Chapitre 64 : Le propriétaire de bétail

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Gwendoline a mis du temps à arriver. Armée de ses boules Quiès, elle s’était rendormie après le départ d’Erwann et n’a rien entendu de ses éclats de voix. Ce n’est que la main de Manon-Tiphaine, posée sur son épaule et la secouant doucement, qui lui a permis d’émerger et de comprendre qu’un incident était en train de se dérouler au rez-de-chaussée. Elle savait alors que le problème ne pouvait venir que d’Erwann découvrant le pot aux roses au sujet de la relation qu’entretenaient Richard avec Anthony. Elle a enjoint les filles à rejoindre leurs pénates avant de descendre s’enquérir du drame qui secouait la villa.

Quand elle est arrivée devant la porte de la chambre fermée, elle a expiré tout son stress avant de l’ouvrir. Là, elle n’a pu que constater les dégâts : deux hommes qui lui sont chers face à face, l’un prêt à cogner, l’autre prêt à subir. Elle devait intervenir. Maintenant qu’elle a stopper Erwann dans son élan, elle reprend, toujours énervée :

— Laisse-le partir. Vous réglerez ça un autre jour.

— Il a enculé mon fils, Gwen, vocifère Erwann en fusillant Richard du regard. Ce bâtard était en train de le sodomiser. Je les ai vus.

— Arrête de répéter ça. Tout le monde t’entend dans la maison. Et vu comment tu gueules, même le voisinage va finir par en avoir l’exclusivité. Laisse-le sortir.

Le maître des lieux lève le visage vers le plafond en posant les mains croisées derrière sa nuque. La violence et le dégoût qu’il ressent lui donnent envie de tout fracasser. Son sang bout dans ses veines, lui donnant la sensation d’être saisit de fièvre malgré l’unique boxer qu’il porte pour tout vêtement.

La voix de la raison a parlé. En dépit de la haine qui lui brûle le ventre, il ne peut que l’écouter.

— Dégage, finit-il par cracher à Richard.

Ce dernier ne bouge pas, les bras croisés sur le torse, le menton toujours relevé, en signe de défiance.

— Je te l’ai dit, pète-moi la gueule, qu’on en finisse. Ça te démange. Ce soir ou un autre jour, ce sera pareil, tu finiras par m’en coller une. J’ai pas enculé ton fils, espèce de crétin. J’ai fait l’amour avec ton fils. Mais ça, tu ne peux pas l’entendre. Y’a que les hétéros qui font l’amour. Nous, on s’encule. On ne fait que ça, d’ailleurs. J’ai l’habitude de ces propos, Erwann. Je ne les avais jamais entendus dans ta bouche mais je comprends que c’est ce que tu as toujours pensé de moi. Moi, j’encule des mecs.

Richard se tourne vers Gwendoline, dont le regard voilé de larmes traduit toute l’empathie qu’elle ressent en écoutant ses tristes déclarations, teintées de cynisme et de désespoir.

— Désolé pour tes oreilles, Gwen, s’excuse-t-il, des trémolos dans la voix, touché par sa peine. Cette conversation n’est pas très belle à entendre.

— Ne t’inquiète pas pour moi, sourit-elle tristement. Mes chastes oreilles s’en remettront. Erwann est sous le choc, il a besoin de temps pour encaisser.

— Ne parle pas à ma place s’il te plaît, intervient ce dernier, toujours à cran.

Elle se tourne vers lui, les mains sur le ventre, et le prend à partie :

— Depuis tout à l’heure, quand tu ouvres la bouche, c’est pour dire qu’on a enculé ton fils alors, si, je préfère parler à ta place, sauf si bien sûr tu as quelque chose de plus intéressant à dire. Est-ce le cas ?

Le ton de sa voix est sec comme un coup de trique et le sourcil interrogateur est dressé bien haut sur son front. Erwann la regarde, dépité. La dernière fois qu’il a observé cette attitude chez elle a eu lieu à l’hôpital lorsqu’il s’est fait jeter. Il se sent soudain sur la sellette, prêt à être de nouveau éjecter. Mais le plus douloureux à ses yeux c’est l’absence de soutien de sa partenaire. Face à celle qui a toujours été derrière lui, même dans ses pires conneries, il ne comprend cette prise de position contre lui. Cela le blesse profondément. Devant le courroux de sa compagne, il prend conscience d’y avoir été un peu fort.

— Est-ce le cas ? répète-t-elle.

— Non, grommelle-t-il dans sa barbe, blasé.

Gwendoline se tourne vers leur ami, s’adressant directement à lui :

— Bud, va rejoindre le petit. Il est parti avec sa moto complètement chamboulé et je n’aime pas ça.

Erwann s’apprête à dire quelque chose mais elle lève une main autoritaire pour le faire taire. Quoi qu’il sorte de sa bouche, elle sait que cela n’arrangera rien à la situation. Il est aveuglé par la colère, incapable de discernement et ses propos n’auront ni queue, ni tête.

— Va le retrouver et rassure-le, s’il te plaît. Dis-lui que son père va digérer la nouvelle et s’excusera dès qu’il aura recouvrer ses esprits.

— Bah tiens, ironise Erwann. C’est moi qui ai perdu la boule cette nuit ?

Gwendoline le regarde à nouveau. Elle a à présent un bras tendu de chaque côté de son corps, telle une arbitre de match de boxe devant temporiser deux adversaires. Fut un temps, c’était Richard qui les observait comme cela, les suivant des yeux par des va-et-vient de la tête, lorsque les deux tourtereaux n’étaient pas d’accord. Mais désormais, après avoir tenté d’imposer ses volontés à sa compagne, c’est lui qu’Erwann veut contrôler. Comme si ce dernier avait quoi que ce soit à dire au sujet de sa sexualité. Richard enrage de se sentir si ouvertement jugé par son ami d’enfance. Qu’il a au diable, ce réac’ de merde avec ces idées de facho. Bon débarras s’il ne veut plus jamais lui adresser la parole.

J’encule qui je veux, connard !

Voyant que Gwendoline essaie d’apaiser la situation, Richard fait l’effort de se contenir et de garder ses insultes pour lui. Il lui laisse la parole, qu’elle reprend sur un ton diligent, en s’adressant à son compagnon :

— Je comprends que tu sois perturbé par la découverte de cette relation, mais ton fils est sûrement très mal à l’heure qu’il est. Est-ce que tu y as pensé ?

Le propriétaire des lieux ne répond pas et s’assoit sur le bord du lit, le visage contrit. Accablé par la verve accusatrice de sa compagne, il sent physiquement le poids de sa faute sur ses épaules et regarde le sol, la tête baissée. Gwendoline ne désire pas enfoncer son homme davantage, mais lui affirme qu’il a fait un vrai scandale.

— Pour un gamin de cet âge, ça peut être destructeur. Je préfère que Bud aille le retrouver pour s’assurer qu’il ne fasse pas de connerie.

— Ça n’ira pas jusque-là, argue son partenaire.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

Erwann hausse les épaules, reconnaissant qu’il n’en a aucune idée. Il élude le problème en prétextant qu’Anthony a l’air bien dans ses pompes et qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter.

— Tu ne le connais pas du tout, ton fils, intervient Richard, sarcastique.

— Qu’est-ce que tu sous-entends, toi qui le connais si bien ?

Et on sait de quelle façon maintenant !

— Oh mais attends, je sais ! Il a dû te faire des confidences sur l’oreiller, évidemment. Une belle façon de lui tirer les vers du nez à ce gosse...

— Rien à voir, j’ai juste fait ce que tu n’as jamais pris le temps de faire avec lui : apprendre à le découvrir, lui et ses centres d’intérêts. À vrai dire, tu ne sais rien de lui. Tu l’appelles mon fils mais tu ne te comportes pas comme un père avec lui. Juste comme un propriétaire de bétail.

— J’étais en taule !

— Et depuis ta sortie, à part baiser ta meuf, t’as fait quoi ?

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