Chapitre 60 : Le tapis de fleurs
— Alors, alors, alors ???
Gwendoline vient de rentrer dans la chambre qu’occupe Manuella à la villa, sur la pointe des pieds, dans l’espoir que personne ne la voie et ne vienne les déranger. Elle répète :
— Alors ?
— Alors, quoi ?
— Alors ! Quentin... raconte-moi. Je veux TOUT savoir.
— Où est Emma ?
— Ah non ! Ne change pas de sujet ! Emma est dans la piscine chauffée avec Erwann.
— Ce mec est génial.
— Qui, Quentin ? Je n’en doute pas, vas-y balance, je suis toute ouïe.
— Mais non, Erwann. Enfin Quentin, aussi, mais Erwann est très différent de celui que j’avais imaginé.
— Oui, oui, Erwann est génial, un amant parfait, un papa poule et un beau-père du tonnerre. Mais je sais DÉJÀ tout ça ! Ce que je veux savoir maintenant, c’est ce qui s’est passé lors de votre petite virée à deux, à toi et à... Quentin.
Gwendoline prononce le prénom du tatoueur en chuchotant comme si elle avait peur qu’il se matérialise dans l’encadrement de la porte pour l’empêcher d’assouvir sa curiosité. Manuella éclate de rire en voyant son air suppliant, qui la défierait presque de ne rien lui raconter. Presque, évidemment, car il lui brûle les lèvres aussi d’en dire plus, encore qu’à ce stade, comme elle le précise, il n’y a rien à ajouter.
— Rien ? répète son interlocutrice interloquée. Mais t’es sérieuse ? Le mec s’envoie quantité de femmes pendant des années et là, il décide de devenir moine !
Manuella s’offusque, arguant qu’elle n’a jamais dit cela. Elle lui explique qu’il n’a simplement fait aucune réelle tentative, préférant discuter avec elle de sujets tous aussi intimes les uns que les autres. De son fils à lui, de ses envies à elle, de leurs boulots respectifs, de leurs futures collaborations, de cet avenir haut en couleurs qui s’annoncent devant eux et se déroule sous leurs pas comme un tapis de fleurs...
— Comme un tapis de fleurs ? l’interrompt Gwendoline, une grimace d’incrédulité sur le visage. Non mais tu te fous de ma poire ? Tu passes deux heures collée serrée à ce canon et la seule chose que tu me racontes c’est votre foutu tapis de fleurs ? Tu t’es mise à la drogue ?
De nouveau, Manuella se défend, prête à prendre la mouche. Elle ne comprend pas ce qui rend son amie si à cran alors que c’est elle-même qui lui a dit de prendre son temps.
— Faudrait savoir, hein, tu m’as dit d’y aller mollo.
— J’ai dit de ne pas aller trop vite, pas de faire du sur place. Vous êtes au point mort-là !
— Mais pas du tout ! rétorque Manuella, choquée. On prend le temps d’apprendre à se connaître et à découvrir nos points communs et nos centres d’intérêts convergents.
— Des centres d’intérêts convergents ? Oh arrête, je suis enceinte, pas amnésique. Hier, tu as presque failli le dévorer tout cru. Et tu vas me faire croire aujourd’hui que la seule chose qui t’intéresse, c’est son curriculum vitae ? Je suis sûre que vous avez échangé un baiser mais que tu ne veux rien me raconter !
— Tsss, n’importe quoi, je suis ton exemple avec Erwann. Et j’écoute vos conseils. Tu devrais plutôt être fière de moi.
— Ouais, ouais, bon, ben dans ce cas-là, je vais plutôt aller voir Bud, lui au moins aura peut-être des ragots plus palpitants à me raconter que votre tapis de fleurs.
— En parlant de Bud...
Gwendoline tend l’oreille, sentant le vent tourner. Le regard éloquent de son amie en dit long sur ce qu’elle pourrait savoir. Sans plus tarder, elle enjoint cette dernière à lui « cracher le morceau », ce que celle-ci ne tarde pas à faire. Elle lui relate les faits de la veille, les toilettes, les bruits bizarres et un Quentin croisé au détour d’un couloir. Comment ils ont écouté aux portes et découvert l’énorme secret qu’Anthony et Richard entretiennent.
— Ah mince, on est tous au courant alors...
— Qui ça tous, Erwann aussi ?
— La vache, non. Et c’est bien le problème. Maintenant que de plus en plus de personnes savent, ça va forcément finir par s’ébruiter. T’imagine pas le scandale que ça pourrait provoquer au sein de la famille.
Manuella abonde dans son sens, ou plutôt dans celui que Quentin lui a partagé. Il faut dire que ce dernier connaît bien son ami d’enfance et peut d’ores et déjà imaginer le pire. Gwendoline confirme les craintes du tatoueur, qui sont les mêmes que Richard, qui sont les mêmes qu’Anthony, et qui seraient probablement les mêmes pour tous ceux qui connaissent un peu le personnage explosif qui se cache sous le tempérament contenu d’Erwann.
— Donc, c’est la merde ? interroge Manuella en conclusion.
— Pas si j’arrive à l’intercepter à temps. Mais je ne peux pas lui en parler alors que les deux autres sont encore avec nous. Il serait capable d’aller les confronter. Je préfère attendre un moment plus opportun.
Comme par exemple la semaine des quatre jeudis ?
Manuella acquiesce et décide de changer de sujet, désireuse de s’ouvrir un peu plus à propos de sa merveilleuse balade avec son nouveau beau cavalier, comme elle le surnomme, comparant sa moto rutilante et puissante à un fidèle destrier.
Malgré elle, Gwendoline ne peut s’empêcher de sourire en repensant au sexe fièrement érigé de Quentin, qu’il conviendrait mieux de surnommer le superbe étalon que le beau cavalier. Mais elle s’abstient d’avouer à son amie ce qu’elle sait déjà à propos du potentiel de son futur amant. Pourtant, il y aurait de quoi en vanter les mérites. Certes, il est circoncis, ce qui n’est pas ce qu’elle préfère chez un homme, mais la jolie apparence de son service trois pièces est quand même un atout à mettre à son crédit. Manuella, fine amatrice de belle monture, ne sera pas déçue de constater que la belle gueule de son nouvel homme n’est pas l’arbre qui cache la forêt de la désolation. Au contraire, il s’agirait plutôt de la première partie d’un concert avant l’arrivée de la tête d’affiche. Ces idées aussi saugrenues qu’imagées conduisent Gwendoline au bord de l’hilarité.
— Mais pourquoi tu te marres comme une baleine, espèce de folle ?
— Oh pour rien ma belle. Je vais te laisser, j’ai envie de rejoindre Emma et Erwann. Je ne peux pas me baigner, sous peine de dévoiler mon ventre, mais je peux au moins me tremper les pieds. Tu peux nous rejoindre si tu veux, tu seras la bienvenue. Et Quentin aussi bien sûr. Rien de tel que des jeux mouillés pour vous mettre en jambe !
— T’es vraiment qu’une obsédée !
— Je suis enceinte, nuance ! À la merci de mes hormones ! Fut un temps, cela ne te déplaisait pas, conclut-elle avec un clin d’œil avant de se relever et de sortir de la chambre.
Manuella saisit un coussin qu’elle jette contre la porte fermée en riant, avant de s’exclamer :
— OB-SÉ-DÉE !
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