Chapitre 59 : Le confessionnal

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Au retour de sa balade iodée avec Manuella, Quentin alpague Erwann, qui s’apprêtait à aller rejoindre son fils pour lui enseigner les rudiments d’un barbecue réussi. Lui qui avait envie d’échanger avec l’adolescent, se sent frustré d’être encore coupé dans son élan.

— Gaz, je peux te parler ?

Le propriétaire des lieux ne sait pas combien de fois il a entendu cette phrase ces dernières heures, mais il commence sérieusement à saturer. Qu’est-ce qu’ils ont tous en ce moment à vouloir lui parler ? Ressemble-t-il à un confessionnal ?

— Bien sûr, déclare-t-il en souriant, alors qu’il préfèrerait décliner.

— En privé, ajoute Quentin d’un air entendu.

Évidemment. Un confessionnal, c’est bien ce que je disais !

— Je t’écoute...

— C’est à propos de Manon.

Encore un problème, je le sens !

Quelques heures auparavant, Erwann a quitté la chambre de sa fille à contrecœur, lorsqu’après une énième tentative pour la faire sortir de son lit, elle avait encore refusé, prétextant vouloir y demeurer, selon ses dires, à peu près jusqu’à la fin des temps. Il ne s’est pas offusqué de son obstination, qu’elle tient sans aucun doute de lui, et a décidé de la laisser tranquille, espérant secrètement qu’ainsi, elle changerait d’avis.

Lorsqu’elle lui avait demandé si Gwendoline et sa fille allaient venir s’installer avec eux à la villa, il lui a répondu que ce n’était pas à l’ordre du jour pour le moment, expliquant qu’Emma était toujours scolarisée à Nantes. Il a ajouté que toutes deux occuperaient l’appartement de la Jonelière, jusqu’à ce que tout le monde y voie plus clair dans leur nouvelle situation. Bien que la pensée de l’arrivée prochaine du bébé lui ait à ce moment-là effleuré l’esprit, Erwann n’a pas voulu en parler à sa grande, déjà assez secouée par toutes ces nouveautés.

Pourtant, il sait bien qu’à un moment ou un autre, la naissance imminente d’un futur enfant les conduira tous à vivre sous le même toit, probablement à Crozon, mais il n’a pas eu le courage de s’en ouvrir à son adolescente. Il voulait lui tenir des propos rassurants, pas l’enfoncer encore davantage dans un avenir trouble, rempli de points d’interrogation. Tout lui semble compliqué quand il pense aux mois à venir, au cours desquels d’inévitables bouleversements vont intervenir, pour sa compagne et lui, comme pour leurs enfants respectifs.

Pour consoler Manon-Tiphaine et apaiser ses craintes, il a essayé d’être le plus positif possible, mettant de côté les pensées confuses qui l’assaillent constamment. De sa voix la plus posée, Erwann lui a conseillé de se laisser du temps avec Clara. Il lui a assuré qu’elle n’avait pas l’obligation immédiate de choisir entre l’une ou l’autre de ses options mais plutôt de laisser les choses s’arranger d’elles-mêmes, comme cela arrive souvent. Il lui a certifié qu’il n’était pas nécessaire de les forcer, ni d’intervenir, mais plutôt de se laisser porter par le courant, et d’aviser au fur et à mesure que les choses s’éclairciraient.

— Pour l’instant, tu es dans le flou, a-t-il poursuivi. Mais rien ne dit que demain matin tu ne trouveras pas la solution parfaite à ton problème. Avec le temps, lorsqu’on écoute son cœur, les doutes s’estompent, laissant place à des certitudes réconfortantes. Par exemple, et même si cela m’inquiète, à quoi servirait-il de me monter le bourrichon pour le procès ? Il arrivera ce qui doit arriver. En attendant, je n’ai pas la possibilité de changer la situation, alors je lâche prise et je me concentre sur le moment présent. Hier, c’était sur l’anniversaire de ma fille géniale de seize ans, aujourd’hui, je suis là avec toi, en train de discuter et de jouer mon rôle de père, le meilleur que je n’ai jamais tenu. Demain, il y aura un autre évènement sur lequel me concentrer. Laissons du temps au temps, ma chérie... Gardons confiance.

Erwann s’est entendu parler avec un optimisme inhabituel et a été surpris de tenir le même discours que sa compagne. A-t-elle déteint sur lui ? Et si tel est le cas, que lui a-t-il apporté, lui, au fil des mois qu’ils ont partagés ? À part des problèmes et des angoisses, il commence à douter lui avoir offert la même sérénité...

Ce terrible constat l’accable encore à présent, pesant de tout son poids sur ses épaules contractées. Et maintenant qu’il se retrouve face à Quentin, qui semble sur le point de lui annoncer qu’un ouragan s’apprête à dévaster la région, sa nuque se raidit encore plus, tendue à l’extrême.

— J’ai retrouvé Manon dans mon lit cette nuit, confesse son ami en se grattant la barbe. Elle est venue s’y glisser pendant que je dormais. Je t’assure que j'ai réagi dès que je m’en suis aperçu. Je n’ai pas profité de la situation et je ne l’ai pas touchée.

Erwann relève un sourcil, étonné par l’état de panique dans lequel Quentin se met. Serait-il si effrayant que même ses amis d’enfance commencent à avoir peur de l’aborder ? Malgré l’annonce de cette révélation qui le sidère, Erwann comprend d’emblée que son ami n’est pas fautif.

— Je n’en doute pas, le rassure Erwann, conciliant.

— Tu savais qu’elle était bi ?

Cette fois, le maître de maison ne peut masquer son agacement et soupire bruyamment.

— Je crois surtout qu’on va arrêter avec toutes ces étiquettes de merde. Bi, pas bi, lesbienne, hétéro, qu’est-ce que je m’en tape à cet instant précis, si tu savais ! Parce que la seule chose que je vois, c’est que ma gosse est perdue et que mon séjour en prison n’a rien arrangé, voire l'a complètement traumatisée.

Quentin, sentant le vent tourner le concernant, décide, telle une girouette, d’aller dans le sens de son meilleur ami, conscient que tout ce qui touche à ses enfants est à éviter absolument. Chose que visiblement Richard n’a pas compris, sinon il ne se serait pas laisser aller à faire ce qu’il fait. À moins d’être suicidaire, personne n’aurait jamais pris un tel risque avec un des gamins d’Erwann. Il certifie à son interlocuteur avoir saisi le message et lui promet de ne pas recommencer avec ce genre de remarques déplacées.

— Tu lui as dit quoi ? reprend Erwann, intrigué.

— De partir, ce qu’elle a fini par faire.

— Bien. Merci.

— Normal, tu sais bien que je n’aurais jamais rien fait.

— Je sais. S’il y a bien deux personnes au monde en qui j’ai entièrement confiance pour protéger mes enfants, c’est Bud et toi.

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