Chapitre 81 : La boucle est bouclée

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Au cours d’un bref arrêt sur une aire d’autoroute, à proximité de la presqu’île de Crozon, Erwann propose à Gwendoline de lui mettre un bandeau sur les yeux, afin d’éviter qu’elle ne devine l’endroit secret où il l’emmène. Elle accepte, confiante et impatiente de découvrir la surprise que lui a préparée son homme.

Le jour commence à baisser lorsqu’ils arrivent sur le site déserté par les badauds. À la place, c’est un vent glacial d’hiver qui se lève pour les accueillir. Aveuglée par le morceau de tissus, Gwendoline se laisse guider par le corps de son compagnon, qui l’enserre chaudement contre lui, pour éviter qu’elle ne soit déstabilisée par les bourrasques traitresses. Ella avance doit devant, dos collé à son torse, se laissant porter par ses indications, murmurées à son oreille. La voix chaude d’Erwann est toute miel.

— Attention, mon amour, un peu plus sur ta droite.

— Tu es sûr ? Il n’y a pas de mur en face de moi ?

Le vent sifflant dans leurs oreilles rend difficile leurs échanges, alors elle tourne le visage vers lui pour mieux l’écouter. Il en profite pour l’embrasser, les bras autour de sa taille, son corps robuste faisant barrage aux éléments. Tel un garde-corps humain, il l’enlace pour lui éviter de perdre l’équilibre.

— Il n’y a ni mur, ni ravin, ma chérie. Je te promets que tu peux avancer sans crainte les yeux fermés. Je suis là pour te protéger et te mener aussi loin que tu le désireras sans embûches. Tu peux te reposer sur moi.

— Cette petite balade à l’aveugle est-elle une allégorie de notre vie ?

Elle éclate de rire, suivi de son partenaire, qui comprend parfaitement où elle veut en venir. Il lui confirme dans la foulée qu’elle a raison et peut s’en remettre à lui à l’instant présent et dans le futur, car il sera toujours là pour veiller sur elle. Face à tant de belles déclarations, Gwendoline frissonne. Elle en oublie presque sa démarche hésitante, transportée par les mots doux et rassurants de sa moitié. Lorsqu’Erwann lui annonce qu’ils sont arrivés, elle se surprend à trouver que le trajet est passé en un clin d’œil.

— Encore quelques marches à grimper ma douce, et nous serons dans notre petit nid douillet.

Elle monte ces dernières une à une, prudemment, s’interrogeant toujours sur les lieux où l’homme de sa vie l’a emmenée. C’est le bruit de la porte en acier qui lui révèle l’information. Le grincement des gonds, reconnaissable entre mille, la replonge immédiatement dans cette époque du tout début de leur liaison, huit mois auparavant.

— Le phare, chuchote-t-elle, la gorge serrée par l’émotion.

— Tu as bien deviné.

Disant cela, il lui enlève son bandeau opaque et l’aide à gravir le seuil du bâtiment, qui n’a pas changé d’un pouce depuis leur première et unique visite, en avril dernier. Comme à l’époque, elle en reste bouche bée. À la joie de retrouver cet endroit si particulier s’ajoute désormais les délicieuses réminiscences qui y sont associées. Émue, elle pénètre dans l’espace du rez-de-chaussée, assombrie par le manque de clarté. L’odeur, un mélange âpre d’humidité et de senteurs iodées, la frappe aussi fortement que lors de sa première venue. Erwann lui demande de passer devant, lui promettant d’assurer ses arrières. Elle obtempère, curieuse de voir face à quel décor elle va se retrouver nez-à-nez. La dernière fois, il avait fait installer un cadre de rêve. Lorsqu’elle atteint le premier étage et que son partenaire appuie sur la fonction « lampe » de son téléphone, ses yeux s’écarquillent.

Devant elle, éclairé par le faisceau lumineux, un gros matelas les attend. Posé sur le sol, à même des couvertures en velours, celui-ci trône au milieu de la pièce circulaire, recouvert d’une couette à la housse beige et de ses oreillers assortis. Sur le drap housse, des pétales de roses fraîches viennent parfaire la scène.

— Seigneur, s’extasie-t-elle, conquise. Comment as-tu fait ?

Elle ne le laisse pas s’exprimer et se tourne vers lui en répondant à sa propre question :

— Gaston ?

Il opine du chef, un sourire malicieux dessiné sur son visage rayonnant.

— Évidemment. Je l’ai appelé tout à l’heure. Il a réquisitionné deux amis à lui pour tout préparer. Je leur ai promis que je leur revaudrai ça. J’avais envie que tu retrouves cette ambiance magique qui a bercé nos premières fois.

Touchée plus qu’elle ne saurait le dire, Gwendoline écrase une larme, suivie d’une autre. L’attention que son compagnon lui porte est au-delà de tout ce qu’elle a connu par le passé. Jamais personne ne s’est plié en quatre pour elle, ni n’a eu assez d’imagination pour la faire rêver. Le bonheur qu’elle ressent est indicible et la submerge silencieusement. Erwann la serre fort entre ses bras solides, tout aussi chamboulé par le plaisir qu’il voit dans son regard. Elle se coule contre lui, les yeux débordants d’émotion, bien qu’elle essaie en vain de se contenir. Mais elle ne lutte pas, entourée de l’amour de son compagnon, qui accentue son étreinte. Tous deux savent que la journée a été rude et que ces pleurs viennent vider le trop-plein d’émotions fortes. Comme la pluie nettoie la nature de ses grands jets purifiants, l’eau salée qui recouvrent les joues de Gwendoline la libère des violentes perturbations de ces dernières heures. Reconnaissante, elle le remercie.

— Je t’en prie, mon amour. C’est à moi de te remercier de tout cette joie que tu m’as apporté depuis notre rencontre.

Pour sceller la beauté de ce moment, il l’embrasse avec douceur. Elle ferme les yeux et se laisse bercer par ce tendre baiser. Le souffle chaud d’Erwann vient la caresser quand il lui propose de prendre place sur le matelas, et de s’y installer confortablement. Le lit improvisé est accueillant et leur tend les bras. Elle ne peut résister à cet appel. Elle n’a qu’une hâte : aller s’allonger contre son homme pour se reposer, épuisée par les montagnes russes qui ne cessent de la secouer.

Autour de la couche, Erwann allume toutes les bougies qui y ont été déposées. Des dizaines de loupiottes éclairent peu à peu l’ombre qui s’efface alors. Grâce à ces petites flammèches, Erwann peut enfin éteindre son portable. Le premier étage du phare est désormais illuminé par les petites lueurs qui diffusent une douce chaleur, ainsi qu’un éclairage apaisant. Le cocon romantique que les amis bretons ont créé se pare de belles nuances orangées, qui adoucissent les contours des formes qui les entourent.

Gwendoline s’assied sur le lit bien rembourré, puis se relève, constatant qu’un volet est mal attaché. Erwann, saisissant l’occasion, farfouille dans la poche de sa veste et la suit dans son sillage parfumé, jusqu’à la fenêtre. Puis s’arrête derrière elle, un genou à terre posé sur le béton, une main tendue dans sa direction. Son cœur bat la chamade dans un rythme croissant et effréné. Après avoir refermé la persienne récalcitrante, Gwendoline se retourne. Son cœur rate un battement lorsqu’elle tombe sur la vision chevaleresque de son homme à ses pieds, le visage grave. Cette image lui fait de nouveau monter les larmes aux yeux, lesquelles venaient à peine de se tarir. Les mains devant la bouche, elle retient un sanglot, le regard embué. Erwann n’en mène pas large, apeuré à l’idée qu’elle puisse lui refuser sa main. Pourtant, si près du but, il est prêt à se lancer dans le vide.

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