Chapitre 82 : La réponse
— Gwen, à mes yeux, et ce depuis le premier jour où je t’ai rencontrée, tu es ma femme, mais j’aimerais que tu le deviennes pour le reste du monde.
Sous ses paupières fermées, les larmes de Gwendoline s'accumulent, puis dévalent silencieusement sur le côté de son visage, atterrissant une à une sur son pull. Après un chagrin lié à une profonde tristesse en début de journée, cette fois, c’est la joie qui s’exprime en gouttes salées.
Erwann continue, la voix chevrotante, la diction un peu hachée.
— Je n’ai plus grand chose à t’offrir… à part mes problèmes et mon caractère de merde… Je ne pense pas pouvoir me présenter comme un bon parti, mais...
Sa compagne tourne la tête de droite à gauche, pour signifier son désaccord, puisque d’après son cœur, il est l’homme le plus extraordinaire du monde. Elle renifle bruyamment en s’essuyant les yeux débordant d’eau, petite rivière de bonheur qui ne cesse de s’écouler sans interruption.
— Tu es le meilleur parti qui soit, mon amour. Tu es le plus bel homme que j’ai jamais rencontré. Tu es l’homme de ma vie.
Il sourit faiblement, touché. Pourtant, au fond de lui, il se demande sans arrêt s’il la mérite vraiment.
— J’aimerais que tu dises vrai, soupire-t-il en repensant à ses dernières bévues. Mais l’avantage d’avoir commis autant d’erreurs, c’est qu’au moins, je peux m’améliorer. Étant donnée ma situation actuelle, la marge de manœuvre est large.
Disant cela, il désigne du doigt le bracelet électronique qui décore sa cheville. Sous son jean relevé, ce dernier apparaît bien visiblement dans sa position chevaleresque. Elle rit en pleurant. Il l’imite, puis vacille, déséquilibré par son genou posé au sol. Il se redresse de justesse, tenant toujours dans sa main l’écrin de velours.
— Où en étais-je déjà ? Ah oui, j’en étais au fait que je n’étais pas un cadeau, mais que je pouvais encore espérer en devenir un.
— Tu l’es déjà, je t’assure.
Elle s’agenouille près de lui, pour se mettre à sa hauteur. Aussi blanc qu’un fantôme et le regard embué, Erwann lui prend la main gauche et la porte à ses lèvres pour embrasser son annulaire. Elle rougit de plus belle, émue par l’intensité qui se dégage de son homme.
— J’ai tellement peur que tu refuses que je n’ose pas te demander. Tu aurais toutes les raisons de le faire... et si peu d’accepter.
Les yeux d’Erwann scintillent d’émotions, de cet espoir qui l’illumine de l’intérieur en même temps que de cette inquiétude qui le ronge.
— Essaie pour voir, l’encourage-t-elle, le regard brillant.
Il sourit plus largement, en baissant la tête. Ses mains tremblent. Dans sa poitrine résonne le tambourin de ce cœur qu’il veut déposer à ses pieds.
— Tu veux que… j’essaie ? répète-t-il, pour gagner quelques précieuses secondes. Que je me lance ?
— Je pense que tu pourrais te lancer.
Il sourit de plus belle. Et fixe ses prunelles d’un vert assombri par le manque de clarté. Seules les lueurs des bougies les éclairent de leurs chaudes tonalités.
— Je me lance ? Vraiment ? Tu es sûre ?
— Je suis sûre que tu peux te lancer, sourit-elle encore plus.
Son cœur cogne tellement fort dans sa poitrine qu’il imagine qu’elle puisse le voir battre à travers l’épaisseur de son pull. En dépit de toutes les manifestations de son organisme qui semble sur le point de le lâcher, Erwann se jette à l’eau :
— Gwen, est-ce que tu veux m’épouser ?
Les larmes la submergent, ce qui l’oblige à fermer les yeux un instant mais, après quelques secondes, elle les ouvre en grand et opine du chef, muette de bonheur. Les mots sont là, coincés dans sa gorge nouée par la surprise qu’il vient de lui organiser au débotté. Elle incline la tête à deux reprises, avant de réussir à parler. De sa voix éraillée, elle prononce le petit mot magique qu’il attend :
— Oui.
Les épaules d’Erwann redescendent en même temps que sa cage thoracique, maintenue en apnée après sa demande. Il réitère son offre, de peur d’avoir mal entendu :
— Seigneur, Gwen, tu veux m’épouser ?
— Oui.
— Vraiment ?
— Oui.
— Trois oui valent mieux qu’un non.
Ils éclatent de rire de concert, avant qu’elle ne vienne se blottir contre lui. Il la prend dans ses bras, le visage enfoui dans son cou parfumé de fragrances sucrées. Une félicité intense le gagne et lui fait monter à son tour les larmes aux yeux. Presque aphone, il lui murmure :
— Tu es sûre, mon amour ? Tu veux vraiment devenir ma femme pour l’éternité et porter mon nom à tout jamais ?
— Oui. À tout jamais, pour l’éternité.
Malgré sa peur de l’engagement, Gwendoline se sent prête à franchir cette dernière étape, rassurée par l’amour si puissant qui les unit tous les deux. Aucun défi à relever, aucune montagne à gravir, ne lui semble insurmontable quand elle est près de lui. Recroquevillée contre son torse solide, elle se sent pousser des ailes pour franchir n’importe quel obstacle. Soudain, entourée des bras de son futur mari, elle voit l’avenir sous un angle nouveau, teinté de confiance et de sérénité. L’amour qu’il lui porte est tel qu’elle ne peut plus reculer face à leurs hypothétiques difficultés. Il lui communique sa force, et lui offre la sécurité, lui donnant la certitude que rien ni personne ne pourra les séparer.
Le nez dans les cheveux de sa fiancée, Erwann sent toute la légèreté qui s’empare d’elle depuis qu’elle a dit oui. Après des heures à se montrer crispée et sur la défensive, il la voit se détendre, libérée d’un poids invisible. La béatitude qu’il ressent est proportionnelle à sa joie de l’avoir entendu dire oui. Oui à un avenir à deux, à quatre... ou à plus... Peu importe ce qui les attend dans les mois à venir, avec elle à ses côtés, il pourra tout surmonter. Leur couple est un socle incassable, bâti sur l’amour, le respect et la confiance inébranlables qu’ils s’accordent l’un à l’autre.
Elle relève la tête et lui tend ses lèvres, quémandant un baiser pour sceller leur promesse d’éternité. C’est alors qu’il se souvient qu’il n’a pas encore glissé la bague à son doigt. Il ouvre la boîte d’une main et saisit le bijou de l’autre.
— Avec ça, c’est mieux, dit-il en insérant l’annulaire gauche de Gwendoline à l’intérieur.
Elle reconnaît la bague. Mauboussin, le solitaire. Son image était collée sur son tableau de vision, dans l’entrée de son ancienne demeure.
— Erwann… c’est… waouh.... Elle est tellement… belle.
— Ta taille exacte. J’ai emprunté discrètement une de tes bagues quand on est revenus pour la première fois tous les deux à Nantes, après nos retrouvailles. J’ai été la chercher le lendemain, même si, à ce moment-là, j’étais presque sûr de t’avoir déjà perdue.
Il lui rappelle les circonstances de cet achat, effectué sur un coup de tête, après le léger froid qui s’était installé entre eux le matin, lorsque Gwendoline avait reçu le coup de fil de son ancienne agente parisienne. Erwann avait eu une attaque de panique dans sa voiture en se garant à proximité de la boutique. Mais un coup de fil de Richard, à l’improviste, l’avait remis sur les rails et l’avait incité à se lancer dans cette folie, à peine trente-six heures après s’être remis avec celle qu’il considérait d'ores et déjà comme la femme de sa vie.
— Je me suis dit que l’acheter allait peut-être jouer en ma faveur. Comme un pied de nez au mauvais sort qui semblait s’acharner.
— Tu as bien fait. Et une fois encore, Bud a joué un rôle important pour nous deux.
Erwann se mord la lèvre inférieure, encore coupable de sa réaction excessive à l’encontre de son meilleur ami.
— Je ferai tout me racheter à ses yeux. Mais je ne suis pas sûr qu’une bague de fiançailles soit du meilleur goût pour lui.
— C’est peu probable, rit-elle en admirant le superbe bijou qui orne à présent son doigt. Erwann, je veux appeler mon ancien client maintenant. J’ai besoin d’avoir le cœur net à propos de ses jumeaux. Je dois savoir ce qu’il en est de son côté.
Il acquiesce à sa demande et l’embrasse, convaincu que c’est à son tour de recevoir, en cet instant, une magnifique preuve d’amour. Au fond de lui, il comprend que sa partenaire cherche par tous les moyens à éviter l'avortement. Impatient, il la laisse se détacher légèrement de lui et la regarde sélectionner le contact dans son répertoire.
Il sait que ce coup de fil sera décisif pour leur nouvelle vie.
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