Chapitre 72 : Un Univers de création

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Erwann a beau essayer de contacter son fils en lui laissant, soit des sms d’excuses, soit des messages de regrets sur son répondeur, celui-ci reste aux abonnés absents. Une situation qui met le breton au plus mal, malgré la joie qu’il a de retrouver une vie presque normale avec sa compagne. Car il reste soumis à son contrôle judiciaire, lequel a été aménagé en raison de ses deux domiciles. Bénéficiant d’un dispositif de surveillance à distance à la cheville, Erwann se sait dans l’œil du juge des libertés et de la détention, qui lui a cependant permis de s’installer tous les quinze jours dans une de ses propriétés. Le Breton doit se tenir à carreau et respecter ses horaires d’assignation à résidence, entre vingt heures et huit heures, et selon le calendrier qu’il a fourni à son SPIP. Grâce à cette organisation validée par le système judiciaire, il peut se partager, comme il l’a toujours fait, entre Nantes et Crozon, ses deux lieux de vie habituels. De cela, Erwann est reconnaissant, car il va pouvoir s’occuper de sa grande, tout en participant à la vie de famille qu’il est en train de créer avec Gwendoline et sa fille, vivant désormais toutes deux sous son toit.

Celle-ci le regarde d’ailleurs faire les cents pas dans leur spacieux et lumineux appartement de la Jonelière, observant d’un œil inquiet son compagnon se désespérer. Elle sait que son retour à Nantes a été vécu avec un pincement au cœur par ce dernier, qui lui a confiée avoir le sentiment d’abandonner ses enfants en Bretagne. Pourtant, il ne serait d’aucun secours à Manon-Tiphaine, repartie passer sa quinzaine chez sa mère et son beau-père, Loïc. Pas plus qu'il ne le sera auprès de son fils, qui a repris ses études d’ingénieur de son côté, à Quimper, après le week-end festif censé célébrer les seize ans de la jeune fille et le retour du héros.

Un héros ? répète Erwann, intérieurement, avec désolation, en repensant à ce qualificatif que Richard avait utilisé pour parler de lui à sa sortie de prison. Un zéro, plutôt, oui. Et vu le silence de son meilleur ami et de son fils, ce sobriquet va davantage lui coller à la peau que n’importe lequel des surnoms qu’on lui a attribués jusque-là.

C’est le dimanche soir que Manuella, Emma, Gwendoline et lui-même sont rentrés à Nantes, dans deux voitures différentes. Emma avait choisi de repartir dans la voiture de sa tante, préférant, selon ses dires, « bien se marrer » plutôt que subir l’ambiance pesante qui règne autour de son nouveau beau-père, dont elle dit de lui qu’il est « claqué au sol ». Malgré la dureté de ce jugement radical et sans concession, l’expression de sa petite pré-ado a fait sourire Gwendoline. Cette dernière n’a pas pu s’empêcher de rire en écoutant sa fille boucler sa valise en se plaignant de ce borné d’Erwann qui ne comprenait décidément rien de rien de la vie. Emma n’a eu de cesse de l’enfoncer, le jugeant extrémiste, intolérant et aussi réac’ qu’un homme de Cro-Magnon.

— Richard n’a rien fait de mal, a-t-elle décrété à sa mère. Erwann est tellement buté !

— Il est Breton, a plaisanté sa mère en retour, pour plaider la cause de son amoureux.

En réalité, elle était d’accord avec les propos de sa fille mais Erwann était ainsi, et comme tout à chacun, il fallait l’accepter avec ses qualités et ses défauts. Emma n’en avait que faire. Son beau-père était selon ses dires « défectueux » et il avait intérêt à changer illico-presto s’il voulait reconquérir pour la énième fois son estime, qu’il avait déjà perdu à maintes reprises.

La vie n’est pas un long fleuve tranquille, pense Gwendoline, assise sur le canapé. Cette situation de famille recomposée allait sûrement leur créer quelques grincements de dents, mais c’était le prix à payer pour envisager un avenir tous ensemble. D’autant qu’une nouvelle « complication » les attendait. Une toute petite complication qui grandissait en son sein et prenait de plus en plus de place sous sa chemise cintrée. C’est d’ailleurs pour cette raison que les deux tourtereaux se sont libérés de leurs obligations habituelles ce matin-là, pour assister au premier examen trimestriel de la future maman. Un rendez-vous que Gwendoline attend avec impatience et qui doit avoir lieu à la maternité Jules Verne, pour clôturer ses trois premiers mois de grossesse.

Gwendoline suit Erwann des yeux, tandis qu’il arpente le salon comme un drogué en manque dans l’attente de sa dose, allant du canapé à la cuisine et de la cuisine au salon. Elle lui demande de le rejoindre à côté d’elle sur le sofa, ce qu’il accepte, avant de lui suggérer, ayant encore la bougeotte :

— Un café ?

— Volontiers. Déca, s’il te plaît.

— Je sais, mon amour. Et avec du lait, bien sûr. D’ailleurs, je vais prendre ça aussi.

Elle acquiesce.

Le déca ne sera pas une mauvaise idée, effectivement.

Il prépare les deux boissons chaudes qu’il dépose sur la grande table basse, d’inspiration industrielle, comme tout le reste de son salon, puis vient s’asseoir auprès d’elle sur le large Chesterfield marron glacé au cuir vieilli. Leur rendez-vous à l’hôpital est dans deux heures. Elle aimerait en profiter pour le détendre un peu, même si cela ne sera pas la chose la plus aisée qui soit. Erwann lui ouvre le bras, l’invitant à se glisser contre lui, une jambe posée au sol sautillant sans arrêt, comme installée sur un ressort. Blottie contre son homme, elle repense au phare et lui demande s’il se souvient de cette conversation qu’ils ont eu lors de leur premier matin dans ce lieu exceptionnel.

— Je me souviens de tout ce qui s’est passé dans le phare, minutes après minutes, mon cœur.

Elle sourit et se love un peu plus contre lui. Un caractère tempétueux certes, mais si romantique. Elle fond d’amour pour lui.

— Je t’avais parlé de la loi de l’attraction et quand je regarde ce qui t’arrive actuellement, avec l’arrivée de ton fils dans ta vie, cela m’y fait penser.

— Comment ça ?

— Nos pensées, nos mots et nos actions sont éminemment créateurs, comme je te l’avais expliqué. Lorsque l’on cultive les mêmes pensées, que l’on prononce les mêmes mots et que l’on s’habitue à faire les mêmes actes au quotidien, ils s’inscrivent dans notre présent, mais construisent aussi notre avenir. Si tu as pensé pendant des années au fait que tu voulais un fils, si tu en as rêvé, littéralement ou pas, si cela est resté dans un coin de ta tête et de ton cœur, alors cela ne pouvait qu’engendrer la situation actuelle. L’Univers n’a fait que retranscrire tes propres pensées, comme si elles avaient été des demandes silencieuses.

— Ce n’est donc pas un hasard, pour toi, si je me découvre un fils sur le tard ? demande-t-il, dubitatif.

— Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous, répond-elle malicieuse. Ce n’est pas de moi, c’est de Paul Éluard.

Erwann opine du chef, reconnaissant que la citation lui dit quelque chose. Gwendoline explique que dans sa vision des choses, il n’y a effectivement pas de hasard, seulement des créations de notre esprit. Une création inconsciente, bien souvent, car si la personne ne connait pas la Loi de l’Attraction, elle créé une vie par défaut, qu’elle subit plus qu’elle ne choisit. Voilà pourquoi les souhaits sont exaucés, mais pas toujours de la bonne manière, car les invocations muettes manquaient de précisions.

— C’est un peu simpliste non ? rétorque Erwann.

Elle reconnaît que c’est l'avis de beaucoup de gens. Et pourtant, de son expérience, cela fonctionne comme ça, que l’on n’y adhère ou pas. Elle ajoute que les personnes ont tendance à penser que seuls certains évènements de leurs vies sont le résultat de leurs décisions et de leurs choix conscients, comme le fait de se marier ou d’avoir des enfants, car ils sont de leur volonté. Mais cela n’est que la partie immergée de l’iceberg. La vie, dans son ensemble, est une création personnelle, reflet des croyances que nous cultivons, conscientes ou inconscientes, volontaires ou involontaires. Et c’est là toute la difficulté. Car ces croyances, auxquelles l’être humain n’a parfois pas accès, le gouvernent malgré lui. Qu’on le désire ou non, qu’on le sache ou non, chacun y est soumis.

— Et comment faire pour ne pas créer de la merde, comme toute celle que j’ai faite jusqu’ici ?

Elle sourit, amusée de voir son homme se prendre au jeu du développement personnel avec cette pointe de sarcasme qu’elle adore chez lui. Rassurante, elle affirme que le fait de démarrer un suivi thérapeutique, en s’obligeant à faire un travail sur lui-même, est une très bonne façon d’y arriver. Quand bien même l’exercice de fouilles archéologiques de son passé n’est pas toujours aisé. En essayant de mieux se connaître et de découvrir qu’elles sont les croyances souterraines qui gouvernent sa vie, il arrête d’être le jouet de ces dernières. Tant que ces croyances profondes ne seront pas débusquées, il sera très difficile pour lui d’agir dessus car il ne pourra pas les remettre en question. Pour terminer sa démonstration, elle fait un parallèle avec un pilote d’avion qui volerait dans l’espace aérien sans avoir l’écran de contrôle sous les yeux.

— Je vois l’idée, assentit-il, un peu plus convaincu.

— En résumé, tu voulais un fils et l’Univers t’a exaucé.

— Ouais. Mais, si je comprends bien, et arrête-moi si je me trompe, hein, comme je n’ai pas précisé dans quelles circonstances exactement, on m’a envoyé ce qu’il y avait en stock. C’est ça ?

Elle valide ses propos en éclatant d’un rire franc et en opinant du chef. Puis repose sa tasse de café en dévisageant Erwann pour qui la lumière semble enfin se faire à l’étage. Ce dernier déclare comprendre le principe, tout en regrettant d’avoir manqué de clarté concernant ses désirs d’autrefois. Il confie que ce qu’il voulait lui, c’était un fils avec la femme qu’il aimait, pas avec une ancienne petite amie trompée et disparue des radars depuis des lustres. Il soupire, navré de réaliser que sa vie actuelle n’est que la récolte de ce qu’il a semé sans le savoir dans sa jeunesse.

— Qui sait... reprend Gwendoline, les yeux pétillants. Ton vrai souhait se manifestera peut-être dans un avenir proche.

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