin avait l’air de remonter la pente. Erwann croyait que leurs nombreuses discussions à cœur ouvert lui avaient dessillé les yeux. Il n’en est rien visiblement et sa disparition aussi soudaine qu’inattendue l’inquiète. Mais pas autant que ne l’angoisse l’idée de voir ses trois premiers jours de liberté monopolisés par un tas de personnes qui sauront qu’il vient tout juste de sortir de prison.

Erwann soupire encore. Si cela ne tenait qu’à lui, le programme aurait été bien différent : repas simple en famille et soirée à discuter au coin de la cheminée entouré de ses proches. Mais il ne peut pas faire ça à Manon, qui se réjouit de fêter ses seize printemps en grandes pompes.

Pourtant, il reste sceptique. Il tique à propos du nombre d’invités, qu’il juge trop important ; en plus, la sélection lui paraît douteuse et trop hétéroclite pour créer une ambiance homogène. Quant à la soirée mousse, il lui semble plus normal de trouver ça dans Secret Story que pour l’anniversaire d’une adolescente ; et le DJ là-bas, on en parle ? C’est lui ou il a l’air clairement drogué, son spliff entre les lèvres ?

Espérons que cela soit les seules mauvaises surprises auxquelles j’aurais le droit...

Malgré ses craintes, Erwann se botte les fesses intérieurement pour se montrer de meilleure humeur.

— Manon a invité beaucoup d’amis ? demande-t-il d’un ton enjoué à Richard.

L’enthousiasme est surjoué mais ce dernier n’en a cure.

— Pas mal, ouais, une petite trentaine, je dirais. C’est elle la star du moment. Toi, bon, on fera un effort pour ne pas t’oublier, mais en réalité, la fête a davantage pour but de la célébrer, elle.

— Ouais, j’ai compris, en gros, là ou pas là, on en a rien à carrer de ma tronche. Tant mieux, ça m’arrange, j’en ai rien à cirer de la vôtre non plus !

Les deux hommes s’esclaffent de concert, retrouvant leur complicité.

— Ah, mais fais pas ton susceptible, Gaz, on est tous super contents de te savoir enfin dehors ! Et on en avait tous marre de se taper des aller-retours pour te voir au parloir. On a autre chose à foutre de nos vies, tu t’en doutes. Ton fils le premier, d’ailleurs. Il est en pleins partiels et travaille comme un dingue.

Richard se mord la lèvre. Il va falloir qu’il fasse attention à ne pas trop en dire sur Anthony, sous peine de mettre la puce à l’oreille de son père. Durant trois jours, il va s’obliger à surveiller ses propos et peser chacune de ses paroles avant de les balancer, pour éviter de faire une méga gaffe dont il est coutumier. Ce qui veut dire, ne pas trop picoler. De toute façon, boire ou baiser, il faut choisir...

Bordel de chiotte, et moi qui voulais me lâcher pour oublier le taf !

— Anthony nous rejoint après ? reprend Erwann, ignorant des tergiversations intérieures de son meilleur ami.

— Hein ?

— Tu lui as dit de venir, j’espère ? insiste Erwann, un sourcil relevé.

Richard, tiré de ses pensées, prend le train en marche.

— Carrément ! Bien sûr, évidemment. Il n’allait pas louper ça.

Et moi non plus, ah ah. Même s’il va falloir la jouer fine pour ne pas se faire gauler...

— Il reste dormir au moins ? demande encore Erwann.

Dormir, ahah dormir... si tu savais...

— Y’a pas moyen qu’il reparte sur son engin de malheur en pleine nuit ! renchérit le père en fronçant les sourcils devant l’air absent de son ami.

— Nan mais tu me prends pour un débile ou quoi ? Bien sûr qu’il dort là. T’as plus de chambres que nécessaire, donc il a été convenu qu’il se tape l’incruste, comme moi, et comme une partie des potes de Manon qui doivent dormir tous ensemble dans le salon. Je m’attends à une partouze collective.

Ouais voilà, changeons de sujet ! Prenons Manon comme cible, parfait !

— Dans tes rêves, gros dégueu ! Laisse ma fille en dehors de tes plans cradingues.

— Manon dormira dans sa chambre avec Clara, tête de nœud. On les entendra peut-être se faire plaisir, tu me diras !

Richard affiche un air évocateur pour souligner que cette fête risque de prendre une tournure qui va lui plaire.

— Ah !! mais quel pervers ! s’insurge Erwann en lui tapant l’épaule du poing. Tu vas arrêter de tout ramener au cul, nom de Dieu.

Le coiffeur s’approche de lui et fait semblant de le renifler.

— Et c’est toi qui dis ça alors que tu sens le foutre à plein nez !? Tu l’as sautée combien de fois ta meuf avant de revenir ? Vue l’heure qu’il est, vous vous en êtes donnés à cœur joie dans ta bagnole. Elle doit puer le chacal à plein nez !

— Chuuutttt... fait Erwann en riant.

Démasqué, il rougit sous ses lunettes de soleil.

— Alors, c’est qui le pervers, hein, hein !?? le taquine encore son meilleur ami en le malmenant. Tu pouvais pas t’en empêcher, hein, après deux mois d’abstinence.

Disant cela, Richard le plie en deux et frotte ses cheveux bruns mi-longs comme un gosse avant de lui décrocher de légers uppercuts dans le bras.

— Aaaaah mais fous-moi la paix, espèce d’accroc au cul, rétorque Erwann en lui rendant la pareille. C’est toi l’obsédé, je suis sûr que t’as déjà fait ta sélection pour cette nuit.

Erwann reprend le dessus et lui fait la même chose en agitant sa main sur sa crête fraîchement refaite.

— Alors, dis-moi, hein, hein, c’est qui ta proie ce soir, hein, vas-y balance !

Richard éclate de rire en se débattant.

— Quel mec vas-tu démonter, hein, hein ? Un des serveurs ou un des gars qui ont installé le barnum et que t’as sûrement déjà pépom dans mes chiottes !

— Les deux en même temps, plaisante Richard en se dégageant de son emprise.

Il regarde Erwann en train de rire, inconscient de ce qui se trame en coulisses depuis des semaines. Si tu savais, Gaz... Si tu savais qu'il n’y en a plus qu’un qui fait battre mon cœur, se dit-il pour lui-même. Si tu voyais à quel point lui seul me fait cet effet. Mais c’est ton fils, alors tu ne le sauras pas. Il m’a fait promettre de ne pas t’en parler et je sais que si tu l’apprenais, je ne serai plus que la pâle copie d’un Picasso raté.

Richard se sent envahi par toutes ces pensées interdites, par toutes ces confidences qui le démangent. Il aimerait tant partager son bonheur, surtout à son meilleur ami. Mais c’est exactement celui à qui il n’a pas le droit de parler.

Il se mord la lèvre une nouvelle fois. Cette soirée s’annonce épique.

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