Chapitre 31 : Les faux-semblants
Après avoir fait le tour des agencements ensemble, Erwann et Richard reviennent sur leur pas pour rentrer dans la maison, où grouille des grappes de jeunes filles transformées en décoratrices d’intérieur.
Évitant de justesse de marcher dans les cotillons qu’une adolescente déballe de leur carton, Erwann se penche vers Richard d’un air conspirateur et demande :
— Sur la trentaine invitée, ils sont combien parmi les potes de Manon à rester dormir ?
— Une dizaine. Seulement les coéquipiers de son club de surf. Autant de meufs que de mecs, je crois. Je vais laisser des capotes dans tous les coins du salon. Je veux pas que leurs parents te tombent sur le dos à peine sorti de prison.
— Mais t’es malade ! s’égosille, Erwann.
Voyant toutes les têtes se tourner vers lui, il le tire à l’écart par la manche et chuchote :
— Tu veux les inciter à niquer ou quoi ? Nan, nan, nan, on installera les filles d’un côté et les garçons de l’autre. Pas question que cette soirée vire à l’orgie. C’est l’anniversaire de ses seize ans, pas le remake d’American Pie.
— Et tu vas les surveiller toute la nuit les gamins ? Parce que compte pas sur moi ! Je vais me torcher la gueule et finir rond comme une queue de pelle vu que je dors ici. La semaine est finie, je me lâche !
Enfin ça, c’est que je veux te faire croire pour noyer le poisson, parce qu’en réalité, je vais me contrôler puisque j’ai de bonnes raisons de devoir assurer après la soirée...
— J’aurais mieux à faire que de jouer les chaperons pour les potes de ma fille crois-moi, répond Erwann avec un sourire carnassier.
Au même moment, Manon-Tiphaine et Gwendoline se dirigent vers eux en se faufilant au milieu des préparatifs, accrochées l’une à l’autre. Elles ont déjà retrouvé leur connexion d’autrefois et se tiennent par le bras telles deux vieilles amies.
En parlant de « vieilles amies », Erwann l’interroge :
— À quelle heure arrivent Manuella et ta fille ?
— Entre dix-neuf heures trente et vingt heures. Elle récupère Emma à la sortie de l’école et file directement ici. Et Anthony ?
Gwendoline ne l’a jamais rencontré mais en a tellement entendu parler qu’elle a l’impression de le connaître. Il lui tarde de constater de visu si ce que l’on a dit à propos de sa ressemblance avec son père se vérifie.
Erwann se tourne vers Richard, qui a l’air d’en savoir davantage sur le planning des convives que lui. Celui-ci lui répond :
— Après ses cours. Il est à une heure d’ici... il devrait être là dans l’après-midi.
— Cool, intervient Gwendoline, j’ai vraiment hâte de faire sa connaissance. Et celle de tes parents aussi.
— Eh bien, les voilà, dit Erwann en regardant par-dessus son épaule.
Effectivement, c’est à ce moment que la mère et le beau-père d’Erwann apparaissent dans le salon décoré, ce qui déclenche une montée de stress chez Gwendoline qui ne s’attendait pas à être prise aux mots aussi tôt.
Mama et son mari arrivent chargés de tupperwares remplis de délicieuses préparations maison. Comme toute bonne italienne qui se respecte, elle n’a pas pu s’empêcher de mitonner de délicieux petits plats à son fils chéri. Après l’avoir soulagée de ses victuailles et serrée longuement dans ses bras, celui-ci fait semblant de la disputer en lui rappelant qu’un traiteur a été prévu pour le buffet. Mais sa mère lui rétorque que la nourriture industrielle n’aura jamais la qualité de la sienne car, comme elle le lui rappelle, il y manque l’ingrédient essentiel.
— Oui, je sais Mama, l’amour, sourit-il.
— Bien évidemment, mon fils.
Elle lui embrasse les joues comme si elle allait les lui dévorer, ce qui est sûrement son intention après deux mois sans le voir. Puis, elle renchérit :
— Les seules personnes qui peuvent te cuisiner ce que tu mérites, mon fils, c’est ta mère, ta femme et ta fille. Le reste, ce sera toujours indigne de toi.
Entendant cela, Gwendoline affiche un sourire forcé jusqu’aux oreilles pour assentir à ses propos alors qu’elle les trouve très exagérés et a envie de se terrer six pieds sous terre. Elle-même étant une piètre cuisinière, elle redoute que la mère d’Erwann lui fasse la morale sur ses inaptitudes en la matière. Dans les bras de sa mère, son compagnon la regarde discrètement et lui fait un clin d’œil.
Ouf, ce n’est pas ce qu’il attend d’elle.
Erwann prend ensuite longuement Yvonnick contre lui et entame les présentations auprès de sa compagne, qui se tient aussi droite que si elle avait été ligotée à un pylône, prête à être torturée. Erwann lit sur son visage crispé et dans son attitude rigide le malaise qui s’empare d’elle. Il la rassure de suite en lui faisant de grands sourires et en plongeant son regard bienveillant dans le sien. Depuis leurs retrouvailles, la communication entre ces deux-là frise la transmission de pensées ; ils arrivent à se reconnecter à n’importe quel moment malgré le monde qui les entoure. Face à ces encouragements silencieux, Gwendoline reprend contenance et abandonne son air figé.
C’est dans un tourbillon d’embrassades et de salamalecs bon enfant, quoiqu’encore un peu guindés, que se déroulent les présentations. Grâce à la bonne volonté de chacun et l’ambiance joyeuse de cette journée, tout se passe sous les meilleurs auspices.
Anthony fait son apparition dans le courant de l’après-midi, comme annoncé par Richard. Ce dernier a le cœur qui bat la chamade lorsqu’il l’entend arriver dans un bruit de pétarade. Erwann et lui se précipitent dehors pour l’accueillir. Sous les yeux émus des deux hommes, l’adolescent retire son casque et délaisse sa moto pour rejoindre son père et son amant, l’attendant côte à côte, en haut de la butée sur laquelle repose la propriété.
Quand faut y aller, faut y aller...
— Salut fils, l’accueille Erwann à bras ouverts en s’avançant vers lui.
Il a pris le pli de surnommer Anthony ainsi, avec son accord, depuis un de leur parloir. Dans sa voix s’entend déjà tout l’amour qui lui porte sans le connaître vraiment. Erwann le prend dans ses bras. Anthony fait de même mais, tandis que son père a le dos tourné, il relève légèrement la tête pour faire un clin d’œil à Richard.
Celui-ci opine du chef en réponse. Il crève d’envie de lui rouler une pelle magistrale et sent son sexe se durcir à cette simple idée, mais convoque tout le self-control dont il est capable pour éloigner ces pensées. Après leurs étreintes, Anthony et son père remontent l’allée, bras dessus, bras dessous et, arrivés à la hauteur de Richard, le jeune homme lui tend le bras. La poignée de mains est virile, ferme et ne laisse rien transparaître des folles nuits qu’ils viennent d’enquiller. À travers ce contact, tous les deux ont des flashs qui viennent les perturber en simultanée.
Ça promet.
Erwann en profite pour remercier encore son meilleur ami d’avoir veiller sur sa progéniture.
— Je t’en prie, répond Richard sérieusement.
Il n’y a VRAIMENT pas de quoi.
De retour dans la maison, le père présente enfin son fils à sa compagne, qui est frappée par la ressemblance entre les deux hommes se tenant l’un à côté de l’autre sous ses yeux. Il n’y a clairement pas besoin de test de paternité pour savoir si tous les deux ont les mêmes gènes.
Anthony est peu bavard et assez mal à l’aise au milieu de cette nouvelle famille recomposée. Il savait en venant ici qu’il allait avoir droit à ces présentations embarrassantes avec des inconnus. Malgré les efforts louables de son père et de sa compagne pour l’inclure comme un membre à part entière dans la famille, il se sent toujours comme un étranger, illégitime et indésirable. Seule la proximité de son amant le rassure et lui donne envie de rester.
Richard le perçoit et essaie de lui communiquer toute sa sympathie à distance en attendant de pouvoir lui prodiguer physiquement son attention aimante. Au milieu des effusions familiales qui n’en finissent plus, tous les deux se cherchent constamment du regard. Même s’ils doivent se montrer discrets, ils ne peuvent s’en empêcher.
Richard s’en inquiète.
Cette soirée va sûrement être encore plus tendue qu’il ne l’avait imaginée.
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