Chapitre 78 : Ne m’oblige pas, part II

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Décontenancé, Erwann suit ses mouvements et se retrouve à genoux, maintenant sa compagne contre lui, malgré la position inconfortable. Alertés par ses cris et ses protestations, des badauds se sont arrêtés devant eux. Ces derniers demandent tantôt si Erwann a besoin d’aide, tantôt si tout va bien. Il leur répond que oui, qu’il gère la situation, qu’ils n’ont pas besoin de s’inquiéter ou de prévenir quelqu’un. Les personnes s’éloignent, le laissant seul avec sa compagne, qui ne fait plus que renifler entre deux secousses d’épaules.

Elle lui semble soudain si fragile, perdue et dévastée. Il ne l’avait jamais vue ainsi, aussi désorientée et fébrile. Même s’il ne comprend pas encore le pourquoi du comment de cette scène ubuesque à laquelle il est en train d’assister, il sait qu’il a touché un point sensible, et mis le doigt sur une des failles de sa partenaire. Tandis qu’il la berce contre son torse, les mains sur le petit ventre bombé, il lui promet de ne pas la forcer ni, pour reprendre ses termes, de ne pas l’obliger. Il lui jure qu’il acceptera son choix, quel qu’il soit.

Elle revient peu à peu à elle, comme si elle réussissait enfin à réintégrer la réalité. Se laissant consoler, rassurer, dorloter, assise, elle profite de la chaleur de son corps robuste pour redescendre. Avec soulagement, Erwann constate l’accalmie, et continue à lui promettre que, quoi qu’elle décide, il la soutiendra. Gwendoline prend la mesure de son engagement et hoche la tête. Elle sait qu’il dit vrai et qu’il ne la forcera pas à faire quoi que ce soit. Des passants ne cessent de défiler à côté d’eux, les observant avachis sur le sol, lovés dans les bras l’un de l’autre.

Au bout d’un moment, voyant qu’elle est complètement apaisée, Erwann lui propose de rejoindre la voiture et de rentrer chez eux. Elle acquiesce, les muscles endoloris par sa posture alambiquée. Il se met debout et l’aide à se relever. Puis, sans un mot, il la prend dans ses bras, dans lesquels elle vient se blottir. Elle hume l’odeur de sa peau, son parfum musqué et boisé et ferme les yeux, savourant ce contact chaud et enveloppant. Ensemble, ils reprennent la direction du parking, doucement.

Dans la voiture, assise sur le siège passager, elle se tait. Erwann réfléchit, les doigts pianotant sur le volant. Il ne redémarre pas de suite, ayant besoin de faire le point pour trouver rapidement une solution apaisante pour sa compagne. Le constat est là : c’est la merde. À ce stade, ils n’ont pas beaucoup d’informations. Les deux embryons peuvent être aussi bien de lui que de son dernier client. Chacun de leur côté, Gwendoline et lui ont connu des grossesses gémellaires dans leur C.V. médical. Mais seule celle qu’il a vécue était monozygote. Cela lui laisse un espoir supplémentaire, voire une preuve tangible qu’il y a plus de chance que ce soit lui le père.

— Je ne sais pas si tu as fait le lien, mais tu es enceinte de jumeaux monozygotes. C’est héréditaire, ce qui signifie que ce sont sûrement mes enfants. Ça change un peu la donne quand même, non ? Je reprends l’avantage sur ton client.

S’écoutant parler, Erwann se demande si son discours de compétiteur est bien la bonne formule à utiliser pour convaincre sa compagne. Mais elle ne le laisse pas finir de se prendre la tête et intervient :

— Perdu. Il est le père de jumeaux aussi. Deux mecs.

— Putain de bordel de merde. Il nous fera chier jusqu’au bout celui-là !

Son compagnon tape du plat de la main sur le volant de sa voiture, excédé par cette information. Son geste inattendu et brutal fait sursauter sa passagère. Il s’excuse et souffle un bon coup, puis repose en douceur sa paume chaude sur la cuisse de sa chérie, en lui promettant de ne pas recommencer. Elle voudrait lui demander pardon une nouvelle fois, pour les avoir mis dans cette inextricable situation mais se retient, la gorge sèche et encore douloureuse d’avoir hurlé sur le parking de l’hôpital, plusieurs minutes auparavant.

Erwann doit se rendre à l’évidence. Il n’a aucun argument pour rassurer sa compagne car ils en sont toujours au même point. Néanmoins, peu enclin à baisser les bras si vite, il poursuit ses investigations :

— Tu sais si ses gosses s’étaient des vrais ou des faux jumeaux ?

— Non, je n’ai pas le souvenir qu’il me l’ait précisé.

— Tu pourrais lui poser la question ?

Elle le dévisage, étonnée. En voilà une idée farfelue, pense-t-elle pour elle-même. Un rictus ironique étire le coin de sa bouche crispée. Elle ne peut s’empêcher de lui répondre avec une pointe de sarcasme dans la voix :

— Ben oui, bien sûr. « Allô toi, dis-moi, tes deux fils, ce sont des vrais ou des faux jumeaux ? » Pas du tout le genre de questions cheloues qu’on pose à un ex-amant.

— Un ex-client, rétorque Erwann, le regard noir.

— Si tu veux... Je ne demande pas ça non plus à mes ex-clients, trois mois après les avoir rencontrés. Tu te doutes bien que cela va lui mettre la puce à l’oreille. Toi qui ne veux rien lui dire, ce n’est vraiment pas la meilleure idée !

Erwann soupire, entre lassitude et exaspération, se retenant de souligner que lui, au moins, il essaie d’en trouver des idées, tordues ou pas. C’est bien beau de critiquer mais ça ne fait pas avancer le schmilblick. Puis, soudain, la lumière se fait en lui, comme une évidence irréfutable. Sûr de sa nouvelle inspiration, il déclare :

— Alors, dis-lui.

— Hein ?

— Dis-lui la vérité. Dis-lui que tu es en couple et que potentiellement tu es enceinte de deux hommes, dont lui, évidemment, et qu’à ce stade tu as besoin d’infos pour faire un choix. Dis-lui tout.

Abasourdie, elle lui rappelle qu’autrefois, il craignait que le client fasse pression sur elle. Ce à quoi il répond qu’il est dehors pour le moment, ce qui rend la situation différente. Il réaffirme que peu importe la réaction de l’autre type, il sera là. Son ancien client pourra dire ou faire ce qu’il veut, maintenant qu’Erwann est sorti de prison, ce n’est pas lui qui aura le dernier mot.

— Si ça peut te permettre d’y voir plus clair, fais-le, réitère-t-il calmement.

— Cela ne restera qu’une hypothèse, pas une certitude. Comme beaucoup de choses dans nos vies actuellement.

— Imaginons que ses fils soient issus de deux poches, je prends l’avantage. Dans le cas inverse, on est toujours ex-aequo.

— Ça ne résout pas le problème du procès et de la prison qui nous pend au nez.

Erwann lui serre plus fort la main, essayant par ce simple contact de lui envoyer toute la force dont elle a besoin. Même s’il ne sait pas de quoi demain sera fait, il lui promet qu’il sera là, et qu’elle ne sera pas seule. Financièrement, il prendra tout en charge. Dans le pire des cas, elle aura de l’aide et sera soutenue par leurs familles, par toutes les personnes qui composent leur clan. Il concède que la situation est effrayante mais qu’elle est aussi… inespérée, ajoute-t-il, incertain de la bonne formule à utiliser. Il reconnaît que son envie d’être le père de ces enfants est celle qui le guide, plus forte que tout, plus forte que les erreurs du passé et que les difficultés à venir.

— Parce que j’ai envie qu’on fonde notre famille tous les deux. Crois-moi, je ne t’abandonnerai jamais.

— Erwann…

Une fois encore il lui demande un peu de temps pour encaisser les révélations de la journée et y réfléchir tous les deux à tête reposée. Il préfère garder l’information pour eux seuls pour le moment, de peur de voir leur entourage les influencer. Même s’il reconnaît qu’ils sont de bonne volonté, ils ne feront que les embrouiller davantage.

— ­Tu me l’as dit, on forme une équipe. Cette décision, c’est notre décision à tous les deux.

— Tu ne comprends pas, dit-elle en pleurant à nouveau. Tu ne comprends rien…

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