Chapitre 73 : La première échographie

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— Madame Beaurepaire ?

À l’annonce de son nom de famille, Gwendoline et Erwann cessent leur conversation et relèvent aussitôt la tête, regardant de concert dans la direction de la gynécologue, une petite dame brune à la silhouette arrondie. Ils se lèvent précipitamment et traversent la salle d’attente presque remplie, occupée par pléthores de femmes enceintes, venues seules ou accompagnées. Puis, ils quittent la pièce à la suite de la doctoresse, qui leur demande de la suivre à l’autre bout du couloir. Lorsqu’elle les fait entrer dans son cabinet, elle tend une main soignée à sa patiente avant de saisir la poigne d’Erwann, en déclarant :

— Madame Beaurepaire, Monsieur Beaurepaire, installez-vous, je vous en prie.

Monsieur Beaurepaire ? s’étonne Erwann intérieurement. Ce dernier ne réagit pas ouvertement, mais affiche un sourire plus large, amusé par la situation. Celle-ci, on ne lui a jamais faite ! Évidemment, sa compagne ayant pris le rendez-vous elle-même, elle l’a enregistré à son propre patronyme. Cela lui fait penser que la dernière fois qu’il a assisté à un parcours de suivi de grossesse remonte à un sacré paquet d’années. Seize, exactement. Il était alors avec sa première femme, Alice, avec laquelle il était marié. Celle-ci portait évidemment son nom de famille à lui, une fierté dont il ne s'est jamais départi durant toute la durée de leur mariage. Qu’une femme porte son nom reste à ses yeux une des plus belles preuves d’amour qui soit, après celle de porter son enfant.

Son enfant ?

Erwann tique mais efface vite ses tracas. Il revient à lui et aide sa compagne à prendre place confortablement face au large bureau, en la débarrassant de son manteau qu’il va suspendre à la patère à côté de lui. Il se rassoit docilement.

— Monsieur Le Bihan est mon compagnon, rectifie Gwendoline en regardant dans la direction de la professionnelle de santé. Nous ne sommes pas mariés.

Pas encore ! s’égosille Erwann mentalement, mais ça ne saurait tarder ! Silencieux, il n’ajoute rien, laissant sa partenaire prendre les commandes de l’entretien. Prenant bonne note de cette précision, la gynécologue, qui se présente comme le docteur Hong, se lance dans la constitution du dossier médical de Gwendoline. Celle-ci répond alors à toutes les questions avec placidité et rapidité. Adossé à la chaise, l’oreille à l’écoute des déclarations de son amoureuse, Erwann glisse un coup d’œil circulaire à la pièce qui les entoure, un vaste cabinet meublé de façon traditionnelle. Ils sont assis face à un imposant bureau en bois massif. De l’autre côté trône une table d’examen, entourée de monitoring et autres écrans et appareils de contrôles, nécessaires à la consultation. Un coin lavabo termine l’agencement de l’endroit, qui fleure bon une odeur d’asepsie saisissante quoi que commune. Pour Erwann, les lieux exhalent un agréable parfum de propre, de gel, mais surtout, de bonheur. Il sourit béatement.

Les informations transmises lors du questionnaire oral de sa compagne l’intéressent au plus haut point. Lui, qui a toujours souhaité en savoir plus sur elle et son passé, est aux anges. Il tend l’oreille attentivement, récoltant une à une les données glanées par le docteur Hong. Gwendoline explique avec une certaine crispation avoir eu quatre grossesses, dont trois se sont soldées par une interruption volontaire. Disant cela, des flashs d’une époque lointaine lui parviennent, rappelant à son bon souvenir la douleur morale et physique ressentie à l’époque. Voyant son regard se troubler, Erwann pose la main sur sa cuisse, en guise de soutien discret.

La patiente précise que l’une des trois IVG était en lien avec une grossesse gémellaire, un cas que le jeune couple qu’elle formait alors avec le père de sa fille, n’avait pas du tout envisagé. Elle se souvient de la peur qui les a étreints tous les deux lors de la révélation des deux poches dans l’utérus. Les jeunes amants, nouvellement rencontrés, étaient ressortis de cet entretien sonnés. Une grossesse au tout début d’une rencontre les avait déjà déstabilisés mais alors, apprendre qu’ils allaient voir débarquer deux enfants en même temps, sept mois plus tard, avait été un véritable coup de massue qui les a laissés sur le carreau. Erwann ne connaissait pas cette histoire. Il se sent plein de compassion pour le couple formé à l’époque par sa compagne et son ex-mari, qu’il n’a par ailleurs jamais croisé. Pour l’avoir lui-même vécu, il imagine facilement combien tous les deux ont dû été pris au dépourvu.

Alice et lui ont connu la même situation et ont également été dépassés par son caractère inhabituel, qui les a obligés à reconsidérer toute l’organisation de leur vie en un quart de seconde. La famille de son ex-femme étant très conservatrice, il n’a jamais été question d’arrêter cette grossesse gémellaire, mais il leur a fallu des mois pour s’y faire, avant de perdre finalement un des bébés à la naissance. La gorge d’Erwann se serre. Il réalise que le questionnaire est terminé et que ses divagations intérieures l’ont perturbé au point de ne rien entendre de la suite des réponses de sa compagne. Il se râcle la gorge, à nouveau concentré.

Lorsque le dossier médical est constitué, la gynécologue propose à sa patiente de s’installer toute habillée sur la table d’examen, n’ayant besoin d’avoir accès qu’à son bas ventre.

— Vous pouvez juste lever votre pull et baisser votre pantalon, cela suffira.

Gwendoline opine du chef et s’exécute. Erwann prend place sur la chaise indiquée par le médecin, qui veille désormais à l’appeler par son vrai nom de famille. Puis, lorsque la patiente est prête, la doctoresse applique un gel transparent sur le bas de son ventre légèrement arrondi.

— Ça va être un peu froid, désolée.

— C’est supportable, objecte Gwendoline, qui ressent néanmoins la morsure glacé du produit.

L’hiver est bien arrivé. Malgré la pièce ultra-chauffée, elle grelotte.

— Rappelez-moi l’âge de votre fille, madame.

— Bientôt onze ans. J’étais jeune à l’époque, s’esclaffe Gwendoline, suivie des deux autres personnes.

— Vous l’êtes encore, ne vous inquiétez pas, reprend le Docteur Hong. On a de plus en plus de femmes de votre âge qui mènent à terme des grossesses avec succès. La prise en charge est meilleure que par le passé. Vous êtes en bonne santé. Tout va bien se dérouler. C’était désiré ?

Gwendoline hésite à répondre. Erwann prend le relais et intervient pour la première fois depuis le début de l’entretien.

— Oui.

En arrivant ici, ils ont convenu de ne rien signaler de leur incertitude concernant la paternité du futur bébé, une décision à laquelle il compte bien se tenir. Il lui sourit, rassurant. Sa grande main chaude englobe celle de sa partenaire, gelée, comme très souvent.

— Bien. Je suis obligée d’appuyer un peu fort car je ne distingue pas très bien à ce stade. L’utérus est encore petit.

Effectivement, la praticienne confirme ses dires en enfonçant la sonde dans la chair rendue gluante par le produit gélifié. Après quelques minutes, le regard de la gynécologue se voile un peu.

— Un problème ? demande Erwann qui perçoit d’emblée la légère inquiétude du médecin.

— Il y a des cas de grossesses gémellaires dans votre famille, Monsieur Le Bihan ?

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